04/10/2024

Ce que Dieu unit (27ème dimanche du temps)

 

Le prophète Osée épouse Gomer la prostituée, Bible de Saint Evroult d'Ouche, v. 1240-50

Comment peut-on justifier un impératif moral et juridique sur une réponse de Jésus dans un cadre polémique, un piège dont il s’agit de se tirer (Mc 10, 2-12). Jésus pense-t-il ce qu’il dit ou trouve-t-il seulement une astuce pour sortir de l’épreuve à laquelle il est soumis ? Imaginons que Jésus s’exprime de lui-même sur les couples recomposés. Que dirait-il ? Il n’est guère dans son style de déprécier les gens, tout spécialement les pécheurs, puisque c’est ainsi qu'est qualifiée une nouvelle union (si le premier conjoint est encore en vie). Maintiendrait-il qu’il s'agit d'un adultère ? Si Jésus devait parler de la conjugalité ne considèrerait-il pas nos existences sexuées, grandeurs et misères, grandissements et mensonges, accomplissements et petits meurtres entre époux ? Peu légaliste - il ne condamne pas la femme adultère mais morigène ses juges - il considérerait sans doute que la sexualité engage nos désirs, limites, espérances, y compris démesurées, notre souci d’autrui jusque dans la radicalité du don de soi.

Nous savons ‑ et Jésus ne pouvait pas ne pas savoir ‑ la difficulté de la vie matrimoniale ; ses joies, certes, mais aussi l’enfer, pour combien de femmes surtout, écrasées, ignorées, battues. La liberté des mœurs n’y change rien. A l’époque de Jésus, ainsi qu’en témoigne la lettre des Ecritures, c’est toujours la femme qui est adultère. Dire que l’homme l’est, qui quitte une femme, c’est non seulement pour Jésus se sortir d’un piège, mais jeter une bombe dans les évidences ininterrogées des sociétés, une gifle à la domination masculine.

Pourquoi insiste-t-on tellement sur la mort de Jésus comme assomption de la condition humaine et ne dit-on rien de sa sexualité ? On a juste de quoi comprendre qu’il est célibataire. Les premiers chrétiens ont vu dans son style de vie une invitation à la liberté par rapport aux impératifs sociaux concernant la sexualité. Des hommes et plus encore des femmes, contrairement au langage contemporain, n’ont pas renoncé à tout pour le suivre, mais ont trouvé la liberté à le suivre dans le célibat. Pour les femmes, c’est échapper au chaperonnage d’un père, d’un frère ou d’un mari. Thérèse d’Avila le dit explicitement. C’est encore ce qui est vécu par nombre de religieuses dans des sociétés patriarcales. Lorsque la non-fécondité est une malédiction, une situation contre-nature ‑ comme l’est aujourd’hui l’homosexualité pour les homophobes ‑ ne pas se marier, ne pas engendrer, c’est échapper à une injonction de la nature. Les couples inféconds, du fond de leur épreuve, le vivent. La spécificité de l’humanité se laisse deviner tant par la stérilité choisie ou non ; la vie humaine n’a pas pour but la reproduction, à la différence de celle des animaux.

On entendrait le célibat comme une révolte contre la nature, comme revendication de la liberté, le discours ecclésial idéaliserait moins le soi-disant don total. Jésus, rebelle contre un ordre que l’on attribue trop souvent à Dieu, résistant contre l’ordonnancement divin ?

La sexualité, comme chacun sait, est autre chose que la génitalité. Nous parlons, nous fantasmons le sexe ; nous décidons des rapports, sans quoi c’est un viol. C’est unique parmi les vivants. Aussi, cela ne devrait pas étonner que selon le contexte social et historique, la pratique sexuelle ait des sens bien différents. Lorsque l’espérance de vie est courte, lorsque la durée moyenne d’une union ne dépasse pas dix ans, lorsque l’on est contraint de se remarier une, deux voire trois fois pour élever les enfants (ce qui est courant encore au XIXe en France), quel est le sens d’un mariage pour toute la vie ? Quand le discours sur le célibat consacré comme don de soi apparaît-il, et pourquoi ? Après avoir été considéré comme un acte héroïque, il paraît qu’il serait aujourd’hui davantage assumé par les futurs prêtres comme un manque, une faiblesse. Quand l’amour et le consentement deviennent-ils constitutifs d’une alliance matrimoniale, et pourquoi, sous quelles influences ? Que faut-il que l’on pense du mariage pour faire de la femme une monnaie d’échange entre clans, entre dynasties ? Que vaut la vie d’un homme s’il doit épouser une femme choisie par d’autres que lui ? Que dénonce comme conception de la conjugalité les expressions d’enfants naturels ou légitimes ? Quelle révolution juridique est-ce que le droit des enfants adultérins soit le même que celui des autres enfants ?

