Nous aimons l’hymne à la charité (1 Co 13). Le contexte des
mariages où nous l’entendons souvent en oriente la compréhension. Pourtant, il
n’a pas été écrit pour parler du mariage et, devrait-on même dire, il ne parle
pas de l’amour conjugal. Evidemment, rien n’empêche, et au contraire, qu’il convienne
aussi à ce que vivent les époux. C’est d’ailleurs un verbe de la même racine
que le mot employé ici dont usent les successeurs de Paul lorsqu’ils
recommandent au mari d’aimer sa femme.
Dimanche dernier, nous lisions le chapitre précédent de cette
première lettre aux Corinthiens. « Vous êtes corps du Christ et,
chacun pour votre part, membres de ce corps ». La liste des types de personnes
qui ont un rôle puis des dons, ou charismes, au service de tous indique l’unité
et l’unicité du corps dans la diversité des fonctions et des dons.
Paul recommande de « rechercher les dons les meilleurs ».
Mais quels sont-ils ? La formule est étrange qui fait suite à un plaidoyer
pour la diversité et pour le respect et l’intégration des membres les plus
faibles et les moins honorables. Paul ne le dit pas ; il se contente d’indiquer
une voie supérieure, celle de l’amour. « Recherchez avec ardeur les dons
les plus grands. Et maintenant, je vais vous indiquer le chemin par excellence. »
L’amour n’est donc pas un don pour faire vivre le corps mais
la façon dont chaque charisme est au service de tous. Il n’est pas le don de
quelques uns mais le chemin de tous. « Tout ce que vous faites, que ce
soit toujours avec amour », résume Paul à la fin de sa lettre.
Le mot employé en grec est agapè. Les latins ont traduit par caritas, charité, ce qui est cher, que l’on chérit. La traduction paraît
bien réductrice. En français, aimer ou amour peuvent se dire de bien des
manières et le mot charité paraît désuet ; il est de moins en moins
synonyme d’amour. Faudra-t-il traduire par solidarité ou partage ?
Certains diront que l’on en réduirait le sens dans une dimension seulement humanitaire,
sans référence à Dieu. On pourrait cependant espérer que la solidarité soit
commandée par un amour plus grand, soit la voie d’excellence pour mener sa vie,
que l’on soit chrétien ou non, croyant ou non.
Ainsi donc, le chemin supérieur pour faire vivre dans sa
diversité l’unique corps du Christ auquel tous ont part, c’est quelque chose
comme l’amour, la solidarité (des membres), le partage, l’attention à tous, à
commencer par les membres plus faibles et moins honorables. « Dieu a disposé le corps de manière à donner davantage d’honneur à ce qui en
manque, pour qu’il n’y ait point de division dans le corps, mais qu’au
contraire les membres se témoignent une mutuelle sollicitude. » L’amour, voie
la meilleure, est sollicitude de chacun envers chacun. Le partage et la solidarité
vont en effet pas mal avec la « sollicitude mutuelle ».
L’excellence de l’amour ne consiste pas à faire des trucs
extraordinaires. « J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des
anges, j’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et
toute la connaissance de Dieu, avoir toute la foi jusqu’à transporter les
montagnes, distribuer toute ma fortune aux affamés, me faire brûler vif » « si
ne n’ai pas l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale
retentissante. Si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien, cela ne me sert à rien. »
La voie de l’excellence, ce n’est pas être le meilleur, y
compris en matière de foi. C’est disparaître, s’effacer, placer l’autre d’abord.
La description de l’amour qui « rend service et ne recherche pas son
intérêt » nous ramène au cœur de l’évangile et de ce que j’ai tenté dernièrement
d’exprimer grâce au poète, « l’effacement soit ma façon de resplendir ».
Le portrait de l’amour est celui de Dieu même : il s’efface pour que nous
vivions et ainsi resplendit. Dans la tradition johannique, le même mot d’agapè permet de dire : « Dieu
est amour ».
On ne risque pas de perdre Dieu à s’engager dans la
solidarité et le partage, dans la charité ; au contraire, on a toute
chance de le trouver, parce que « Dieu est amour », Dieu est charité,
Dieu est solidarité et partage. Plus que partage, il donne tout, sa propre vie,
lui-même.
On comprend que le chapitre se termine en affirmant que des
trois, la foi, l’espérance et l’amour, le plus grand des trois, le seul à
demeurer, c’est la charité. Dieu est plus grand et demeure. « S’il me
manque l’amour, je ne suis rien ». Si Dieu me manque, je ne suis rien. La
plus haute mystique rejoint le service des plus petits. « Le Seigneur est
là, au milieu des marmites », dirait Thérèse de Jésus. Voilà peut-être le
meilleur titre de l’hymne à la charité.
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