07/12/2018

Gilets jaunes et avent (2ème dimanche de l'avent)


Ce que vit le pays depuis plus de trois semaines dit une insatisfaction de nombre de Français. On pourra penser qu’il s’agit de caprices d’enfants gâtés, une course folle à toujours plus, on pourra au contraire estimer qu’enfin une force se fait entendre pour plus d’égalité. On pourra analyser le mouvement selon des critères économiques ou comme manifestation de la crise de confiance en la chose publique, la République et son mode de gouvernement. Quoi que l’on pense et comprenne, une insatisfaction s’exprime.
Où sont les chrétiens dans cette protestation ? Sans doute répartis entre les pour et les contre, les actifs et ceux qui se contentent d’approuver, ceux qui au contraire condamnent fermement sans trop savoir comment se faire entendre, sans trop oser se faire entendre.
Est-il possible dans l’homélie d’en dire davantage ? Je m’y hasarde. Après tout, il y a une doctrine sociale de l’Eglise, un enseignement de l’Eglise sur les choses relevant en outre de la politique et de l’économie. Ce n’est pas pour les chiens ! Je ne développerai qu’un aspect politique de la crise ; c’est dire que mon analyse est partielle. Il ne s’agit d’ailleurs pas tant d’une analyse que d’une réflexion à partir des événements dont nous sommes témoins.
Claude Lefort, philosophe de la politique parle du pouvoir en démocratie comme un lieu vide. Son idée est que la démocratie n’est pas un régime politique qui ferait nombre avec les autres, comme s’il suffisait de remplacer le roi, le tyran ou le prêtre par un président. En démocratie, on ne substitue personne au chef. Il y a une sorte d’aversion au chef ; on laisse la place du pouvoir comme un lieu vide.
Quand j’entends cela, je pense à Jésus. Il n’a pas pris la place des responsables religieux, il s’est retiré, laissant béante la place du chef. Pourquoi ? Parce qu’il sait, en bon Juif, qu’il faut rejeter les idoles. Parce que Jésus se fait serviteur et non roi puissant. Parce que Jésus choisit de s’effacer. On n’est même obligé de croire en lui pour qu’il nous aime. Parce que pouvoir et évangile ne vont pas plus ensemble qu’argent et évangile.
Mais qui supporte cet iconoclasme radical ? Qui n’attend pas l’homme qui nous sortira enfin du bazar ? Nous sommes démocrates, nous nous pensons tels, mais nous continuons à attendre l’homme providentiel. Or, la démocratie est une invention issue de la culture chrétienne, briseuse d’idoles, elle n’est possible que si gouverner c’est servir.
On criera à l’utopie ! Il est impossible d’avoir le pouvoir en servant. François d’Assise s’y est cassé les dents. Mais… il demeure un maître à penser, y compris dans la manière de gouverner, huit cents ans plus tard ! Comme Claire d’Assise, comme saint Dominique.
Le mouvement actuel aurait-il compris la leçon ? Il ne veut ni chef ni porte-parole. Il refuse de se structurer ou ne le peut. Nombre de ceux qui protestent sont les abstentionnistes des élections. Auraient-ils compris que la place du chef doit demeurer vacante parce qu’un chef, ça se sert au lieu de servir ? A moins que personne ne soit prêt à servir. Les privilèges (des autres) sont vécus comme une agression, une injustice et une violence. Une autre violence lui répond dont les pauvres seront les premières victimes, à commencer par les immigrés, et les boucs-émissaires de toujours.
Il n’y a plus homme ni femme, esclave ni homme libre, Juifs ni Grecs, mais l’égalité de tous dans le Christ parce que de tous, il a fait ses frères, il faut dire, ses frères et sœurs. La démocratie, je le redis, est fille de l’évangile. (On a dit que la démocratie était née à Athènes, mais ce n’est pas vrai ; c’était une manière de s’opposer, à juste titre, au pouvoir de l’Eglise. Mais comment parler de démocratie sans égalité, lorsque seuls quelques citoyens ont voix au chapitre et que l’ensemble des femmes et la quasi-totalité des hommes, esclaves ou affranchis, doit servir les intérêts des premiers ? Ce qui est contesté aujourd’hui, c’est précisément cela.)
Ainsi donc, par le vide du pouvoir et par la radicalité de l’égalité que suppose la fraternité, l’évangile a nourri un modèle de gouvernement, fût-il une utopie. Après l’exculturation du christianisme, ce modèle est-il encore compréhensible ? Entre libéralisme et service, il semble qu’il faille choisir.
Nous autres chrétiens, devons témoigner que seul le service permet au monde de vivre en paix, parce qu’alors les pauvres sont premiers. Encore faudrait-il que nous vivions en serviteurs. Nous autres chrétiens n’attendons de personne le salut du monde, car « pour les hommes, c’est impossible », car le salut c’est Dieu qui se donne. L’homme providentiel est un mensonge. Pas plus de Gaulle, Macron que ceux qui lui succèderont. Il est urgent de le dire avant que le peuple ne choisisse un pouvoir contraire aux libertés et droits de l’homme.
L’insatisfaction dont nous sommes les témoins et peut-être aussi les acteurs dit une attente. En ce temps de l’avent, aidons à ce que l’on ne se trompe pas d’attente.



- Seigneur, ce samedi ont été béatifiés à Oran dix neufs martyrs, dont les moines de Tibhirine. Ils ont vécu la fidélité à la fraternité jusqu’au bout. Sans chercher à convaincre personne, ils ont été les témoins de ton amour pour tous les hommes, pour tous tes frères. Donne-nous de mettre nos pas dans les leurs, pour mettre nos pas dans les tiens.
- Seigneur, ce samedi encore, dans notre pays s’expriment la colère et les revendications. Donne-nous ton Esprit, toi, le Prince de la paix, pour que nous sachions trouver l’attitude et les mots justes.
- Seigneur, ce samedi, nous avons célébré Marie, ta mère. Donne-nous d’être à son image aussi discrets que fidèles à ta parole, pour continuer notre marche d’avent et attendre ta venue, dès maintenant, en nos vies, dans ton Eglise et dans le monde.

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