10/04/2020

Vous avez dit résurrection


Quelques pages ne sauraient suffire à faire le tour du sujet. Il ne s’agit pas de tout dire, mais de privilégier quelques aspects pour aider à comprendre ce que déjà nous croyons. On se contentera de parcourir les évangiles de la résurrection.

Question de vocabulaire

Le mot résurrection vient du latin. C’est une invention des chrétiens, ignorée du latin classique. Il traduit bien sûr un mot grec que l’on trouve dans l’évangile. En fait deux mots, car en grec, la « résurrection » n’existe pas. On dit que Jésus s’est réveillé (Mt 28, 6 ; Mc 16, 6) ou qu’il s’est relevé, mis debout (Mc 9, 9, Ac 2, 24). Le substantif est celui de la racine de se lever, anastasis. (C’est le nom que les Grecs donnent à ce les Latins comme nous appelons la basilique du saint sépulcre à Jérusalem. Le tombeau est résurrection.)
Le vocabulaire biblique de la résurrection n’est donc pas un vocabulaire technique qui caractérise une chose bien précise, à la différence de ce qui se passe aujourd’hui dans nos langues. Il y a d’ailleurs d’autres mots qui expriment la résurrection, ainsi celui de glorification (Cf. Jn 17, 1 : « Père, glorifie ton fils ») ou d’exaltation (Cf. Ph 2, 9 : « c’est pourquoi Dieu l’a exalté », littéralement sur-élevé.)
Le vocabulaire de l’élévation pourrait d’ailleurs être l’un des premiers et la thématique du tombeau vide la plus récente. On le trouve dans les évangiles en Lc 14, 11 (et 18, 14) : « Quiconque s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé » qui dit bien la mort et la résurrection de Jésus, mais plus explicitement aussi en Jn 3, 14 ; 8, 28 ; 12, 32 et 34 : « Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
Ces questions de vocabulaire sont très importantes, car elles mettent en évidence que l’on ne sait pas ce qu’est la résurrection, il n’y a pas de mot pour la dire. On a recours à des termes qui ont un premier sens, et la résurrection est toujours une métaphore. Pour percevoir l’importance de ces remarques, rien de mieux que de relire quelques versets. Pourquoi traduire le même mot, parfois par ressusciter, parfois par se lever ?
Mt 9, 9 : « Étant sorti, Jésus vit, en passant, un homme assis au bureau de la douane, appelé Matthieu, et il lui dit : "Suis-moi !" Et, se levant, il le suivit. » Ou bien « Et, ressuscitant, il le suivit. » Se lever pour suivre Jésus, n’est-ce pas cela, ressusciter ? Et si ce sens fort n’était pas envisagé par l’évangéliste, croyez-vous qu’il aurait précisé qu’il faut se lever pour suivre quelqu’un ? Matthieu ne va pas y aller à quatre pattes, ou sur son siège !
Mt 8, 15, à propos de la belle-mère de Pierre : Jésus « lui toucha la main, la fièvre la quitta, elle se réveilla et elle le servait. » Ou bien, Jésus « lui toucha la main […], elle ressuscita et elle le servait. » Là, le sens est encore plus curieux. C’est le verbe réveiller qui est utilisé, et nos traductions habituelles ne sont guère fidèles à dire, se lever. La fièvre qui cloue au lit la belle-mère de Pierre semble l’avoir déjà tuée, ou du moins laissée dans le coma dont elle se réveille. Nous avons une belle définition de ce qu’est la résurrection, le service de Jésus (et donc de ses frères). On comprend que l’on puisse être ressuscité avant même de mourir comme le dit un disciple de Paul : « Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. » (Col 3, 1 et déjà 2, 12). C’est l’une des épitres possibles pour le jour de Pâques. Dès qu’on sert, dès qu’on s’abaisse et passe en dernier, on est élevé, ressuscité.
Les textes déjà cités de Mt 28, 6 « Il n’est pas ici, car il s’est réveillé comme il l’avait dit » et Ac 2, 24 : « Dieu l’a ressuscité, le délivrant des souffrances de la mort. Aussi bien n’était-il pas possible qu’il fût retenu en son pouvoir. » sonnent avec cette traduction de manière tout aussi provocante, mais bien moins mythologique.

