23/08/2018

Une réponse à Mgr Gobillard

Sur FB, Mgr Gobillard a publié le 22 août le post suivant :
Je comprends qu'on puisse être révolté face à l'horreur des crimes qui ont été commis, par l'indicible souffrance des victimes. Je comprends qu'on veuille que justice soit faite. Justement laissons travailler la justice. A la suite d'une première enquête, pour laquelle le diocèse de Lyon et le cardinal Barbarin ont largement collaboré avec la justice, un magistrat à émis un avis motivé dans lequel il affirmait qu'aucune infraction n'avait été commise. L'affaire a donc été classée sans suite. Une deuxième procédure de citation directe est en cours. Laissons la justice agir. On ne peut déclarer un homme coupable, et donc réclamer sa démission de son propre chef ; c'est la justice qui a les moyens d'enquêter et de prononcer un jugement indépendant. Il faut lui faire confiance.
https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/affaire-barbarin-on-ne-peut-pas-accuser-quelqu-un-avant-que-la-justice-soit-faite-reagit-un-eveque-du-diocese-de-lyon-1096153.html


Voilà ma réponse :

Monseigneur, cher Emmanuel,

La culpabilité du Cardinal n’est pas discutée puisque lui-même a fini par la reconnaître. (Il a mis le temps !) La question ne consiste donc pas à juger ses actes par une sorte de tribunal populaire ; lui-même l’a fait, ni à obtenir réparation, cela, la justice s’en chargera, si du moins elle n’est pas empêchée par la prescription. Car, que je me souvienne, la première sentence ne s’était pas prononcée sur l’absence de faute mais sur l’impossibilité de les prendre en compte compte-tenu de la prescription. Il semblerait donc qu’en appeler à la justice pour régler le problème soit un joli sophisme, puisque la justice se reconnaît incompétente alors que l’accusé lui-même reconnaît les faits. Imaginez que le Cardinal soit reconnu coupable par ce second procès, considéreriez-vous l’affaire de la pédocriminalité dans l’Eglise de Lyon comme réglée ?

La question consiste en un bouleversement social. Dans toujours plus de pays, de façons certes distinctes, devient impossible ce qui longtemps ne posait pas de problème, le viol des enfants. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Le fait que l’Eglise compte en ses ministres un nombre significatif de pédocriminels pose un certain nombre de questions, dont celle de la responsabilité hiérarchique des évêques. Il est établi, et le Pape le reconnaît explicitement, qu’une protection de ces criminels existe dans l’Eglise. Voilà qui, de surcroît pour une institution qui prêche et la morale et le respect des petits, inocule un venin mortel à l’Eglise elle-même. C’est la faute de nombreux évêques si l’Eglise va si mal. Ce n’est certes pas la première fois dans ses deux mille ans d’histoire ! Aujourd’hui, sur ce point, c’est intolérable.

