10/10/2023

« C’est un très bon ami que le Christ » Ste Thérèse de Jésus (Dimanche 15 10 2023)

 

Au carmel, solennité qui l'emporte sur le dimanche

Dans l’Espagne du XVIe siècle, un nombre certain de chrétiens ne peuvent se contenter de pratiquer une religion ‑ accomplir des rites et suivre le chemin d’une commune morale ‑ en guise de suite, de discipline du Christ. Parmi eux, des femmes, religieuses ou non.

Thérèse de Jésus se rie des discours qui estiment qu’aux femmes, il suffit des Pater et quelques Ave ? Le dieu là-haut, explication froide ou horloger, peu lui chaut. Le Maître n’est pas comme ceux « qui mettent toute leur grandeur dans des marques d’autorité postiche. Il y a des heures pour leur parler et ceux qui leur parlent sont des privilégiés. »

L’amitié avec Jésus ‑ il s’agit de cela ! ‑ disqualifie et doit remplacer les obligations de la religion. On peut parler naïvement voire de façon niaise : « Je m’adresse souvent à lui sans savoir ce que je dis. C’est l’amour qui parle, et l’âme est si hors d’elle que je ne vois plus la différence qu’il y a d’elle à Dieu. A la pensée de l’amour de Sa Majesté pour elle, elle s’oublie, elle croit être en lui ; comme sa propre chose sans séparation, elle dit des folies. »

Oh là ! L’âme à ce point unie à son Seigneur qu’il n’y a plus de séparation ? Effectivement, « elle dit des folies ». L’union de l’âme à Dieu est un vieux thème, plus grec que vétérotestamentaire. Et il n’est pas même certain que selon le Nouveau Testament, malgré la demeure de Dieu chez les hommes, on puisse, on doive parler ainsi.

Mais Thérèse a bien entendu, bien lu. La vie éternelle, c’est la vie avec Dieu, son amitié, et ce n’est pas pour après la mort. Point besoin d’aller au ciel pour trouver Dieu. « Là où est Dieu, là est le ciel » et donc aussi une cellule de monastère ou de prison, les vastes horizons ou les lieux trop exigus de nos misères. Une âme « n’a pas besoin d’aller au ciel pour parler à son Père éternel et se délecter avec lui ». « Le ciel n’est-il pas à l’intérieur de nous-mêmes, puisque le Seigneur est en nous ? »

« Oh, si seulement quelqu’un savait expliquer la nature de cette sainte compagnie avec le compagnon des âmes […] lorsque cette âme veut rentrer au-dedans d’elle-même dans ce paradis avec son Dieu et ferme la porte à toutes les choses du monde ! Comprenez bien qu’il ne s’agit pas ici d’une chose surnaturelle. »

Il faut garder les pieds sur terre pour marcher avec Dieu et vivre de sa vie. « Croyez-moi, si l’amour de Dieu, ou plutôt ce qui nous semble tel, excite nos passions de façon […] à nous empêcher d’écouter la raison, il est clair que nous nous recherchons nous-mêmes. » La vie éternelle sur terre, c’est réfléchir, raisonner sainement. Les enthousiasmes et autres élévations, nous en détournent. Elles en sont le contraire. On ne vit de et avec Dieu qu’en vivant terrestre ; c’est du moins la prédication évangélique.

Suivre Jésus c’est, pour les terriens, les adamiques, s’éprouver comme traversés par une autre vie appelée éternelle, qui n’est pas surnaturelle. Ne surtout pas quitter le monde (si ce n’est, et le plus possible, ce qui dans ce monde est immonde, inhumain, monstrueux et pourtant humain trop humain) pour la nouvelle naissance dite à Nicodème.

Thérèse, tout comme nous, est confrontée à quelque chose de contre-intuitif mais typiquement évangélique. Le lieu du divin, c’est l’humain ; l’humain comme lieu du divin est ré-généré, ré-engendré, res-suscité. Il ne faut évidemment pas entrer de nouveau dans le sein de sa mère ! Mais comment dire ? Comment faire ?

La langue de Thérèse, à bien des endroits, laisse entendre l’extraordinaire. Ne nous y trompons pas. Il n’y a rien de surnaturel, inexpliqué, irrationnel. L’extraordinaire est ce qui advient dans cet enfantement nouveau. La langue se débrouille comme elle peut pour dire cela tandis que la charité nous maintient en la terre, avec les sœurs, les frères, l’humanité.

« C’est un très bon ami que le Christ, car nous voyons l’Homme en lui, nous voyons ses faiblesses, ses épreuves, et il nous tient compagnie. […] Embrassés à la croix, advienne que pourra. »

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