Rm 8, 31-39 - Ps
118, 149-137 - Jn 15, 1-12
Avoir un père vigneron, c’est le cas de beaucoup ici. Etre soi-même
cep est plus étrange. Il est toujours nécessaire de voir où dérape la
comparaison pour saisir le sens des propos de Jésus. Le père n’engendre pas ici
un fils ; il est vigneron qui prend soin d’un cep (ou, selon les
traductions, d’une vigne). Comme un jardinier, non seulement il plante un jardin
en Eden, mais aussi un cep qui l’appelle son père. La chose intrigue et
mérite qu’on s’y arrête.
Je suis la vigne, répète Jésus, et nous les sarments, dont le
père vigneron prend soin, les taillant pour qu’ils portent du fruit. Les hommes
n’existent pas individuellement dans ce texte, mais comme totalité, comme humanité,
sarments d’un même cep.
Quant au fruit, le plus important tout de même, on n’en
parle qu’à peine. Evidemment, il faut qu’il soit beau et abondant. Mais les sarments
importent davantage ; le vigneron ne peut rien faire pour la grappe ;
toute son attention se porte sur les sarments.
Je suis la vigne et mon
père est le vigneron. Je suis la vigne et vous êtes les sarments. Dans ces
deux petites allégories tient l’évangile. Jésus, c’est une histoire de vie,
ensemble, une seule humanité, un seul cep pour une infinité de sarments. Notre
Occident qui n’est plus guère chrétien a-t-il bien entendu cet évangile ? La
foi relève si peu du folklore où nous la cantonnons parfois ; elle n’est
pas même l’obscurantisme dépassé que l’on dit souvent. Elle nous provoque, elle
nous appelle à faire de l’humanité une seule vigne. N’y aurait-il pas urgence à
entendre cet appel ?
Une seule vigne au point que le père vigneron suffit à la tâche.
Le père est ici discrètement défini, non comme propriétaire ou vendangeur, mais
comme tâcheron. L’appel à une humanité unie et solidaire, le père ne s’en lave
pas les mains ; il s’y implique, comme un simple ouvrier de la vigne. Le
père du cep travaille à ce qu’elle produise de beaux fruits, qu’elle soit une
fraternité ; la situation de chacun est l’affaire de tous. Nous sommes
responsables de la vie et du bonheur les uns des autres. N’y aurait-il pas
urgence à entendre cet appel ? L’évangile est-il parvenu jusqu’à nous ?
Comme à son habitude, Jésus, délicatement, par le moyen de
la comparaison, renverse les clichés que nous avons sur Dieu. Il n’est pas le tout-puissant
qui commande, ou celui qui a la connaissance délicate de la vinification, mais
le tâcheron qui taille la vigne. Lorsque le raisin sera mûr, on ne parlera pas
de son travail, et pourtant, sans son travail, il n’y aura rien.
On ne parle pas de Dieu en notre monde, nous n’en avons guère
besoin aujourd’hui pour expliquer les choses et notre vie. Il ne la ramène pas,
comme le tâcheron ; mais sans lui, que pourrions-nous faire ? Le
sarment ne pourrait vivre s’il n’était attaché au cep. A nouveau, le fruit est
relativisé. Le but du père, c’est que nous demeurions en lui, en son amour.
Et si nous le laissons tomber ? Il ne nous laisse pas
tomber car il ne peut se renier lui-même.
Il est amour. Rien ne saurait nous
séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus.
Coupés du cep, nous sommes aussi coupés des autres. Attachés
au cep, nous le sommes, dans le même mouvement, aux autres. Pourtant nous ne faisons
pas grand cas des autres, nous nous pensons sans eux, nous vivons sans tant d’autres.
La crise que traverse notre pays ne serait-elle pas pour partie la conséquence
de ce que nous n’avons pas grand-chose à faire des autres ? N’y a-t-il pas
urgence à entendre l’évangile et son appel ?
Nb 13, 1-23 - Ps
118, 149-137 - Lc 10, 25-37
Avec une récolte comme celle de cette année, on pourrait
croire que notre pays ressemble à celui des fils d’Israël, des grappes si grosses
qu’il faut une perche pour les porter ! Les réjouissances professionnelles
et gustatives, c’est énorme. Et si la vie était toujours à la hauteur de telles
joies !