Même si c’est sujet de débat, on accepte assez bien un roi adultère au Grand siècle. Le théâtre de boulevard du XIXe ne met que l’infidélité en scène, comme si elle allait de soi. Les reconnaissances de nullité de mariage, même si elles libèrent les personnes, sont bien souvent des hypocrisies, qui reconnaissent sans le dire, qu’il est possible de contracter une nouvelle union. On ne peut le dire, et parfois fort nécessairement, parce que dans le couple qui se défait, il arrive souvent qu’il y en ait un de laissé sur le bord de la route, et l’on ne saurait valider moralement cet abandon.

Depuis la Révolution française l’Eglise veut régner sur la famille par son regard inquisiteur sur la sexualité. S’agit-il d’impératifs moraux ou d’une stratégie de pouvoir ? Quel est alors la pertinence de l’interdit du divorce ? Dieu n’unit rien du tout. Nous sacralisons par son nom ce que nous jugeons intangible, qui n’est autre qu’un pouvoir sur les corps… par les mâles, même si c’est en train de changer pour le meilleur et le pire. Nous instrumentalisons le divin pour consacrer les règles sociales et morales. Reconnaître avec Vatican II que le bien des époux est aussi un des buts du mariage crée un séisme dans la doctrine, modifiant substantiellement le sens de l’acte sexuel. Le sacrement n’est pas sacralisation d’une union mais la confession de foi parabolique pour dire la fidélité indéfectible de Dieu à partir de nos bricolages. Ce que Dieu a uni, c’est l’humanité avec lui, la faiblesse avec lui, la misère avec lui, la grandeur avec lui. Et cela, que l’homme ne le sépare pas !

12 commentaires:

  1. Merci Patrick, c'est tellement une évidence pour nous qu'on se demande comment et surtout pourquoi l'Eglise s'arque boute sur cette question ...après toutes les révélations de tout ordre en plus !

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  2. Reçu ce jour :
    Merci infiniment pour ce texte qui sonne tellement juste Patrick Royannais ! Sans avoir tous vos arguments, je ressens les choses ainsi depuis longtemps, et cela passe mal dans un certain milieu catho. Combien de fois ai-je haï les homélies données après cet évangile ! Je me souviens de messes de semaine où il tombait et nous, assemblée de femmes veuves, divorcées car quittées, aux vies cabossées parfois, ou célibataires de toujours nous prenions dans la figure des homélies sur l'incompressible fidélité entre époux voulue par le Seigneur ! La colère prenait en moi le pas sur la culpabilité qu'on cherchait à m'inculquer.
    Votre courageuse homélie vient pour moi comme un réconfort, et je vais m'empresser de la partager à une amie très croyante qui vit un enfer dans son couple, avec en plus un entourage catholique qui lui instille que ses pensées de divorce lui viennent du diable, le "sacrement de mariage" passant au dessus de toute dissension et qu'elle doit prier pour un miracle.
    Or je le sais, quand on partage la vie d'un pervers narcissique par exemple, il n'y a rigoureusement aucune chance de miracle conjugal...
    Merci à vous du fond du cœur, cette amie désirait que j'écrive à ce sujet mais je ne m'en sentais ni la compétence, ni la légitimité. VB

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  3. A aucun moment ce texte d'évangile ne se situe dans le champ institutionnel . Jesus refuse de prendre partie dans la controverse entre rabbi Shammai et rabbi Hillel . Il est donc très étonnant que l'eglise se serve de ce texte pour faire l'apologie d'une forme de mariage qui n'est apparue que dans la bourgeoisie au XIX° siècle.
    Jesus ne parle que de la qualité de la relation interpersonnelle entre hommes et femmes independamment du statut social de cette relation

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  4. René Perret6/10/24 09:34

    Un grand merci pour votre texte si pertinent sur ce sujet si rarement expliqué avec la clarté évangélique qui vous inspire. Je vais le garder et le partager, car son contenu de Bonne Nouvelle fera du bien à qui le lira. Fraternelles salutations à vous.