La résurrection avant la résurrection de Jésus

Il est dans les évangiles plusieurs manières de parler de la résurrection de Jésus. Elle est déjà préparée par l’usage de se lever ou de se réveiller (et mots des mêmes familles) plus haut dans l’évangile, ainsi que nous venons d’en donner quelques exemples. Les annonces de la passion jouent un rôle évident. Mais aussi les guérisons et les miracles de résurrection. (Nous ne pouvons pas nous lancer ici dans l’explication de ce qu’est un miracle, s’il eut lieu ou non, etc. Prenons-le au moins comme un signe de ce qui va arriver à Jésus, ainsi que le propose l’évangile de Jean, ou comme une parabole du don de lui-même par Jésus.)
Il y a aussi le grain de blé : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance. » (Jn 12, 24) ou l’allégorie de la vigne (Jn 15). Ce n’est pas pour rien si blé et vigne de l’eucharistie sont associés à la résurrection.
Le dernier chapitre de chaque évangile met en scène la résurrection. On recourt à plusieurs formules : tombeau vide et messagers resplendissants, professions de foi des femmes et des soldats romains, apparitions du ressuscité.

La manière de faire de Marc

Si l’on est attentif au chapitre 16 de l’évangile de Marc, on constate qu’à partir de 16, 9 jusqu’à la fin, on a une forme de conclusion qui paraît être rajoutée à partir de ce que racontent les autres évangiles, en particulier Luc avec les deux disciples d’Emmaüs. Dans une forme première, l’évangile s’achevait en 16, 8. Relisons Mc 16, 1-8.
« Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller oindre le corps. Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil s’étant levé. Elles se disaient entre elles : "Qui nous roulera la pierre hors de la porte du tombeau ?" Et ayant levé les yeux, elles virent que la pierre avait été roulée de côté : or elle était fort grande. Étant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche, et elles furent saisies de stupeur. Mais il leur dit : "Ne vous effrayez pas. C’est Jésus le Nazarénien que vous cherchez, le crucifié : il est ressuscité, il n’est pas ici. Voici le lieu où on l’avait mis. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit." Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. »
Par deux fois le verbe lever est employé, pour le soleil et les yeux des femmes. Mais on a deux verbes différents qui ne sont pas ceux de la résurrection. Quant à la résurrection, elle est dite par le verbe se réveiller, comme on l’a déjà dit. Le mouvement ascensionnel est important. Un jour nouveau commence, et à regarder par terre, on ne peut voir que ses pieds !
Marc ne parle pas d’ange. On ne sait pas qui est le jeune homme vêtu de blanc, mais il est, jeune, nouveau, comme le jour. (Ce n’est pas le premier de ce type chez Marc Cf. 14, 51-52) Le blanc dit, la nouveauté, tout propre et renvoie au vêtement de Jésus à la transfiguration.
Le « n’ayez pas » peur est original. On le retrouve comme parole du ressuscité aux disciples en Luc et Jean, mais avec un autre verbe. J’ai l’impression que le verbe de Marc n’est utilisé que trois fois dans les Ecritures. Il signifie être mis hors de soi par la peur ou la colère. En Marc, il avait déjà été utilisé au jardin des Oliviers, lorsque Jésus connaît l’angoisse mortelle (14, 33). Voilà dans quel état sont les femmes, comme Jésus, à l’agonie. (Le mot extase, être hors de soi, est, avec une autre racine, utilisé en 16, 18.)
Le plus curieux, c’est de penser que l’évangile se finit par ces mots : « Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. » Comment l’évangile pourrait-il s’arrêter sur un tel échec de l’annonce de la résurrection ? Chez Marc, la résurrection n’est pas annoncée comme résurrection, puisque les femmes chargées de la dire se taisent, puisque cette annonce échoue et renvoie à l’agonie de Jésus. Que penser ?
« Voyant qu’il avait ainsi expiré, le centurion, qui se tenait en face de lui, s’écria : "Vraiment cet homme était fils de Dieu !" ». (Mc 15, 39). Tout est dit, par un païen et les femmes (16, 40) sont là qui voient tout : La croix est le lieu où Dieu dit son dernier mot, où il se montre comme jamais, dans un homme mort et torturé. Si la chose est surprenante, ce n’est pas à la façon d’un miracle, le retour à la vie d’un cadavre, mais dans une mort, quasi ordinaire. En cette mort qui signe une vie donnée, Dieu est reconnu. Ce que Marc annonce, c’est ce qui lie Jésus à Dieu pour ceux qui confessent la solidarité de Dieu avec ce maudit qui pend au gibet (Cf. Ga 3, 13), comme un criminel au milieu des bandits (Mt 26, 55 ; 27, 38).
Le vocabulaire de la résurrection pourrait paraître mythologique, et d’ailleurs, il provoque une sorte de transe païenne, la fameuse extase de 16, 8, presque dernier mot de l’évangile. Il pourrait dire un « happy end ». Mais non, tout n’est pas bien qui finit bien, Jésus est mort, Jésus reste mort, comme tous nos défunts. Il demeure le crucifié. C’est ainsi que le nomme le jeune homme en 16, 6 « le crucifié ».
La résurrection de Jésus est toujours une profession de foi, et Marc la met sur la bouche d’un centurion. On sait que Jésus est mort, on croit qu’il est ressuscité. Il s’agit de deux types différents d’affirmations. Le second fait de nous des témoins, comme lorsque nous disons « je t’aime » à quelqu’un. Ce n’est pas une description ou une information du style « Titus aimait Bérénice », c’est une déclaration d’amour. On ne peut dire la résurrection de Jésus sans en participer, y être engagé. « Nul ne peut dire : "Jésus est Seigneur", si ce n’est par l’Esprit Saint. » (1 Co 12, 3)

