Rien n’a changé depuis 2000 ans. Comme Thomas, nous voulons
des preuves de la résurrection, nous voulons pouvoir justifier le bienfondé de
notre foi. Thomas est surnommé le jumeau, mais le texte ne dit pas de qui. Il
est le jumeau de tous ceux qui lui ressemblent, hier et aujourd’hui, le jumeau
de tous ceux qui veulent des raisons de croire.
Chacun d’entre nous connait le catéchisme. Et personne ne va
tomber dans le panneau. Si nous croyons en la résurrection, c’est justement que
nous ne demandons pas de preuve. « Heureux qui croit sans avoir vu ».
Formellement, c’est vrai. Mais dans les faits...
Cette semaine, une femme d’une quarantaine d’années me parle
de sa vie passablement cabossée. Elle s’en sort, veut s’en sortir, et sans
doute y parviendra. Elle croit, elle est de plus en plus croyante. « Je
crois parce que Dieu m’a sauvée ». Plusieurs d’entre nous se sentiraient
bien petits devant cette profession de foi, n’auraient pas su dire cela.
Et pourtant, je vous prie d’excuser mon impertinence, je ne
suis pas convaincu. Convaincu de la vérité, de l’engagement de cette femme dans
sa confession de foi, si, je le suis. Qu’elle ait vécu certains moments de sa
vie comme un soutien, un salut du Seigneur, je n’en doute pas. Non, ce n’est
pas de sa foi que je ne suis pas convaincu, mais de la justification de sa foi ‑ je
crois parce qu’il m’a sauvée ‑ et de la justesse de notre admiration.
Croire en Jésus, depuis le tombeau vide, depuis que Jésus n’est
pas visible, c’est passer par le dépouillement, la dépossession. Croire en
Jésus, c’est accepter de tout perdre. « Qui garde sa vie la perdra, qui
perd sa vie la sauvera. » On trouve en Paul ces mots : « Désormais
je considère tout comme désavantageux à cause de la supériorité de la
connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. À cause de lui j'ai accepté de tout
perdre, je considère tout comme déchets, afin de gagner le Christ » (Ph 3,
8)
Qu’il faille pour croire se débarrasser des mauvaises idées
sur Dieu et la foi, c’est une évidence, renouveler
notre façon de penser. Mais ce sont aussi les bonnes idées qu’il faut
abandonner. Ainsi, si nous croyons, ce n’est pas pour ou parce que…
Je ne crois pas parce que Dieu m’a sauvé, parce que Dieu me
donne sa paix ou sa joie, parce que Dieu me le commande. Toutes ces bonnes
raisons sont comme des balayures ; elles sont les doigts dans les traces et
les plaies de la passion. S’il y a de bonnes raisons de croire, ce n’est plus
croire ! Si croire est justifié par de bonnes raisons, si croire est
justifié, ce n’est plus croire. Ne serait-ce que parce que c’est croire qui
justifie, qui rend juste.
Pourquoi aimer ses enfants, son conjoint ? Parce que ce
sont eux. Il n’y a pas de raison. Je les aime, point. Ainsi parle saint Bernard :
la raison d’aimer Dieu, c’est Dieu-même.
Nous sommes croyants sans raison, sans autre raison que
Dieu. Et la volonté de Thomas de mettre les mains dans les traces des clous ou
de la lance, c’est exactement cela, avoir une raison de croire. Non, Thomas,
non, notre jumeau. Nous sommes disciples parce que Dieu, « à cause de
Jésus ». Dépouillés de nos raisons de croire, nous sommes invités, non à l’irrationnel,
mais à la confiance. Donner des raisons de croire, n’est-ce pas supprimer la
confiance, supprimer la foi ?
Dans un monde non chrétien, nous ne convaincrons personne
avec nos pseudo-raisons. Ceux qui ne comprennent pas leur vie comme sauvée ne
pourront qu’au mieux admirer notre foi, mais pas la partager. Nous leur empêcherions
même la foi à la situer sur ce terrain. Nous n’avons rien à prouver, à
justifier. Est-ce que je vous demande pourquoi un tel est votre ami ?
Dans notre monde, nous disciples, sommes les témoins de la
gratuité, les prophètes de la gratuité. Nous croyons pour rien, nous croyons
parce que Dieu, « à cause de Jésus ». Nous sommes les témoins de la
grâce, si vous préférez, à condition d’entendre par grâce, non une nouvelle
explication qui justifierait qu’on croie, mais la gratuité. Dieu est l’absolue
gratuité. Il s’offre, il aime, sans pourquoi. Nous l’aimons, nous croyons, sans
pourquoi.
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