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  5. Je recopie à nouveau :
    Je partage votre point de vue mais cependant je ne comprends pas : pourquoi Jésus dit il alors que celui qui renvoie sa femme et en prend une autre est adultère ? Ça, je ne comprends pas. CP

    Je ne sais pas. Je constate que 1. Jésus traite l'homme d'adultère. D'habitude, c'est la femme. Ce changement est-il à prendre au premier degré (Jésus n'est plus avec les phairisiens mais avec les disciples) ou bien les disciples pensent-ils comme les pharisiens, ou bien au second degré, la logique d'un discours en permis/défendu poussée à l'extrême aboutit à ce genre d'affirmations impossibles ?
    2. lorsque l'homme répudie la femme, qui n'a quasi pas de droits sans son chaperon, Jésus fait du mâle un homme hors la loi, lui aussi.
    3. Lorsqu'un conjoint laisse tomber l'autre comme une vieille merde, il y a une injustice et une violence telle que c'est pour le moins aussi grave que d'être pris en flagrant délit d'adultère.

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  6. Eric Zeltz6/10/24 22:35

    Vous dites que pour "la lettre de l'Ecriture", c'est toujours la femme qui est adultère, et non l'homme.
    Pourtant le cas le plus célèbre d'adultere relaté par la Bible concerne et condamne bel et bien un homme, et pas n'importe lequel: le roi David.

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    1. Merci de lire correctement. "A l’époque de Jésus, ainsi qu’en témoigne la lettre des Ecritures, c’est toujours la femme qui est adultère." Si c'est à l'époque de Jésus, les Ecritures en question ne peuvent guère être celles du Premier Testament, et les personnages visés ceux de ce même Testament.

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    2. Eric Zeltz7/10/24 10:49

      Et que faites vous de Mt 5, 27 ?

      "En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur."

      " vous avez appris", et il s'adressait à des hommes ici, pas à des femmes.
      Non, ça ne tient pas ce que vous dites la dessus.

      Je vous mets l'homélie d'hier de mon petit cure de campagne. Là ça ne cherche pas à être dans l'air du temps et catient la route:
      https://acrobat.adobe.com/id/urn:aaid:sc:US:8139ce7e-53bd-410c-a181-363e9c3394a5

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    3. Que voulez-vous ? Que cherchez-vous ?
      Je vous mets au défi de trouver l'expression "homme adultère" dans les Ecritures, à part dans la bouche de Jésus. Et c'est un renversement considérable. Pourquoi ne voulez-vous pas le voir ? C'est seulement un fait grammatical. Certes, le mâle commet l'adultère, mais c'est toujours la femme qui est adultère.
      Avant de faire de la théologie ou de l'idéologie, commençons par lire. Et vous verrez que ce n'est pas moi que vous corrigez, mais les Ecritures. C'est votre droit, après tout. C'est juste un peu compliqué à justifier quand on reproche à l'autre de ne pas les lire correctement.

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    4. Eric Zeltz7/10/24 15:12

      Quand il y à une grosse erreur, sur laquelle repose une bonne partie de votre raisonnement, il est normal et même souhaitable de vous la faire remarquer!

      Alors petite explication de texte:
      "Vous avez appris" veut bien dire qu'ils l'ont appris et pas par Jesus mais par la Bible qu'ils connaissaient comme tout juif pieux. Oui ou non!
      Et vous avez appris quoi? Que "vous ( le disciples à qui Jésus s'adressait, qui étaient sans doute les apôtres et donc des hommes) ne devez pas commettre l'adultère".
      Et ce que rajoute Jésus à cette tradition et ce commandement, c'est que le simple fait de regarder une femme avec désir, c'est déjà commettre l'adultère, et bien sûr pour l'homme, pas pour la femme qui subit le regard concupiscent.
      Mais les hommes de l'époque de Jésus avaient parfaitement conscience qu'en couchant hors mariage avec une femme, ils commetaient l'adultère!