Les apparitions du ressuscité

On comprend que Marc ait choisi un autre dispositif que les apparitions du ressuscité, suivi d’ailleurs d’assez près par Matthieu, où Jésus n’apparaît que pour disparaître. Il y a de quoi se laisser piéger en effet, tant la narration pourrait faire croire à un reportage. Notons que l’on ne raconte pas la résurrection, mais des apparitions du ressuscité. Luc et Jean font tout pour rendre le récit incohérent et empêcher qu’on le prenne à la lettre. Ainsi, Marie ne peut pas toucher Jésus mais Thomas doit mettre le doigt dans la plaie des clous (c’est bien le crucifié qui apparaît !). Ainsi Jésus entre-t-il toute porte close ‑ a-t-il un corps ? ‑ mais mange et se remplit l’estomac.
Les apparitions du ressuscité doivent être lues non indépendamment les unes des autres, comme on le fait généralement, mais à la suite. En Luc comme en Jean apparaît alors clairement que ce qui est raconté, ce ne sont pas trois apparitions, mais la lenteur de l’advenue à la foi pour les Onze. On a chez Luc la séquence d’apparitions de deux hommes aux femmes, puis de Jésus aux deux disciples d’Emmaüs et enfin aux Onze. Jean présente l’apparition à Marie, puis aux disciples sans Thomas, enfin aux Onze. (Le chapitre 21 de Jean entre dans une autre logique. Une première conclusion de l’évangile est clairement donnée en Jn 20, 30-31.)
Autrement dit, ce qui est raconté c’est comment on parvient à la profession de foi de ce que Jésus est vivant, comment, en trois temps, comme les trois jours du tombeau, les disciples sortent du sépulcre où la mort de Jésus les avait cloués. Nous pourrions souligner :
Premièrement, on croit sur parole. Et la première parole est celle des femmes. Elles engendrent à la foi comme à la vie. Ce qu’elles disent est considéré comme des radotages de bonnes femmes (Lc 24, 11). (Les mâles sont tenus par la parole des femmes. Jusqu’à la découverte de l’ADN d’ailleurs, seule leur parole attestait de la filiation.). C’est aussi simple et mystérieux que l’humilité d’un engendrement. Il s’agit seulement de vivre, de naître de nouveau (Jn 3, 1-10). La résurrection de Jésus n’a de sens que dans notre re-naissance. Seule des femmes pouvaient en être témoin.
Deuxièmement, la résurrection n’est pas un truc à croire, mais un changement de vie, une conversion. Les femmes en Luc regardent vers le sol (24, 5). Elles ne cherchent pas Jésus au bon endroit, elles le cherchent parmi les morts. Certes, elles ont une longueur d’avance ; elles au moins, cherchent Jésus, au lieu de rester enfermées dans la peur. La foi ne fait pas vivre dans un autre monde, celui de la nostalgie de la foi de nos pères, ou désirer un autre monde, surnaturel : « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ici à regarder le ciel ? » (Ac 1, 11) Il n’y a pas quelque chose à croire, la résurrection, il y a quelqu’un à qui faire confiance pour vivre, quelqu’un à croire pour vivre, Jésus et sa vie. C’est lui la résurrection (Jn 11, 25).
