17/11/2023

Parabole des talents (Mt 25, 14-30) : fin du mérite (33ème dimanche du temps)

La parabole des talents est souvent lue comme une allégorie – terme à terme, il suffit de transposer l’histoire en un autre champ sémantique et le sens apparaît – de type moralisant. Tout cela souffre d’un anachronisme évident puisque le sens moral de "talent" découle des lectures de la parabole et ne peut être appliqué rétroactivement sur ce que Jésus a dit.

Cette lecture morale est impossible. Le texte précise que chacun reçoit selon ses moyens. Or celui qui se fait rentrer dedans jusqu’à être « jeté dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents » est le plus démuni. Ce n’est guère du genre de l’évangile de chasser les minus habens, les petits. L’affaire est si embêtante que le lectionnaire offre la possibilité de ne pas lire la sanction du troisième serviteur, s’arrêtant aux félicitations reçues par les deux premiers.

Rien dans le texte ne dit que le maître a demandé à ce que l’argent confié rapporte. Et les traductions euphémisent la formule pour que l’histoire soit cohérente, comme si Jésus racontait des histoires insensées ! Il faut au minimum lire que le Maître transmit ses biens. Le verbe est celui de la tradition, de la transmission de l’héritage. Donner, c’est donner ; reprendre, c’est voler ! Le Maître donne. Il fait héritier des serviteurs. Voilà qui étonne, à ce point que le traducteur ne peut comprendre et entraîne dans son étroitesse d’esprit tous ceux qui entendront sa traduction. Traite !

Autre euphémisation. Il ne faudrait tout de même pas choquer le bourgeois ou malmener les simples ! Le Maître ne demande pas des comptes, mais règle ses comptent. Je ne sais qui est ce sale type. Pourtant, quelques lignes plus haut – mais la mauvaise traduction interdit de l’entendre – le Maître est montré d’une générosité sans pareil.

Si, comme on peut le penser, ce Maître tient la place de Dieu, on constate qu’il existe deux grands types de conceptions, de représentations, d’images de Dieu. Est-il l’absolu généreux, le donateur gracieux, ou le comptable impitoyable, qui a des comptes à régler ? Que choisissons-nous ? Quelle est notre image de Dieu ? En quel Dieu avons-nous mis notre foi ?

Dieu ne demande ni à ce que nous soyons rentables, ni à ce que nous lui rendions des comptes. Des parents qui attendraient cela de leurs enfants seraient bien indignes, alors même que l’éducation au mérite et à la rétribution reste trop souvent de mise. Lorsque les enfants échouent, ne convient-il pas autant qu’il est possible de les soutenir, inconditionnellement, méritant ou non, sans cesse espérant contre toute espérance, qu’ils finiront un jour par réussir à voler de leurs propres ailes en adultes responsables ? Si c’est cela que l’on attend des parents, combien plus de la part de Dieu.

Luther a raison sur ce point au moins. Le mérite n’est pas compatible avec la grâce, parce que la grâce est don inconditionnel. Cela ne signifie pas que l’on pourrait faire n’importe quoi de sa vie, seulement que Dieu est la générosité de la vie, le salut, la vie en abondance, et lui seul. Vous pouvez bien faire tout ce que vous voulez de bien, de bon, le don de Dieu reste gratuit. Votre vie n’achète pas la grâce. Nous ne méritons pas la grâce, non que nous ne serions que d’indignes salauds, mais que Dieu est don.

La parabole raconte ce à quoi mènent nos raisonnements ou conceptions de Dieu selon la rétribution et le mérite. Ah oui, Dieu règlerait ses comptes ? Ah oui, Dieu rétribuerait aux mérites ? Je te conseille d’être assuré de tes mérites, parce qu’avec cette logique, cela va mal finir, cela ne peut que mal finir. Comment un serviteur qui pense si mal de son Dieu pourrait-il espérer recevoir quoi que ce soit ? « Je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. » Traiter le maître de voleur et s’étonner que cela se passe mal…

Si l’on n’avait pas une anti-parabole, le troisième serviteur aurait dit : « Seigneur, je savais que tu es un homme de la grâce : tu ne cesses de semer pour que tous aient de quoi vivre, tu répands le grain pour que tous puissent le ramasser. J’ai vécu de ton don pendant ton absence. Tu nous as tant maqué. Dans la confiance je t’ai espéré. » Et le Maître de répondre : Serviteur bien-aimé, en toi je mets toute ma joie. Ta foi t’a sauvée, ta foi est salut. Entre dans la joie de ton Maître. »

1 commentaire:

  1. Curieuse traduction (regler ses comptes) de "sunairei logon": rassembler ensemble la parole, saisir ensemble... On oublie aussi qu'il ne s'agit nullement de rendre les talents, mais d'en présenter d'autres, pas les mêmes. Un peu comme un enfant, à qui les parents ont donné des bases de musique qui, un jour, leur joue d'un instrument qu'eux mêmes ne maitrisent pas, pour la joie de tous. Dans la parabole, le mot "autre" a une très grande importance. Des oeuvres, jésus disait même que "vous en ferez de plus grandes"...

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