Si je comprends bien, depuis le Cardinal Decourtray, il y eut un deal avec Preynat : la prochaine fois on te lâche. Les mesures prises par Decourtray étaient pour l’époque, sévères. Le deal semble avoir fonctionné. Il n’y avait donc pas de raison de dénoncer Preynat pour le Cardinal Barbarin, arrivant à Lyon ; il suffisait de veiller, comme ses prédécesseurs l'ont fait, à ce que le deal continue à être respecté. Il semble d’ailleurs que Preynat reproche au Cardinal d’avoir rompu le pacte en finissant par lui retirer toutes ses fonctions. Sauf que…
- La société a changé, c’est ce que j’ai appelé un bouleversement social. Le Cardinal ne l'a pas apprécié à juste mesure, alors même qu'Isabelle de Gaulmyn l'avait informé.
- Le Cardinal Barbarin est avisé par des victimes de qui est Prenat. Bien sûr, il le savait. Mais le Cardinal s’est moqué des victimes. Oui, c’est terrible, oui, je vais agir. Et il n’a rien fait. Le Cardinal a baladé les victimes de façon honteuse et scandaleuse, pleine de mépris (qui s’entend par exemple dans le message téléphonique laissé à une victime pour la prévenir des sanctions enfin prises). A bien des égards, la Parole Liberté existe à cause du Cardinal ou grâce à lui. Preynat aurait été démissionné rapidement (pas besoin de beaucoup de temps puisque le dossier était connu et que le coupable avait avoué) et signalé à la justice, jamais la Parole libéré n’aurait existé.
- La séance avec Régine Maire est un naufrage pastoral et psychologique indépendamment des qualités de cette dame par ailleurs. Avec qui cela a-t-il été décidé ? Pourquoi en une affaire si grave, c’est un fusible qui est envoyé faire le travail ?
- Le déni du Cardinal jusqu’à ce qu’il finisse par reconnaître ses torts l’a posé devant la France entière comme un menteur qui cherche à se protéger en dissimulant ses erreurs, éventuellement à protéger le criminel (suffisamment de témoignage montre l’estime qu’il avait pour lui, y compris les dernières nominations qui lui ont été proposées).
- Le positionnement du Cardinal peu de temps avant dans une croisade morale pour la défense de la famille et des enfants paraît alors n’être que de peu de vérité, puisque les enfants dans la pédophilie peuvent être écrasés ; ce qui est tout de même sans commune mesure avec les risques qu’ils courraient dans le cadre d’unions homosexuelles. La parole du Cardinal est prise en pleine contradiction, mensongère, opportuniste.
- Le terrible « Grâce à Dieu, c’est prescrit », au moins comme un lapsus, au pire comme fond de sa pensée, témoigne de quel côté se situe le Cardinal. Jamais une victime n’aurait pu penser ni s’exprimer ainsi.
- Le Cardinal devant la situation où l’affaire Preynat et la façon dont il la gère met le diocèse, loin de faire fonctionner institutionnellement l’Eglise, continue, comme depuis son arrivée à Lyon, à ne pas se servir des conseils prévus par le Code de droit canonique. Il décide seul, souvent contre tous, va jusqu’à se réfugier dans les bras d’une agence de conseil (dont personne ne sait qui a payé, encore un manque de transparence dans le gouvernement) plutôt qu’avec l’ensemble des baptisés dans un Conseil Diocésain de Pastorale qu’il a supprimé, ou le conseil du Presbyterium, dont il s’amuse.

Comment le Cardinal peut-il encore gouverner un diocèse dans ces conditions ? Auprès de qui sa parole est-elle encore crédible ? Qui peut se fier soit à un homme au jugement si mal affuté, soit à un menteur, selon que vous apprécierez l’incohérence de ses faits et paroles ? Que les ministres soient tous des pécheurs suppose qu’ils soient tout de même en paix avec l’Eglise et que, s’ils ont erré, elle les réconcilie. Loin de tout cela, le Cardinal préside lui-même la célébration de sa demande de pardon, dans une forme incroyable d’auto-absolution. Non content de n’avoir fait que si peu de cas des victimes, c’est maintenant de son Eglise et de ses rites sacrés qu’il se sert à son avantage et contre le sens élémentaire de la foi. Mais en fait, nous le savons, le mépris des victimes est mépris du troupeau du Seigneur. Le Cardinal lui-même l’a dit, c’est une même profanation. Tout cela dessine, avec une précision dont on se serait bien passé, le type de système que le Pape fustige comme cléricalisme.

La demande de démission est certes un acte que l’on peut apprécier ou non. En aucun cas, compte-tenu de ce que je viens d’écrire trop rapidement, alors que j’ai déjà été trop long, on ne peut la considérer comme un empêchement d’agir de la justice, ni juger que l’action de la justice suffise à régler le problème dramatique de la pédocriminalité tel qu’il se pose à Lyon. Dès lors que le Pape demande aux chrétiens de se sentir responsables de ce qui advient à l’Eglise dans ces affaires, passant par-dessus la tête des évêques – il ne faudrait pas l’oublier – qui ne semblent pas capables de voir les choses de façon impartiale – et il se pourrait que votre post en soit l’illustration – la demande de démission est une action possible. Il y en a sans doute d’autres mais celle-ci est tout compte-fait assez obéissante au Pape. Qui voudrait lui désobéir ?

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