12/01/2024

Bénédiction de la caresse. « Le Seigneur est pour le corps » (2ème dimanche du temps)

Andrès Serrano, Piss Christ (1987)

Il est des termes difficiles à traduire, surtout pour ouvrir une lecture de la messe. « Le corps n’est pas fait pour la débauche » dit le lectionnaire (1 Co 6, 13b-20). Peut-être aurait-on mieux fait de traduire par prostitution, le sexe comme produit de consommation, où c’est l’autre qui est en définitive consommé, comme l’indique l’étymologie grecque. Dans les Ecritures, porneia s’entend en outre comme idolâtrie ; le peuple se prostitue à servir d’autres dieux, dans des Fornix, lorsque le sanctuaire est une caverne de prostituées !

Ça commence fort et continue plus fort encore. « Le corps est pour le Seigneur et le Seigneur est pour le corps. » Si je reformule en des termes que je n’aime guère mais qui sont sans cesse employés, le spirituel et le charnel ou le matériel ne s’opposent pas ; le corps jusque dans la sexualité ‑ une sexualité non pornographique, idolâtrique, destructrice ‑ est pour le Seigneur, et le Seigneur est pour le corps y compris dans sa dimension sexuée.

Si tels sont bien les propos de Paul, en butte aux habitants d’un port où se pratique la prostitution, où les corps s’achètent comme un morceau de pain, alors nous venons d’entendre une bombe ; Paul n’a peur de rien ; il pousse le bouchon plus loin que les pratiquants dévots du corps. Le corps n’est pas pour la débauche ‑ c’est un contre-sens ! ‑ puisqu’il est pour le Seigneur, mieux, le Seigneur est pour le corps.

« Quand ils mangent leur pain, ils mangent mon peuple. » (Ps 14) « Leur dieu, c’est leur ventre. » (Ph 3, 19 et cf. 1 Co 6, 13a) La quête débridée de l’argent et du pouvoir est aussi pornographique, préoccupation de soi au point de dévorer les autres, ne pas regarder le visage du frère, stratégie pour effacer ce qu’il y a de fini, de périssable, dans le corps, dans la vie. Non que l’on devrait cesser de s’insurger, d’aspirer à une surrection ; oui scandale de la fin, de la mort qui soulève jusqu’au cœur de Dieu, lui qui n’a pas fait la mort (Sg 1, 13). Mais se résigner à la finitude, peut-être même consentir, serait éthique, sollicitude envers autrui, ne pas éteindre la mèche qui faiblit ni briser le roseau froissé (Is 42, 3). Ne pas bouffer les frères, s’en repaître.

Dans la lettre de Paul, on passe du corps de chacun à chacun membre du corps du Seigneur ; du corps à nourrir au pain partagé ; des membres dont on prend le plus grand soin à la résurrection. Le plus intime est universel. C’est parce que le corps est politique qu’il est pour le Seigneur ; c’est parce que le Seigneur est pour le corps que la nourriture est eucharistique.

« Celui qui s’unit au Seigneur ne fait avec lui qu’un seul esprit. », la chose la plus étrange. Si tu veux être à Dieu, cela ne passe que par l’épaisseur de ton corps, le plus concret de ta vie, le plus trivial, ce qui signifie exactement ‑ c’est juste dit d’un autre point de vue ‑ que cela ne passe que par ta manière d’être avec les autres, membres d’un corps. La vie dans l’Esprit ‑ ce que devrait toujours signifier spiritualité ‑ est ici et maintenant résurrection des corps, vie avec et pour les autres, soin de tous à commencer par qui est sur le point de s’éteindre, de s’effondrer sous le poids de la vie ‑ chienne de vie, si souvent. Le reste est une vaste illusion, fuite, tromperie, idolâtrie.

Le Seigneur est pour le corps ! Où est le mépris du corps, ascétique autant que socratique, soma-sema, corps-prison ? Où est le corps qui écarterait de Dieu ? Les disciples ne s’étonneront pas que Dieu lui-même habite le corps, le monde, l’humanité ; un homme est sa parole, son évangile, la bonne nouvelle qu’il souhaite faire entendre, une libération par amour.

La divinité ne s’oppose pas à l’humain, mais est pour le plus spécifique de l’humain, le corps, le corps sexué (susceptible de porneia). La divinité révèle au plus épais de l’humain qu’il y a en lui qui excède ce qu’il est, le fait déborder, sollicitude envers autrui, soin d’un monde à aimer, désir de justice par amour. « Ne le savez-vous pas ? Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint, lui qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu. »

Qui croira que la sollicitude envers autrui puisse être porneia, débauche : elle ne correspondrait pas à une conception de la sexualité sur laquelle des évêques s’assoient quand il s’agit de pédocriminalité ou de tout autre crime sexuel ? Qui croira que la caresse qui effleure pour ne pas posséder et laisser l’autre exister (Levinas), lui révélant par la tendresse la fin ‑ à tous les sens ‑ de son corps, vibration qui appelle l’autre, serait porneia interdisant toute bénédiction, alors que la bénédiction a été largement répandue sur des criminels sexuels, que le système dont les évêques sont les gonds favorise le crime qui détruit les corps ?

