Quelques années plus tôt, un autre professeur de théologie, au grand-séminaire, avait écrit comme thèse Prêcher la Trinité. Il estimait que la prédication sur la Trinité n’existait pas, ou était excessivement formelle, et n’aidait pas à entrer dans le mystère de Dieu. Celle qui n’était pas encore canonisée, Elisabeth de la Trinité, l’inspirait par sa manière de s’en remettre au Dieu Trinité. « Oh mon Dieu, Trinité que j’adore. »
« Ecoute Israël, le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un. » (Dt 6, 4). Il ne faudrait pas oublier que ce pour arriver à ce verset, il a fallu beaucoup de temps, et que l’épreuve de l’Exil, autant que l’expérience de la « délocalisation » de Dieu hors de son ou ses temples sont assez récentes dans l’histoire biblique au moment où vit Jésus. Ce n’est pas le lieu de refaire l’histoire du Premier Testament. Retenons que ce que nous appelons monothéisme est d’autant plus central dans la confession de foi de l’Israël romanisé qu’a connu Jésus qu’il a été durement acquis, conversion des mentalités du peuple Juif.
Et voilà que Jésus met le bazar dans ce qu’on comprend du Dieu unique, son Père et notre Dieu. Jésus est assurément un croyant au Dieu unique d’Israël. Mais peut-être faut-il déjà faire attention, Dieu unique ou Dieu un ? Monothéisme ou Dieu uni ? Indiscutablement le Dieu et Père de Jésus est Dieu de l’unité ; il nous convoque à l’unité ; il fait de l’absolue profusion de sa création une unité harmonieuse. Il est l’unification de l’humanité que l’unité de l’Eglise devrait préfigurée.
Jésus met le bazar parce que sa sainteté empiète sur celle de Dieu. Peut-être à ses propres yeux, en tout cas très vite dans l’histoire des disciples, si l’on en croit tout particulièrement l’Evangile de Jean. Encore plus primitivement, l’enseignement de Paul tire du côté du Dieu un cet homme né d’une femme. Impossible de faire de la divinité de Jésus une invention tardive ; mais qu’entendre en ces mots ? L’interrogation trinitaire est tout entière christologique. Que disons-nous de Jésus ? Comment penser au plus juste ce qu’il est face au Dieu un ?
Les premiers siècles jouent un rôle décisif en menant à la profession de foi de Nicée et Constantinople, au IVe siècle. Remarquons que le mot de Trinité ne s’y trouve pas, inventé au début du IIIe siècle. Il me semble que nous sommes aujourd’hui dans un moment où doit être réinterprété et ce qui est rapporté de Jésus par les générations apostoliques, et la réinterprétation qu’en ont faite les générations suivantes, depuis le IIIe jusqu’au VIIe siècle.
Je le disais, il y a quinze jours. Savons-nous ce que nous disons lorsque nous parlons de « personne » divine. Le mot n’a pas aujourd’hui le sens de l’Antiquité ; et à ne pas voir la différence nous faisons dire au dogme trinitaire ce qu’il n’a jamais voulu ni pu dire. Je disais aussi que, plutôt que de s’occuper des trois « personnes », nous gagnerions sans doute à nous focaliser sur la relation qui les unit. Les personnes divines n’existent pas en dehors des relations entre elles, elles existent à partir des relations qui les unit.
Penser Dieu en terme de relation n’est pas nouveau. C’est ce que le Premier Testament et le Second à sa suite appellent l’alliance. L’alliance est non seulement ce qui nous attache à Dieu, mais Dieu lui-même, Dieu tel qu’en lui-même. Alliance est sans aucun doute une manière pertinente de dire la Trinité, de « prêcher la Trinité », de vivre de la vie trinitaire.
En Dieu, rien n’est résultat (d’une action), tout est acte. Dieu lui-même est acte, pur acte d’être. La création pour Dieu, c’est son action créatrice, et c’est lui-même. La relation pour Dieu, c’est la pratique de l’alliance, et c’est lui-même. Ainsi que le dit le dernier concile, de cette unité, de cette unification, action d’unifier, l’Eglise tire son unité, son unification.
Dieu est manifesté en Jésus et dans l’Esprit qui le remplace désormais dans le monde comme celui qui fait l’unité des vivants parce qu’il est lui-même unité, un et qu’il nous fait partager cette unité dès lors qu’il nous crée, nous aime, nous souhaite vivants de son amour.
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