La première lettre aux Corinthiens est chronologiquement le
deuxième écrit chrétien, vers l’an 53. Le texte que nous venons d’écouter (1 Co
15, 1-11) se présente, comme celui à propos de l’eucharistie quelques chapitres
plus haut, comme un évangile reçu. Ces courtes lignes sont encore plus
anciennes et nous font presque toucher Jésus. C’est impressionnant.
Que faut-il entendre par « il est ressuscité le
troisième jour » ? Nous savons que c’est le cœur de la foi. Mais qu’entendons-nous
en ces mots ? La question paraîtra curieuse tant nous sommes censés savoir
ce qu’est la résurrection. Et pourtant…
D’abord, le mot de résurrection pose problème. En grec, il n’existe
pas. Il est dit, « le troisième jour, il s’est levé » ou, il parut ou,
il surgit. Le terme technique de résurrection, de retour à la vie d’un mort,
voire plus précisément de vie éternelle de Jésus, n’existe pas encore. Il est important
d’en prendre conscience pour ne pas recourir trop vite à notre imaginaire de résurrection
et nous laisser évangéliser par le texte, pour ne pas trop vite régler la
question par des réponses toutes faites, et ainsi se dispenser de l’entendre.
Jésus « a surgi, selon
les Ecritures ». Mais que disent les Ecritures ? Pas grand-chose.
Au temps de Jésus, si l’on en croit l’évangile lui-même, la résurrection des
morts ne s’impose pas aux lecteurs des Ecritures. Les sadducéens s’opposent sur
ce point aux pharisiens.
Ce qui advient dans le surgissement de Jésus de la mort est
unique. Personne n’a surgi de la mort avant lui et comme lui. Et personne après
lui, si du moins, le surgissement est aussi le fait de paraître. Or Jésus se
fit voir. Continue-t-il d’apparaître, comme il s’était fait voir aux Douze et aux
autres ? Si non, sa résurrection peut-elle encore faire sens ?
La résurrection de Jésus et le fait d’être vu, c’est la même
chose. C’est la même chose aussi que sa mort. Autrement dit, pour connaître ce
qu’est la résurrection de Jésus, il faut le voir. Le voyons-nous ? On dit
que même parmi les chrétiens qui fréquentent l’eucharistie régulièrement, la
moitié ne croirait pas en la résurrection. Mais quelle idée ont-ils de la
résurrection ? N’ont-ils pas vu Jésus, Jésus ne se serait-il pas fait voir
à eux ? Mais alors, que signifie que Jésus se fait voir ?
On ne voit pas le ressuscité comme on voit un objet posé sur
une table. On ne le voit pas non plus comme on rencontre une personne, même si
sans doute, la rencontre interpersonnelle a plus à dire sur ce qu’est voir
Jésus. Dans une rencontre, nous ne voyons pas seulement l’autre, nous voyons
des choses qui ne se voient pas, caractère, peurs, désir, amour.
Que Jésus soit un homme admirable, qui mérite même qu’on vienne
à la messe, sans doute. Mais que Jésus soit un compagnon de route, un compagnon
de vie, qu’en disons-nous ? Voir Jésus, ce n’est pas avoir une apparition,
être un illuminé, verser dans le sensationnel, l’irrationnel et le miraculeux. Voir
Jésus, ce ne peut être cela.
Jésus se fait voir dans la relation avec lui. Et la relation
avec lui, ce n’est pas (d’abord) la prière, source de toutes les illusions que
l’on doit toujours chercher à dépasser pour ne pas prier l’idole plutôt que
Jésus. « Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi, c'est par les œuvres
que je te montrerai ma foi. » (Jc 2, 18) Si la prière est relation avec
Jésus, c’est parce qu’elle est vie dans l’Esprit, toute la vie dans l’Esprit,
et non quelques moments, prières ou rites.
Jésus se fait voir dans la charité ‑ les œuvres comme
dit Jacques ‑ et d’abord envers les plus pauvres. Notre solidarité n’est
pas conséquence de notre foi, mais condition de possibilité de la foi. Et, à faire
comme Jésus parce que c’est Jésus, surtout si l’on prie, on finit par lui être
attaché, par se sentir saisi (Ph 3, 12), par l’aimer même. Il n’y a ici rien d’extraordinaire,
réservé à ceux que l’on appellerait mystiques. Ou alors, tout baptisé ne peut
être que mystique, qui se découvre viscéralement attaché à Jésus. On peut
rencontrer Jésus, être relevé par lui, et ne pas le suivre, ni même lui être
attaché. On voit cela dans l’évangile avec les dix lépreux (Lc 17, 12). Jésus
ne conditionne pas son salut à l’être disciple.
Mais il en est, et nous en sommes, qui croyons à la résurrection,
auxquels Jésus s’est laissé voir dans l’attachement que nous constatons avoir
pour lui, pour qui Jésus devient compagnon. Que veut dire que nous aimons Jésus ? Cela ne se démontre pas. C’est
un constat, comme pour tout amour. On constate, après coup, que l’on aime et est
aimé. Il n’y a pas de raison à l’amour, non qu’il soit irrationnel, mais qu’il
n’est pas épuisé par la raison.
Mais alors, si nous vivons avec lui, mort depuis deux mille ans
bientôt, c’est qu’il est vivant, qu’« il s’est levé le troisième jour selon les Ecritures et qu’il
s’est fait voir ». Nous en sommes les témoins (Ac 1, 8). Et nous aussi transmettons ce que nous avons-nous-mêmes
reçu.
Tu as raison, Nathalie, c'est une approche très éclairante de la résurrection.
RépondreSupprimerMais j'imagine la stupeur (la réprobation au minimum) d'une homélie de funérailles, ici dans mon village, reprenant tel ou tel des propos tenus, annulant la vision angélique du paradis qui attend le cher défunt.
Bien sur, Jésus n'arrêtait pas de choquer, mais nos pasteurs, sans du tout leur jeter la pierre, s'attachent à garder le maigre reste.
Pierre Opsomer