Que le corps est sacré, temple du divin, il est indispensable de le rappeler comme une bonne nouvelle. Cela s’appelle une bénédiction.

A propos de l'illustration



Hay términos difíciles de traducir, sobre todo para abrir una lectura de la misa. «El cuerpo no está hecho para el libertinaje», dice el leccionario (1 Co 6, 13b-20). Quizás habría sido mejor traducir por prostitución, el sexo como producto de consumo, donde es el otro el que se consume, como indica la etimología griega. ¡En las Escrituras, porneia se entiende además como idolatría; ¡el pueblo se prostituye a servir a otros dioses, en Fornix, cuando el santuario es una cueva de prostitutas!

Comienza fuerte y continúa más fuerte. «El cuerpo es para el Señor y el Señor es para el cuerpo.» Si reformulo en términos que difícilmente me gustan, pero que son continuamente empleados, lo espiritual y lo carnal o lo material no se oponen; el cuerpo hasta en la sexualidad ‑una sexualidad no pornográfica, idolátrica, destructiva‑ es para el Señor, y el Señor es para el cuerpo también en su dimensión sexual.

Si estas son las palabras de Pablo, que se enfrenta a los habitantes de un puerto donde se practica la prostitución, donde los cuerpos se compran como un trozo de pan, entonces acabamos de escuchar una bomba; Pablo no tiene miedo de nada; empuja el tapón más allá de los practicantes devotos del cuerpo. El cuerpo no es para el libertinaje ‑¡es un contra-sentido!‑ porque es para el Señor, mejor, el Señor es para el cuerpo.

«Cuando comen su pan, comen mi pueblo.» (Sal 14) «Su dios es su vientre.» (Flp 3, 19 y cf. 1 Co 6, 13a) La búsqueda desenfrenada del dinero y del poder es también pornográfica, preocupación por si-mismo hasta el punto de devorar a los demás, no mirar la cara del hermano, estrategia para borrar lo finito, de perecedero, en el cuerpo, en la vida. No es que se deba dejar de sublevarse, de aspirar a una surrección; sí, escándalo del fin, de la muerte que levanta hasta el corazón de Dios, él que no ha hecho la muerte (Sb 1, 13). Pero resignarse a la finitud, quizás consentir, sería ético, solicitud por los demás, no apagar la mecha que se debilita ni romper la caña arrugada (Is 42, 3). No te comas a los hermanos.

En la carta de san Pablo se pasa del cuerpo de cada uno a cada uno de los miembros del cuerpo del Señor; del cuerpo que hay que alimentar al pan dividido; de los miembros de los que se cuida más a la resurrección. Lo más íntimo es universal. Porque el cuerpo es político, es para el Señor; porque el Señor es para el cuerpo, el alimento es eucarístico.

«El Señor se une al cuerpo». Cosa tan extraña. Si quieres ser de Dios, solo pasa por el grosor de tu cuerpo, el más concreto de tu vida, el más trivial, lo que significa exactamente –solamente dicho desde otro punto de vista‑ que solo pasa por tu manera de estar con los demás, miembros de un cuerpo. La vida en el Espíritu ‑lo que siempre debería significar espiritualidad‑ es aquí y ahora resurrección de los cuerpos, vida con y para los demás, cuidado de todos a comenzar por quién está a punto de extinguirse, de derrumbarse bajo el peso de la vida perra, ‑qué vida más perra, tan a menudo. El resto es una ilusión terrible, huida, engaño, idolatría.

¡El Señor es para el cuerpo! ¿Dónde está el desprecio del cuerpo, ascético tanto como socrático, soma-sema, cuerpo-prisión? ¿Dónde está el cuerpo que apartaría de Dios? Los discípulos no se asombrarán de que Dios mismo habita el cuerpo, el mundo, la humanidad; un hombre es su palabra, su evangelio, la buena nueva que desea hacer oír, una liberación por amor.

La divinidad no se opone a lo humano, pero es para el más específico de lo humano, el cuerpo, el cuerpo sexuado (susceptible de porneia). La divinidad revela al más grueso del hombre que hay en él que supera lo que es, lo desborda, la solicitud por el prójimo, el cuidado de un mundo para amar, el deseo de justicia por amor. «¿No lo sabéis? Vuestro cuerpo es un santuario del Espíritu Santo, que está en vosotros y que habéis recibido de Dios.»

¿Quién creerá que la solicitud hacia los demás puede ser porneia, libertinaje: no correspondería a una concepción de la sexualidad sobre la que los obispos se sientan cuando se trata de pedofilia o de cualquier otro delito sexual? ¿Quién creerá que la caricia que roza para no poseer y dejar existir al otro (Levinas), revelándole por la ternura el fin ‑a todos los sentidos‑ de su cuerpo, vibración que llama al otro, sería porneia prohibiendo toda bendición, mientras que la bendición ha sido ampliamente difundida sobre los criminales sexuales, que el sistema cuyos obispos son los garantes favorece el crimen que destruye los cuerpos?

Que el cuerpo es sagrado, templo de lo divino, es indispensable recordarlo como una buena noticia. Se llama bendición.

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