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  7. Patrick, c'est très touchant et bouleversanr ce que tu dis là. Je partage notamment ton idée que c'est un abus intellectuel et moral, que de fonder non seulement une théologie du mariage mais aussi une législation du mariage à partir de ce verset.
    Mais au delà de ce point, tes propos posent un problème herméneutique insolvable dirais-je...parce qu' on ne serait statuer la nature des paroles prononcées par Jésus,
    eu égard au reste du texte évangelique, e
    pris comme une unité littéraire. Quand est-ce-qu'il s'agit d'une antiphrase, quand d'une exagération, quand d'une hipérbole, et ainsi de suite. Sans poser un cadre sémantique articulé et faire des choix dogmatiques une lecture qui se voudrait à l'abris de toute systématisation et se moquerait de la cohérence de toute proposition théologique, est subrepticement plus incline à l'arbitraire et à l'instrumentalisation auxquelles elle prétend échapper. Ou bien, elle finit par absolutiser les versets en favorisant les contre-sens. Mais je comprends, devant un texte biblique, on ne peut faire autrement et voilà que c'est embarrasant. Comme tu le fais dans ton commentaire, on est poussé à faire des présupposés sur ce que Jésus aurait pensé ou ressenti, parfois même à l'encontre de ce qui est écrit et de façon parfois selective. Voyons : certes, dans ce passage, le contexte est une mise à l'épreuve et la réponse de Jésus la déjoue. En ce sense, il ne dicte rien sur le mariage, mais en te lisant j'ai l'impression tout le discours du Jésus n'a pas le contenu que lui prête le texte de l'évangile mais qui sert simplement de pretexte pour dire presque le contraire, puisque tu conclues que concernant le mariage, Dieu n'unit rien de tout. Cependant, les versets plus loin montrent un autre contexte, d'intimité, de confiance, à priori, si l'on est permis de faire à nouveau de suppostions, où les disciples, à la maison, lui demandent à nouveau ees explications et là, l'évangéliste choisit certes d'introduire la parité, mais reprends simplement la question de manière très mécanique. Va-t-on forcer le trait et essayer de sauver une posture déterminée de la part de Jésus. Mais laquelle? Jésus mentionnerait l'adultère sans aucune référence à l'engagement matrimonial? Soit, et on prend la liberté des Pères de l'Eglise de faire une lecture d'avantage alegorique.... Mais alors, pourquoi devrait on prendre dans toute sa réalité, la figure de la femme adultère? Et la réponse de Jésus dans ce passage, sur quelle partie va-t-on mettre l'accent? Sur "moi non plus je ne te condamne" ou sur "va et ne pèche plus"? Et que faire des implications de l'une ou l'autre aspects de la réponse. Et on pourrait également apporter une critique méthodologique de la lecture (libérale ou classique) qu'on voudrait donner au passage de Marthe et de Marie, par exemple : (quel est la posture de Jésus face à chacune d'elle et qu'elle idée du service au prochain en découle), et ainsi de suite. À mon sens, la clé de sortie et d'intelligibilité se trouve toujours non dans la recherche d'un paradoxe, conciliation impossible des contraires, contraste fructueux de rigueur d'esprit rt liberté de pensée, au seul profit de la charité, qui est la seule à dire la foi, comme tu l'as dit précédemment à un moment.

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  8. Je ne sais à qui je réponds. Merci pour cette remarque.
    Je me fais souvent la réflexion d'un canon dans le canon. Je ne sais si c'est la justification par la foi, comme Luther. Peut-être est-il possible d'en avoir plusieurs, principe herméneutique propre à chaque lecteur, non que l'on puisse choisir n'importe lequel, mais que sans doute, plusieurs sont possibles.
    Après le dieu pervers de Bellet, après l'année de la miséricorde, avec l'enseignement de François, compte-tenu de ma vie, je choisis, non sans raisons, la miséricorde comme canon dans le canon.
    Il y a des lignes décisives de Thérèse de l'enfant Jésus à ce sujet.
    « Il me semble que si toutes les créatures avaient les mêmes grâces que moi, le Bon Dieu ne serait craint de personne, mais aimé jusqu’à la folie, et que par amour, et non pas en tremblant, jamais aucune âme ne consentirait à Lui faire de la peine… Je comprends cependant que toutes les âmes ne peuvent pas se ressembler, il faut qu’il y en ait de différentes familles afin d’honorer spécialement chacune des perfections du Bon Dieu. A moi Il a donné sa Miséricorde infinie et c’est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines !… Alors toutes m’apparaissent rayonnantes d’amour, la Justice même (et peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d’amour. » Thérèse de l’enfant Jésus, Manuscrit A, 83v

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