Lisons l’évangile de Luc comme si nous ne connaissions pas l’histoire.
Quatre phrases d’introduction où l’auteur dit s’être renseigné avec soin. Puis,
il nous transporte au temps d’Hérode, dans le temple avec le prêtre Zacharie.
Nous apprenons que sa femme Elisabeth sera bientôt enceinte. Cette grossesse
devient étonnamment la référence chronologique.
Au lieu de dire six mois plus tard, c’est au sixième mois
(de cette grossesse), qu’un ange visite Marie. On ne connaît pas Marie. Elle
nous est rapidement présentée. On apprend qu’elle est parente avec Elisabeth,
ce qui relie les deux épisodes. Les deux conceptions sont mises en parallèle.
Elles font sens ensemble, ce qu’il faudrait prendre le temps de développer.
Vient l’épisode d’aujourd’hui (Lc 1, 39-45). D’après les
éléments dont nous disposons, Elisabeth ne peut pas savoir que Marie commence
une grossesse. Elle ne peut pas savoir que l’enfant qu’elle porte en elle est
le Seigneur. Comment, avant que Marie n’ait dit quoi que ce soit, peut-elle s’exclamer :
« D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? »
Soit Luc est un piètre conteur, soit ce saut dans l’intrigue mérite toute notre
attention.
Comment alors Elisabeth peut-elle savoir ce qu’elle ne peut
pas savoir ? Le texte est au courant du problème puisqu’il enchaîne par une
explication. « Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes
oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. »
Nous voilà encore plus étonnés. Le mouvement de l’enfant
dans le ventre de sa mère, si commun, pourrait-il avoir un sens évident, suffirait-il
à mettre Elisabeth au courant ? Non, évidemment. L’étonnement n’est pas
que le nôtre. Le peuple aussi est étonné (v. 21) et il a de quoi, puisque Zacharie
sort muet du sanctuaire. S’étonner est sans doute une bonne manière d’écouter
ce que raconte le texte.
Une intrigue plus discrète que l’intrigue de surface qui ne
semble pas la plus importante, tant elle est consciemment malmenée par Luc, est
tissée. Cette intrigue, c’est celle de la foi, de la confiance ; c’est l’intrigue
principale de ce chapitre au moins. On pourra tout ignorer du cousinage de
Jésus et du Baptiste, si l’on a saisi l’intrigue de la foi, on n’a rien raté.
Voilà comment s’ouvre l’évangile de Luc, voilà comment s’ouvre
notre histoire avec la bonne nouvelle, par une mise en intrigue de la
confiance. Reprenons le texte depuis le début : Luc nous avertit qu’il s’était
précisément renseigné ; il suggère que l’on peut lui faire confiance.
Zacharie se voit privé de la parole pour n’avoir pas cru. Enfin, notre texte se
conclut par une sorte de jugement, porté non plus par l’ange ou par Luc, mais
par Elisabeth sur l’attitude de Marie en son annonce. « Heureuse celle qui
a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du
Seigneur. »
Ce dont il en retourne, c’est de la foi, de la confiance
dans une parole venue de plus loin que l’expérience ordinaire, que l’observation
descriptible. Si pour comprendre la vie, votre vie, vous en restez à ce que
vous voyez, si vos réduisez la vie à ce que vous en voyez et comprenez, si vous
n’envisagez pas que votre vie soit plus que ce que vous en voyez et comprenez,
vous resterez muets comme Zacharie. Si vous lisez la surface du texte, ces
histoires de conceptions étranges sans vous étonner, l’évangile restera muet
pour vous.
Ce qui permet de parler, je veux dire de proposer quelque
chose de sensé sur l’existence, ce n’est pas la description des choses, aussi
importante soit-elle ‑ et Luc a pris soin de se renseigner ‑ mais la
confiance. Nous apprenons, et pas seulement enfant, parce que nous faisons
confiance. C’est tout le problème des fake news. Leurs auteurs cherchent à
tromper et ils ne le peuvent que parce que, a priori, la communication est
affaire de confiance. Que le net comme les ragots dans les villages trahissent
la condition de la communication, la confiance, est très grave, un acte de
guerre, parce qu’ils rendent impossible la connaissance. Si vous ne croyez pas,
vous ne comprendrez pas, dit une version d’Isaïe.
Pour achever notre temps de l’attente, notre avent, c’est
notre foi qui est une nouvelle fois sollicitée. Faisons-nous confiance à la
parole de cette vieille femme, femme d’expérience, qu’est Elisabeth. C’est la mère
humanité qui parle en elle, souvent stérile et au seuil de la mort, et pourtant
encore porteuse de vie. Elle accouche plus encore que du Baptiste de la
première béatitude de l’évangile. « Heureuse celle qui a cru. »
Tout le texte de Luc, toute la vie de Jésus jusque dans sa
mort et sa résurrection, vont nous expliquer cela. Ferons-nous confiance ?
Serons-nous heureux de croire ?
La confiance vient-elle alors remplacer l'étonnement ? Dans le mode "c'est bizarre mais finalement Dieu explique la bizarrerie". Ou alors la confiance vient-elle approfondir l'étonnement ?
RépondreSupprimerLuc nous donne-t-il une réponse ?
La confiance permet de s'étonner, de s'émerveiller, pourrait-on aussi traduire.
RépondreSupprimer