Ce que vit le pays depuis plus de trois semaines dit une
insatisfaction de nombre de Français. On pourra penser qu’il s’agit de caprices
d’enfants gâtés, une course folle à toujours plus, on pourra au contraire estimer
qu’enfin une force se fait entendre pour plus d’égalité. On pourra analyser le
mouvement selon des critères économiques ou comme manifestation de la crise de
confiance en la chose publique, la République et son mode de gouvernement. Quoi
que l’on pense et comprenne, une insatisfaction s’exprime.
Où sont les chrétiens dans cette protestation ? Sans
doute répartis entre les pour et les contre, les actifs et ceux qui se
contentent d’approuver, ceux qui au contraire condamnent fermement sans trop
savoir comment se faire entendre, sans trop oser se faire entendre.
Est-il possible dans l’homélie d’en dire davantage ? Je
m’y hasarde. Après tout, il y a une doctrine sociale de l’Eglise, un
enseignement de l’Eglise sur les choses relevant en outre de la politique et de
l’économie. Ce n’est pas pour les chiens ! Je ne développerai qu’un aspect
politique de la crise ; c’est dire que mon analyse est partielle. Il ne s’agit
d’ailleurs pas tant d’une analyse que d’une réflexion à partir des événements
dont nous sommes témoins.
Claude Lefort, philosophe de la politique parle du pouvoir
en démocratie comme un lieu vide. Son idée est que la démocratie n’est pas un
régime politique qui ferait nombre avec les autres, comme s’il suffisait de
remplacer le roi, le tyran ou le prêtre par un président. En démocratie, on ne
substitue personne au chef. Il y a une sorte d’aversion au chef ; on
laisse la place du pouvoir comme un lieu vide.
Quand j’entends cela, je pense à Jésus. Il n’a pas pris la
place des responsables religieux, il s’est retiré, laissant béante la place du
chef. Pourquoi ? Parce qu’il sait, en bon Juif, qu’il faut rejeter les
idoles. Parce que Jésus se fait serviteur et non roi puissant. Parce que Jésus choisit
de s’effacer. On n’est même obligé de croire en lui pour qu’il nous aime. Parce
que pouvoir et évangile ne vont pas plus ensemble qu’argent et évangile.
Mais qui supporte cet iconoclasme radical ? Qui n’attend
pas l’homme qui nous sortira enfin du bazar ? Nous sommes démocrates, nous
nous pensons tels, mais nous continuons à attendre l’homme providentiel. Or, la
démocratie est une invention issue de la culture chrétienne, briseuse d’idoles,
elle n’est possible que si gouverner c’est servir.
On criera à l’utopie ! Il est impossible d’avoir le
pouvoir en servant. François d’Assise s’y est cassé les dents. Mais… il demeure
un maître à penser, y compris dans la manière de gouverner, huit cents ans plus
tard ! Comme Claire d’Assise, comme saint Dominique.
Le mouvement actuel aurait-il compris la leçon ? Il ne
veut ni chef ni porte-parole. Il refuse de se structurer ou ne le peut. Nombre
de ceux qui protestent sont les abstentionnistes des élections. Auraient-ils
compris que la place du chef doit demeurer vacante parce qu’un chef, ça se sert
au lieu de servir ? A moins que personne ne soit prêt à servir. Les
privilèges (des autres) sont vécus comme une agression, une injustice et une
violence. Une autre violence lui répond dont les pauvres seront les premières
victimes, à commencer par les immigrés, et les boucs-émissaires de toujours.
Il n’y a plus homme ni femme, esclave ni homme libre, Juifs
ni Grecs, mais l’égalité de tous dans le Christ parce que de tous, il a fait
ses frères, il faut dire, ses frères et sœurs. La démocratie, je le redis, est
fille de l’évangile. (On a dit que la démocratie était née à Athènes, mais ce n’est
pas vrai ; c’était une manière de s’opposer, à juste titre, au pouvoir de
l’Eglise. Mais comment parler de démocratie sans égalité, lorsque seuls
quelques citoyens ont voix au chapitre et que l’ensemble des femmes et la
quasi-totalité des hommes, esclaves ou affranchis, doit servir les intérêts des
premiers ? Ce qui est contesté aujourd’hui, c’est précisément cela.)
Ainsi donc, par le vide du pouvoir et par la radicalité de l’égalité
que suppose la fraternité, l’évangile a nourri un modèle de gouvernement, fût-il
une utopie. Après l’exculturation du christianisme, ce modèle est-il encore compréhensible ?
Entre libéralisme et service, il semble qu’il faille choisir.
Nous autres chrétiens, devons témoigner que seul le service
permet au monde de vivre en paix, parce qu’alors les pauvres sont premiers. Encore
faudrait-il que nous vivions en serviteurs. Nous autres chrétiens n’attendons
de personne le salut du monde, car « pour les hommes, c’est impossible »,
car le salut c’est Dieu qui se donne. L’homme providentiel est un mensonge. Pas
plus de Gaulle, Macron que ceux qui lui succèderont. Il est urgent de le dire
avant que le peuple ne choisisse un pouvoir contraire aux libertés et droits de
l’homme.
L’insatisfaction dont nous sommes les témoins et peut-être
aussi les acteurs dit une attente. En ce temps de l’avent, aidons à ce que l’on
ne se trompe pas d’attente.
- Seigneur, ce samedi
ont été béatifiés à Oran dix neufs martyrs, dont les moines de Tibhirine. Ils
ont vécu la fidélité à la fraternité jusqu’au bout. Sans chercher à convaincre
personne, ils ont été les témoins de ton amour pour tous les hommes, pour tous
tes frères. Donne-nous de mettre nos pas dans les leurs, pour mettre nos pas
dans les tiens.
- Seigneur, ce samedi
encore, dans notre pays s’expriment la colère et les revendications. Donne-nous
ton Esprit, toi, le Prince de la paix, pour que nous sachions trouver l’attitude
et les mots justes.
- Seigneur, ce samedi,
nous avons célébré Marie, ta mère. Donne-nous d’être à son image
aussi discrets que fidèles à ta parole, pour continuer notre marche d’avent et
attendre ta venue, dès maintenant, en nos vies, dans ton Eglise et dans le
monde.
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