L’évangile de ce jour propose autant un chemin de conversion, de purification, qu’une critique de ce chemin. Le jeûne, l’aumône et la prière ne suffisent pas à garantir la vérité de l’intention qui les motive. Ils peuvent être détournés de leur vertu alors même qu’ils sont d’authentiques pratiques de la foi, expressions de la foi.
Le jeûne, l’aumône et la prière peuvent être déconnectés de ce dont la pratique rituelle prétend être la mise en pratique. Cet écart entre pratique et sens de la pratique est une caractéristique de la prédication prophétique dont Jésus s’est emparé. Cet écart est critique de l’hypocrisie religieuse qui n’a pas attendu Molière et son Tartuffe pour être dénoncée par les croyants eux-mêmes.
Voilà pourquoi nous ne saurions opter pour quelque pratique que ce soit sans nous interroger sur nos intentions. Il ne suffit pas de se priver de nourriture pour jeûner, ou alors tout régime serait un jeûne ! Il ne suffit pas de prières pour prier, ou alors nous ne faisons rien de différent des païens. Il ne suffit pas de donner pour être généreux, ou alors la corruption devient synonyme de charité.
La conversion évangélique n’est pas affaire de rites mais de vie examinée. Au tamis de la critique, si l’on peut dire, nous sommes invités à relire nos vies. Ne croyons pas cependant que l’examen de conscience soit le but. Il n’est qu’un moyen et seulement dans la mesure où il reconnaît son échec, son impertinence. La découverte de l’inconscient interdit de penser que nous pourrions mettre à nu nos intentions dans une transparence cristalline et infaillible. Plus encore, si nous imaginions qu’à force de vertu, la vie examinée au terme de l’examen de conscience pourrait être purifiée, réformée au point d’ouvrir la voie de la sainteté, nous serions dans l’erreur totale, une nouvelle hypocrisie ou un déni orgueilleux, plein d’hybris, de démesure.
Pour l’homme, c’est impossible. Pour l’homme, la sainteté, c’est impossible. Non que du coup nous soyons dispensés de faire et dire la vérité dans la charité, mais que seul le Saint puisse nous rendre à l’image à laquelle nous avons été créés, la sienne.
Ainsi donc, ne suffisent pas les rites, ni la critique raisonnée de la vie pour entrer dans une démarche de conversion comme celle que nous nous proposons en ce début de carême. Peut-être l’actualité pourrait-elle alors nous offrir un chemin, espérant que ce regard sur le monde nous décentre de nous-mêmes, de nos préoccupations, y compris la préoccupation de notre sainteté. Nous pourrions au moins oser penser que cette sorte de désintérêt de nous-mêmes, non pas mépris, mais suspension de la position centrale que nous cherchons trop, y compris dans notre vie spirituelle, quoi que nous en disions, aura la vertu de nous désencombrer et nous laissera percevoir une voie, qu’obnubilés par notre vertu, ne serait-ce qu’en la cherchant, nous ne pouvons pas voir.
Quelques versets après notre évangile, comme en conclusion du chapitre, on peut lire : Cherchez le royaume du Père et sa justice, et tout [le reste] vous sera donné par surcroît. Dans le monde d’aujourd’hui, dans nos familles, dans la société et sa politique, dans les secousses qui traversent les peuples arabes, qu’est-ce que la quête de la justice, qu’est-ce que la justice qu’il faut chercher d’abord ?
Avant de nous convertir selon des critères que l’on ne remet pas même en cause et qui sont, sans doute pas faux mais peut-être prétexte à ne pas changer là où vraiment nous avons besoin de conversion, accueillons le critère évangélique, celui d’une justice du royaume à découvrir ou instaurer dans notre monde. Parler ainsi, c’est dire que la conversion est politique ou qu’elle n’est pas. Elle est affaire de justice dans notre monde. La conversion en ce sens n’est pas personnelle, pour une vie spirituelle entendue au sens trop commun et encore plus, étroit.
Un exemple. C’est quoi, chercher la justice du Royaume dans les événements du Monde arabe ? Impossible de répondre sans un minimum de connaissance de ce monde, de ses enjeux. A l’heure du village planétaire, la rubrique des chiens crevés n’a plus de place dans nos agendas de lecture. Il y a déjà trop à apprendre sur ce qui se passe dans la rue d’à côté, chez nos voisins… de l’autre côté de la Méditerranée.
Où rencontrer ceux qui vivent cette recherche de justice dans leur propre pays ? Dans les aéroports que nous fréquentons si souvent, chez nos voisins, dans la littérature, le cinéma, les documentaires. Que sais-je ? Nous sommes mis en demeure, pour chercher la justice dans ce monde devenu village, de nous informer, de nous former. Nous ne pouvons dire, comme le criminel Caïn, que nous ne sommes pas responsables de nos frères. C’est le bon sens que la diplomatie française n’a pas partagé, trop sûre de sa science sur des peuples que méprise notre sentiment de supériorité.
L’incompétence d’un gouvernement est signe des temps. Elle interroge notre propre discours et attitude. Quand nous ne savons plus que faire, et de fait, la situation est complexe, attachons-nous au moins à l’évangile : chercher d’abord la justice du royaume. Quant au reste, ne nous inquiétons pas ; cela nous sera donné par-dessus le marché !
Textes du jour : Jl 2,12-18 ; 2 Co 5,20-6,2 ; Mt 6,1-6. 16-18
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