La maladie non seulement entrave la santé mais aussi coupe les liens sociaux. Les personnes malades le savent bien. Lorsque nous apprenons que quelqu’un est gravement malade, combien il est difficile de maintenir le contact. Ce n’est pas pour rien si la visite aux malades est une des œuvres de miséricorde.
L’actuelle pandémie le montre encore. Pour tous, malades ou non, les relations sont entravées, empêchées. Et le nombre de décès demeure tout de même extrêmement limité, de l’ordre de 0,11 % en France, 80 000 pour 67 millions d’habitants (rappelons que l’on estime que la peste du 14ème siècle décima la moitié de la population européenne !).
La lèpre telle qu’en parlent les Ecritures représente par excellence la maladie comme mort sociale, la maladie non pas tant d’un point de vue sanitaire, que comme exclusion. Celui qui a une tâche sur la peau « habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp. » (Lv 13, 46)
Si les exclusions ne concernaient que les malades, que le monde serait beau ! Phrase provocatrice, car il est hors de question de réclamer la mise à l’écart des malades. Mais nous ne sursautons pas de la même manière en pensant à tous les exclus de la société. Et il n’y aurait plus que les malades à être exclus, ce serait encore de trop et demeurerait injustifiable, mais combien nous aurions progressé vers la fraternité. C’est dire où nous en sommes !
Faut-il faire la liste des exclus ? Sans doute pour nous aider à garder les yeux ouverts. Cependant, la liste risquerait d’être incomplète et d’exclure à son tour ceux qu’elles prétendaient rassembler. Ce serait le comble. Prenons quelques instants pour rassembler le plus d’exclus, des personnes nommément ou des groupes, auxquels nous pensons.
Qu’attendent-ils ? Un signe de la main, un témoignage de fraternité qui restaure la vie. Restaurer la vie, n’est-ce pas ce que nous appelons la résurrection ? Méfions-nous de lire notre évangile (Mc 1, 40-45) comme un miracle, cela nous dispenserait d’être concernés, puisque nous ne pouvons pas faire de miracles. La guérison d’un lépreux par Jésus ne relève pas du miracle, mais de l’humanité. Serons-nous humains comme lui, grâce à lui ?
Avec ce récit nous achevons la lecture du premier chapitre de l’évangile. Le mot de miracle n’a pas été prononcé. Ce qui est traduit par miracle c’est dunamis, un acte de puissance ou de force. Et cela est à notre portée, la force de renverser les exclusions pour rendre la vie, la force de relever les frères que l’exclusion avilit et tue, les chassant de la vie en les chassant des relations sociales. Et cette force est peu de choses. Laisser son numéro de téléphone pour qu’un migrant ait un ami à appeler, vous avouerez que cela n’est pas renverser les montagnes ni dire à un arbre d’aller se planter dans la mer !
On s’imagine que l’évangile et les Ecritures sont pleins de surnaturel, de merveilleux au sens de magie. C’est la meilleure manière de ne pas écouter l’évangile, de ne pas le mettre en pratique. Avant de nous aventurer dans le festival de guérisons miraculeuses, tenons-nous déjà à faire reculer l’exclusion sous toutes ses formes. La force de Lourdes, ce n’est ni les prétendues apparitions ou guérisons, mais les malades placés au cœur de la vie. Il est des manières de pratiquer de soi-disantes guérisons qui sont l’assurance de ne pas nous convertir, de ne pas nous faire proches des exclus. Une fois encore le religieux, le merveilleux et le surnaturel s’avèrent être non seulement un contresens évangélique, mais une stratégie diablement, diaboliquement efficace pour ne pas écouter l’évangile, pour le piétiner.
On comprend que Jésus ne veuille pas qu’on parle de lui, dans ces conditions. Faire vivre les frères n’est pas une question de surnaturel, juste une question d’humanité. Si nous négligeons de faire reculer les exclusions, nous assumons d’être seulement ! inhumains. Nous viendrions partager le pain pour boire à la coupe de notre condamnation. « Celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s’il ne discerne le corps. » (1 Co 11, 29).
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