22/02/2019

Aimer nos ennemis (7ème dimanche du temps)


Les exigences éthiques posées par Jésus à ceux qui l’écoutent sont à la fois rien que de normal et d’un poids qu’on ne peut soulever. Normal, parce que c’est la règle d’or, ne rien faire à autrui que nous ne voudrions qu’autrui ne nous fasse. Impossible, parce que l’amour ne se commande jamais, et encore moins l’amour des ennemis, pire, des bourreaux (Lc 6, 27-38).
Une nouvelle fois, à ceux qui relèguent l’engagement caritatif à un humanisme trop court auquel il ne faut pas réduire la foi, nous sommes obligés de répondre que telle n’est pas l’enjeu de l’évangile, que la problématique identitaire ‑ ce que signifie être chrétien ‑ n’est pas celle de l’évangile. Ici, qu’on le veuille ou non, la loi de sainteté est exposée sur le registre éthique. Et, ajouterais-je, s’il était vrai que la foi ne se réduit pas à l’éthique, s’il était vrai que la foi n’est pas un humanisme, que l’on commence par l’éthique et l’humanisme, et lorsque l’on y sera, il sera toujours temps d’ajouter ce que serait un spécifiquement chrétien.
Alors que le monde est dans un équilibre fragile, non seulement à cause de la politique états-unienne, mais à cause de multiples replis, conséquences d’une mondialisation sauvage, alors qu’à notre figure explosent en notre pays, l’antisémitisme, la haine, le mépris, les injustices sociales, les exigences de Jésus méritent toute notre attention, à nous qui l’écoutons.
Dans notre monde aussi divisé et chaque jour au bord de nouvelles fractures, nous sommes mis en demeure d’être artisans, en première ligne, de la lutte contre le mal. L’amour des ennemis n’est pas une exigence de pardon, un truc pieux, spirituel ou psychologique. Il est la condition de la paix, enjeu géopolitique et social en faveur de la paix et de la vie. L’amour des ennemis n’est pas une réconciliation de pacotille, une thérapie ou une arme pour guérir les blessures ou manipuler les victimes et les faire taire ; c’est le coup d’arrêt ultime au mal.
Je précise, si besoin était, qu’il n’y a pas à opposer justice et charité, justice et amour (des ennemis). La justice est imprescriptible et Benoît XVI l’écrivait avec des mots aussi limpides que percutants :
« Ubi societas, ibi ius : toute société élabore un système propre de justice. La charité dépasse la justice, parce qu’aimer c’est donner, offrir du mien à l’autre ; mais elle n’existe jamais sans la justice qui amène à donner à l’autre ce qui est sien, c’est-à-dire ce qui lui revient en raison de son être et de son agir. Je ne peux pas « donner » à l’autre du mien, sans lui avoir donné tout d’abord ce qui lui revient selon la justice. Qui aime les autres avec charité est d’abord juste envers eux. Non seulement la justice n’est pas étrangère à la charité, non seulement elle n’est pas une voie alternative ou parallèle à la charité : la justice est « inséparable de la charité », elle lui est intrinsèque. » (Caritas in veritate § 6, 2009)
L’amour peut, doit dépasser la justice, sans l’ignorer, parce que le rempart qui endigue le mal, c’est l’amour, parce que la guerre contre le mal, c’est l’amour, non la violence ; c’est l’amour, non le mal. Lorsque c’est la guerre dans nos familles, entre voisins ou collègues de travail, comment stopper les forces de destruction ? Comment arrêter la haine, non seulement la nôtre mais celle des autres, des ennemis ? (On ne les appelle pas amis, même si on est invité à les aimer. Ils sont ennemis, ils le restent.) Comment arrêter la haine ? Aimer, aimer.
L’amour des ennemis a une vertu personnelle aussi, car un ennemi, ce n’est pas seulement en face de nous, c’est en nous, ça nous bouffe de l’intérieur, ça nous détruit même sans rien faire, même à des milliers de kilomètres. Aimer l’ennemi, ce n’est pas, je le redis, en faire un ami, mais apprendre à répondre au mal sans se faire mal, à poser l’ennemi à sa place pour vivre, le laisser vivre, nous permettre de vivre.
L’exigence évangélique est éthique et plus qu’éthique. Elle est invitation à participer à l’œuvre de création, de re-création, de réconciliation. Nous savons ce que cela a d’impraticable : nous savons que ce chemin impraticable est pourtant le seul qui ne soit pas sans-issue, qui brise les impasses. Nous tenir à l’amour. Aimer, aimer.
Prêcher l’amour des ennemis est impossible non seulement parce que cet amour est impraticable, mais encore parce qu’il met le prédicateur en porte-à-faux qui dit ce qu’il ne fait pas, qui ne fait pas ce qu’il dit. Et pourtant, nous ne pouvons censurer l’évangile parce qu’il est trop. Nous ne pouvons couper l’évangile parce que nous savons que sa force révolutionnaire, sa capacité d’offrir au monde une issue au mal, réside précisément en cet inaudible. En Luc, ces exigences sont confiées à ceux qui écoutent Jésus, à nous… Que nous ayons la force de répondre à la haine par l’amour, artisans de paix.