Mais voilà, ce n’est pas toujours ainsi. Certains, stoïques
ou résignés, le supportent. D’autres se révoltent. La finitude, nos limites, la
maladie ou les mauvaises récoltes, la mort ou les dissensions dans les familles
ou entre voisins, c’est ainsi, on n’y peut rien changer.
Pourtant, la vieille histoire du Samaritain renvoie
dos-à-dos résignation et révolte. Ce que nous avons goûté de beau et de bon,
nous ne pouvons que le désirer toujours. Le meilleur des fruits de la terre et
de ce que nos vies peuvent offrir de solidarité, ce ne devrait pas être de
temps en temps. Nous le désirons, à juste titre, toujours et ceux qui baissent
les bras, parce que ce serait trop beau se privent et nous privent d’une vie,
ici et maintenant, en grand.
Regardez notre Samaritain et sa générosité extravagante. Il
n’y a plus que le blessé qui compte à ses yeux et sa santé, son salut. Attention,
soins, temps, argent, rien n’est de trop dans cette débauche de générosité. Un
homme souffre, il est urgent de mettre dès maintenant le ciel sur la terre.
Rencontrer pareil samaritain, et c’est le paradis. Il se pourrait qu’il tienne
à nous que, pour une bonne part, le paradis soit notre cadre de vie, une terre
généreuse à produire du raisin abondant et de qualité ; et nous généreux
envers les autres comme ce Samaritain.
Envers les autres. Qui est mon prochain ? C’est la
question du spécialiste de la loi. La réponse de Jésus : ce n’est pas à
toi de choisir ton prochain. Débrouille-toi à être pour tout homme un prochain,
débrouille-toi à ce que quiconque puisse trouver en toi un prochain. Tu n’as
pas à choisir qui est ton prochain. C’est à l’autre de pouvoir trouver en toi
un prochain et non un quidam qui fait un détour. Toute petite recette, tout petit
renversement de la question, pour que nous soyons trouvés aussi généreux que la
nature cette année, avec ses grappes à faire rêver. Croyants ou non croyants,
nous ferions de cet impératif notre règle de vie, nous ne serions pas encore en
paradis, mais nous aurions considérablement amélioré notre société. Débrouillons-nous
à faire en sorte que tout homme puisse trouver en nous un prochain.
Et dans les années de galère ? Quand plus rien ne
réussit, que la maladie, la souffrance ou la mésentente nous submergent ?
La générosité du Samaritain donne l’indice d’une réponse. Elle est à ce point
extravagante qu’elle ne peut être la nôtre seulement. C’est nous qui sommes,
dans ces moments de désespoir et d’abattement, à moitié mort dans le fossé,
voyant peut-être passer, si les coups de la vie ne nous ont pas complètement
assommés, ceux qui font un détour pour ne pas nous voir. Vous parlez d’un
paradis ! Quelle vie !
Le Samaritain prodigue, c’est Jésus qui s’approche. Attention,
soins, temps, argent, rien n’est de trop dans cette débauche de générosité. Les
disciples de Jésus osent le dire et, espérons-le, le vivre. Vous voulez savoir
qui est Dieu ? « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Un samaritain
qui était en voyage s’approcha de lui », se fit son prochain.
Alors que notre pays ne sort pas de la sinistrose, nous
pouvons faire la fête et boire pour oublier. Nous pouvons aussi prendre soin
les uns des autres, il y a urgence de nous faire prochain pour changer ce
monde. Nous pouvons encore nous laisser relever par celui qui se cache sous les
traits du Samaritain. Cela ne changera pas tout, comme par magie. Mais si nous
pouvons voir Jésus s’approcher, se faire notre prochain, la vie malgré ce qui
est parfois l’horreur est encore la vie qui vaut le coût.
Si nous sommes là ce matin, n’est-ce pas que, même
confusément, nous savons que le folklore religieux et nos fêtes, pour
importants qu’ils soient, ne suffisent à étancher notre soif de vie ? Nous
rêvons d’un monde dont la joie soit aussi grande que les grappes de la terre
promise sont grosses. Ce n’est pas une illusion mais le désir d’une humanité
toujours plus grande, toujours meilleure. Jésus ni ne se résigne, ni n’envoie
tout péter, il est notre prochain.
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