Le texte de Mgr Simon (La Croix 14 mars 2011) pour parler de l’Islam en France parle de l’Eglise en France. Le procédé est curieux, tout comme sa justification, dès l’ouverture, le rapport entre autorité et compétence. On pourrait donc dans l’Eglise avoir autorité sans être compétent !
De l’Islam on ne parle presque que dans la conclusion en citant des propos du cardinal Lustiger et en réduisant la question de l’Islam en France à l’islamisme. Curieuse conclusion qui semble contester le bienfondé de l’exigence par la République d’une instance représentative de l’Islam alors que semblable instance n’est pas remise en cause pour le protestantisme et le judaïsme. A moins que l’on ne fasse allusion aux difficultés internes de l’UFCM ou aux choix politiques de la République parmi les instances de l’Islam en France.
La relecture de l’histoire, qui se veut brève, passe par des raccourcis que l’on ne peut pas entériner. Peut-on parler de la bataille d’Anagni (le Pape est molesté par le roi de France) sans parler de la querelle des investitures, des fausses décrétales et des dictatus papae ? L’épisode peut-il être considéré comme précurseur des luttes entre l’Eglise catholique et l’Etat laïc. Or en 1303, le roi était catholique et le Royaume nullement laïc. Peut-on réduire le gallicanisme à une histoire de nationalisme ? Peut-on faire des gallicans les précurseurs des jureurs ? Et le clergé qui a prêté serment doit-il forcément être considéré comme ayant été inféodé à l’Etat ? Plus que sous l’Ancien Régime ? N’a-t-il pas cherché à dire sa foi dans un régime politique où tout était à inventer ? Peut-on faire de Grégoire un traître à l’Eglise, ou du moins quelqu’un qui a choisi le mauvais camp ?
Plus embêtant, l’opposition binaire entre Eglise de France et Eglise en France. Certes, en catholicisme il ne peut y avoir d’Eglise nationale. Est-ce à dire que Rome devrait être le lieu normal de la discussion avec la République ? Cela, c’est le montage du Vatican comme état qui le permet, reste des Etats pontificaux ; mais l’on ne voudrait pas que le rôle du Pape soit (d’abord) d’être chef d’Etat.
Il y a des Eglises diocésaines (l’Eglise de Clermont et non l’Eglise à Clermont, encore que Paul parle par deux fois de l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe) et elles sont catholiques, elles sont authentiquement l’Eglise Universelle dès lors qu’elles sont unies entre elles, ce que manifeste leur unité avec le siège de Rome. « C’est en elles et à partir d’elles qu’existe l’Eglise catholique une et unique » (LG 23). On trouvera légitime que ces Eglises diocésaines, sur le territoire de la République, constituent une Eglise en ou de France ; expressions aussi fautives l’une que l’autre. Il faudrait parler des Eglises (catholiques) de France. La question est celle du statut théologique de l’assemblée de ces Eglises, question ne relevant en rien du rapport avec la République, question théologique du statut des conférences épiscopales.
Toute la réflexion repose sur un sophisme, l’exhaustivité de l’opposition Eglise de France, Eglise en France. Elle oblitère l’ecclésiologie patristique de la communion des Eglises et l’effort de Vatican II de redécouverte d’une telle ecclésiologie. Elle entérine une vision récente de l’Eglise (à partir du XVIIIe), qui tend à concevoir le Pape comme chef de l’Eglise catholique dont les évêques sont les fils ou les préfets, non les frères. Dire non à une Eglise nationale, ce n’est pas dire oui à une Eglise dont le représentant officiel dans les pays serait le Pape et encore moins le Vatican. On ne peut pas trouver normal que la délégation habituellement reçue par le Premier Ministre soit menée par le Nonce et non par le président de la conférence épiscopale, ou le Primat des Gaules, ou l’évêque chargé par ses confrères des relations avec la République. (Certes, on ne renâclera pas sur la possibilité de liberté que peut offrir Rome comme instance tierce dans une discussion.)
L’Eglise ne se doit-elle pas de paraître dans ses institutions, y compris dans ses relations avec la République, pour ce qu’elle est, non pas comme ceux qui gouvernent en maîtres et font sentir leur pouvoir ? Sa sacramentalité peut-elle ne pas être exprimée, en rupture avec les manières mondaines ? Le jacobinisme français a du mal à imaginer l’unité autrement que comme une uniformité. L’Eglise ne saurait lui emboîter le pas, à savoir opter pour un centralisme romain, ultramontain. L’œcuménisme qui doit présider à la théologie le réclame. Une des conséquences réside dans la nomination des évêques qui n’a certes pas à relever de l’Etat (encore que, même en régime de séparation, l’avis de la République demeure requis ce que personne ne conteste). Est-ce mieux qu’elles relèvent du Pape ? On pourrait noter que la récupération par Rome de la quasi totalité des nominations épiscopales est contemporaine du recul de l’Eglise dans les sociétés occidentales. Peut-on défendre son autonomie, voire le repli sur soi, et s’étonner de l’ostracisme dont on se plaint d’être victime ?
Bref, derrière ces détails de langage (Eglise de ou en France, Eglises (catholiques) de France) se disent des conceptions différentes du vivre en Eglise. Une sorte de jacobinisme ecclésiastique ou centralisme ultramontain, fort peu fiable historiquement et fort peu théologique, donc œcuménique, me paraît devoir être délibérément écarté sous peine de raviver, comme on le voit, une ecclésiologie telle qu’elle s’affirme au XIXème siècle avec les traditionnalistes français dont les thèses sur l’infaillibilité pontificale et la conception de l’Eglise durent être corrigées par les théologiens romains eux-mêmes.
P. Royannais (25/03/11)
(On aurait tout intérêt à relire quelques articles comme Y. Congar, « L’ecclésiologie de la Révolution française au Concile du Vatican, sous le signe de l’affirmation de l’autorité », L’ecclésiologie au xixe siècle, Cerf, Paris 1960, pp. 77-114, ou, du même, « Le développement historique de l’autorité dans l’Eglise, éléments pour la réflexion chrétienne », Le problème de l’autorité, Cerf, Paris 1962, pp. 145-179 ; B. Sesboüé, « Histoire et autorité dans la saisie de la vérité chrétienne (à partir du xviie siècle), RSR 88 (2000), pp. 39-70)
PS: J'avais envoyé un premier état de ce texte à Mgr Simon qui très rapidement a eu la délicatesse de répondre. J'ai en conséquence modifié mon texte qui maintient cependant sa thèse. Cette version n'engage évidemment nullement l'archevêque de Clermont que je tiens à remercier pour cet échange.
Je découvre tardivement le papier de Jean-Louis Schlegel et Paul Thibaud dans La Croix du 30 mars 2011.
RépondreSupprimerhttp://www.ajcf.fr/IMG/pdf/La_Croix_Pour_l_Eglise_de_France_par_Jean-Louis_Schlegel_et_Paul_Thibaud.pdf