18/10/2024

Ils sont vos maîtres et enseignants (29ème dimanche du temps)

Titien, Le lavement des pieds (détail) v. 1575-80

Être grand, vouloir être le premier, le meilleur (Mc 10, 35-45). C’est ainsi dans les clubs sportifs, les écoles, surtout les plus prestigieuses, dans la culture d’entreprise où il faut des résultats toujours plus ambitieux, etc. Comment récolter des médailles olympiques en dehors de cette logique du premier, plus vite, plus fort, plus haut ? Comment une entreprise crée-t-elle de la richesse si elle n’augmente pas ses parts de marché et sa croissance ? Il y en a assez de ceux qui profitent du système, assistanat, qui refusent de se remuer. Ils ont reçu eux aussi des talents et c’est trop facile de ne pas les faire fructifier. Dès lors, il y a eux et nous, ceux qui ne voient pas la nécessité de faire plus et mieux, et nous, du « bon » côté.

La mentalité de gagneur et d’excellence vaut aussi pour la foi. Quand on est disciple, que l’on a conscience de ce que cela représente, il importe de faire partie des meilleurs, de progresser vers la sainteté, puisque l’on a choisi de suivre le « bon maître ». Il y a nous et les autres, nous et le monde, nous et nos contemporains, eux et nous. Les autres ne partagent pas le plus important, ne le tiennent pas autant qu’il le faudrait ou comme il le faudrait. Ils ne sont pas pratiquants, ils n’ont pas compris ce que signifie être disciples-missionnaires, ils sont insuffisamment formés, ils ne prient pas. Ils ignorent la culture chrétienne voire la refusent.

Dans le catholicisme, comme il est requis d’aimer jusqu’à ses ennemis, la conviction d’être dans le vrai transforme le sentiment de supériorité en condescendance, en paternalisme (et ce n’est pas pour rien si les prêtres sont dits pères). Parce que l’on a bien compris qu’ordinairement, il est non seulement contreproductif mais contraire à l’évangile de juger les autres, on leur pardonne beaucoup parce qu’ils ne peuvent pas comprendre, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font, ou plutôt ne font pas.

On n’a même pas l’impression de se la raconter, de se penser appartenir aux meilleurs, aux premiers. Il y a bien sûr notre péché et celui de la pastorale ‑ mais qui n’est pas pécheur ? ‑, et puisque nous suivons le « bon maître », lequel est miséricordieux, nos manquements sont l’exception qui confirme que l’on est sur le bon chemin. On se pense supérieur, meilleur que les autres, expressément ou implicitement, en toute humilité !

Cette attitude imbibe toute la pastorale, le regard porté sur des catholiques qui ne pratiquent pas assez et la société déchristianisée qui est, c’est évident, en manque de repères. La société irait bien mieux si chacun était plus sérieux avec sa vie, un peu plus habité par la question spirituelle. On le voit bien, les gens ont soif, preuve qu’il leur manque quelque chose. Reste juste à leur montrer que nous savons ce dont ils ont besoin.

Est-ce abuser que de reconstituer ainsi le discours d’une bonne part de la pastorale ? Assurément je l’entends et de bouches les plus autorisées. Laïcs engagés ou clercs vivent leurs ministères ou leurs vocations comme un service et se pensent donc à l’écoute. Or, ils ne semblent pas imaginer que les pauvres (je veux dire ceux qui ne sont pas premiers) sont leurs maîtres, que les publicains et prostituées les précèdent dans le Royaume, car bien sûr, ceux qui ne sont pas comme eux appartiennent aux pécheurs.

L’exigence évangélique de Jésus de se faire serviteur et esclave ne semble pas concerner ceux qui revendiquent d’avoir reçu par l’ordination autorité. Le service serait non pas le chemin du ministère, mais une forme d’humilité qui n’interdit évidemment pas de prendre les décisions, de gouverner, de trancher. C’est même ainsi qu’on définit le ministère. Il faut être spirituellement serviteur de sorte qu’on est littéralement, au premier degré, de ceux qui gouvernent en maîtres et font sentir leur pouvoir. Spiritualisé, le service devient une conviction qui interdit d’écouter et de voir l’évangile à l’œuvre chez les autres, l’Esprit dicter à l’Eglise ses chemins.

Il n’y a pas d’esclave ‑ c’est le mot (Mc 10, 44) ‑ qui commande. Le munus gubernandi n’est pas de décider mais de permettre que les autres décident. Le magistère ne décide pas de la foi, il à charge de la recueillir et de la conserver. Les paroles de Vincent de Paul aux aumôniers de prison valent bien au-delà de leur contexte et devraient être la charte pastorale de tout ministre, ordonné ou non, de tout baptisé-confirmé-missionnaire. (Je l’élargis à l’ensemble de l’action pastorale :) « Ne vous occupez pas d’un ministère ou d’une responsabilité ecclésiale instituée ou non si vous n’êtes pas disposés à devenir les sujets et les élèves de ceux auxquels vous êtes envoyés. Ceux que l’on considère comme en dehors des clous, ce sont eux qui doivent nous évangéliser. » L’évangélisateur doit se mettre à l’école, se faire esclave jusqu’à se taire (de toute façon la parole n’est pas le plus important mais la charité). Ainsi témoigne-t-il de la puissance évangélique et de l’actualité du Royaume.

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