6 commentaires:

  1. Après avoir relu cette encyclique je ne trouve nulle par le propos que vous attribuez à Benoit XVI; Par ailleurs il ne me semble pas que le Christ ait annulé le premier commandement et ce même s'il a précisé que le second lui était semblable.Par ailleurs lorsqu'on lit les faits et gestes de Mère Térésa et à la place que tenait la prière d'Adoration dans sa vie il me semble bien qu'elle non plus ne considérait pas comme superflu le premier commandement

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  2. Vous avez raison, c'est dans l'encyclique de 2009 Caritas in Veritate. Je corrige de suite dans le texte.
    Pour votre deuxième point (les deux commandements), je ne vois pas ce qui le justifie dans mon texte. Votre référence à Mère Teresa est encore plus sibylline pour moi. Que vient faire l'adoration ici ? Et pourquoi cette insistance sur l'amour de Dieu à propos de ces quelques lignes ?

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  3. au sujet de Mère Téresa laquelle, ô combien appliquait le second commandement je voulais souligner cela ne l'empechait nullement d'appliquer le premier alors que,du moins c'est mon ressenti, à insister tellement sur l'importance du second vous donnez l'impression qu'en fait le christianisme tient dans le second.
    Quant à savoir pourquoi j'insiste tant sur l'amour de Dieu c'est que là encore vous me donnez l'impression de croire que c'est par une décision de volonté que nous arriverons à véritablement aimer nos ennemis alors que nous n'y arriverons que par grâce
    Autrement dit je parle de l'amour de Dieu pour nous parce qu'il me parait être absent de votre message

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  4. Méfiez-vous de votre ressenti !
    Que je ne dise pas ce à quoi vous êtes habitué, ce que vous aimez entendre, je peux l'imaginer. Peut-être que, plutôt que de ressentir, voire soupçonner, vous pourriez imaginer le chemin proposé comme valide, mieux, conforme à ce que vous croyez.
    Cela vous obligerait peut-être à modifier un peu votre manière de penser et de croire. Peut-être qu'une homélie est faite pour ça...
    A vous de voir si vous y êtes prêt.
    Si vous n'êtes pas prêt à "renouveler votre manière de penser", comme dit Paul, pourquoi donc lisez-vous des homélies que la liturgie à laquelle vous participez ne vous oblige pas d'entendre ?

    Je ne parle pas des deux commandements dans ce texte -une homélie ne peut pas tout dire. J'essaie juste de faire entendre, comme par diffraction, ce que signifie l'amour des ennemis, proprement impraticable, comme je le dis, possible seulement avec la grâce, comme vous dites dans un vocabulaire aseptisé. (C'est quoi la grâce, si ce n'est un gros mot théologique que l'on a à la bouche quand on ne sait plus rendre compte des choses de la foi ? La grâce n'est rien autre que Dieu qui se donne, c'est à dire Dieu lui-même. Oui, on ne peut pratiquer l'amour des ennemis sans Dieu. Et pourtant, tant de non-croyants vivent aussi cet amour.)
    Une idée par homélie, c'est déjà beaucoup ; il y a tant d'homélies où il n'y en a aucune !

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    Réponses
    1. "la grâce n'est rien d'autre que Dieu qui se donne"Absolument d'accord avec cette définition bien sûr et je suis :loin de douter que des non-croyants puissent eux aussi vivre de cet amour puisque "Dieu est amour"comme l'a si bien dit Benoit XVI
      Quant à savoir pourquoi je lis des homélies que je ne suis certes pas obligé d'éntendre, tout simplement parce que je cherche à comprendre;même ceux dont certaines idées sont souvent loin des miennes
      Enfin, que l'amour des ennemis soit humainement impossible qui donc le nierait,qui? mais j'ai la faiblesse de croire que dans cette tâche impossible le Seigneur est disposé à nous aider à l'accomplir car n'est-il pas" chaque jour avec nous jusqu'à la fin du monde"
      Je vous dirais que des ennemis j'en ai eus,et des "sérieux" et qu'il se trouve que j'arrive à prier pour eux sans pour autant oublier le mal qu'ils m'ont fait car en toute logique je devrais être par terre depuis bien longtemps et je crois que si j'y arrive ce n'est pas par volonté pure mais bien parce que je suis accompagné et un jour où je me demandais si l'un de ces ennemis était aujourd'hui en Paix j'ai entendu ,intérieurement bien sûr, une voix qui me disait "oui je suis en Paix et aujourd'hui je prie pour toi"

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  5. Merci pour votre réponse.
    Je l'accueille sans limite.
    Vous n'y parlez plus de premier ou deuxième commandement. Merci d'avoir accepté le terrain où je posais la question.

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