La confiance que nous plaçons en Jésus permet de vivre dans le monde autrement, comme si la mort n’était pas le dernier mot. Luc insiste sur ce point, qui fait réinterpréter ce qui arrive tant aux disciples d’Emmaüs qu’aux Onze. La foi, c’est vivre dans ce monde ‑ et non un autre monde, après la mort ‑ avec le regard de Jésus, celui de la fraternité, du don, se faire le serviteur et le dernier (Lc 22, 25-27). La fraternité serait notre manière de vivre, la mort aurait déjà bien reculé. Cela s’appelle résurrection.
Troisièmement, la résurrection n’est pas le retour à la situation d’avant la mort. Jésus n’est pas disponible, on ne peut le saisir (Jn 20, 17), il échappe. Cependant, c’est bien lui, et Thomas est bien confronté au crucifié (Jn 20, 27). Mais dans ce long engendrement racontés par Luc et Jean, ceux qui s’étaient dispersés lors de l’arrestation de Jésus (Mt 26, 56) ou enfermés (Jn 20, 19), reviennent à la vie, libérés de la peur, revenus de la mort, rassemblés. Le corps de Jésus n’est plus un cadavre démembré, mais une communauté de frères et sœurs libres pour aimer. Sans ce corps, l’attachement à Jésus n’est qu’une illusion sans avenir.

Les chapitres de résurrection sont des professions de foi qui en appellent d’autres. On ne peut parler de résurrection que dans la profession de foi. Non qu’il faudrait pour être chrétien professer des trucs incroyables. Croire, faire profession de foi, c’est regarder le monde en relevant la tête, disons, avec les yeux de Jésus. C’est faire confiance à Jésus pour regarder le monde. La mort et le mal n’ont pas le dernier mot. Jésus regarde la misère du monde avec le cœur. Sa miséricorde s’étend d’âge en âge. Il se donne, c’est pourquoi il demeure à jamais le crucifié. « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ces amis » (Jn 15; 13) Il transforme l’humanité en fraternité ou en peuple d’amis.
Jésus n’est pas une histoire ancienne. Il nous précède plutôt (Cf. Mt 28, 7 : Mc 16, 7) La Galilée représente le monde, carrefour des nations (Cf. Mt 4, 15), qui mêle les hommes, pour le meilleur et pour le pire. Le souvenir de sa mort n’est pas une visite au cimetière (Jn 20, 11) ni la mémoire d’un grand homme. Nous ne le cherchons pas parmi les morts (Lc 24, 5). Le souvenir de tout ce qu’il a vécu en Galilée (Lc 24, 6) ouvre une nouvelle manière de vivre, à sa suite. « Celui qui aime son frère est passé de la mort à la vie. » (1 Jn 3, 14) C’est vers les frères qu’il faut aller, ainsi le Fils vit avec Père (Jn 20, 17), est glorifié par le Père et le Père dans le Fils (Jn 17, 1).

1 commentaire:

  1. Merci Patrick, la signification des mots, la clarification conceptuelle de ce qui reste mystérieux est un don ... philosophique ? Apostolique pour sûr ! Amitiés. Jean.

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