26/08/2017

Leçon de vie spirituelle



F. Poulenc, Dialogue des Carmélites
Blanche
Il doit être doux, ma mère, de se sentir si avancée dans la voie du détachement qu’on ne saurait plus retourner en arrière.
Prieure
Ma pauvre enfant, l’habitude finit par détacher de tout. Mais à quoi bon, pour une religieuse, être détachée de tout si elle n’est pas détachée de soi-même, c’est-à-dire se son propre détachement ?
Je vois que les sévérités de notre règle ne vous effraient pas !
Blanche
Elles m’attirent.
Prieure
Oui, oui, vous êtes une âme généreuse…
Qui vous pousse au Carmel ?
Blanche
Votre Révérence m’ordonne-t-elle de parler tout à fait franchement ?
Prieure
Oui
Blanche
Hé bien, l’attrait d’une vie héroïque.
Prieure
L’attrait d’une vie héroïque ou celui d’une certaine manière de vivre qui vous paraît – bien à tort – devoir rendre l’héroïsme plus facile, le mettre pour ainsi dire à la portée de la main ?
Blanche
Ma révérende mère, pardonnez-moi, je n’ai jamais fait de tels calculs.
Prieure
Les plus dangereux de nos calculs sont ceux que nous appelons des illusions.
Blanche
Je puis avoir des illusions. Je ne demanderais pas mieux qu’on m’en dépouille.
Prieure
Qu’on vous en dépouille… Il faudra vous charger seule de ce soin, ma fille. Chacune ici a déjà trop à faire de ses propres illusions.
Ma fille, les bonnes gens se demandent à quoi nous servons, et après tout ils sont bien excusables de se le demander. Non, ma fille, nous ne sommes pas une entreprise de mortification ou des conservatoires de vertus, nous sommes des maisons de prière, la prière seule justifie notre existence ; qui ne croit pas à la prière ne peut nous tenir que pour des imposteurs ou des parasites. Si la croyance en Dieu est universelle, ne faut-il pas qu’il en soit autant de la prière ?
Ainsi, chaque prière, fût-ce celle d’un petit pâtre qui garde ses bêtes, c’est la prière du genre humain. Ce que le petit pâtre fait de temps en temps, et par un mouvement de son cœur, nous devons le faire jour et nuit.
Oh ! Mon enfant, il n’est pas selon l’esprit du Carmel de s’attendrir, mais je suis vielle et malade, me voilà très près de ma fin, je peux bien m’attendrir sur vous. De grandes épreuves vous attendent, ma fille.
Blanche
Qu’importe, si Dieu me donne la force.
Prieure
Ce qu’il veut éprouver en vous n’est votre force, mais votre faiblesse…
Vous pleurez ?
Blanche
Je pleure moins de peine que de joie. Vos paroles sont dures, mais je sens que de plus dures encore ne sauraient briser l’élan qui me porte vers vous.
Je n’ai pas d’autre refuge en effet.
Prieure
Notre règle n’est pas un refuge. Ce n’est pas la règle qui nous garde, ma fille, c’est nous qui gardons la règle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire