Vous me permettrez de profiter de notre célébration pour une
petite catéchèse sur l’eucharistie. Nous sommes si souvent à la messe que sans
doute cela vous paraîtra une drôle d’idée. Vous savez bien ce que c’est qu’une
messe !
Il y a pourtant dans notre petite théologie de poche bien
des incohérences, en particulier issues du télescopage de diverses conceptions
de l’eucharistie. Le concile Vatican II a puisé aux sources bibliques et
patristiques sans remettre fondamentalement en cause ce qui les avait obstruées,
de sorte qu'il entretient la confusion. Quant à la piété populaire, friande
d’un merveilleux à toucher et à voir, souvent au bord du gouffre de la
superstition, hier comme aujourd’hui, elle en rajoute à la confusion.
Qui célèbre l’eucharistie ?
« Merci mon père pour votre belle messe. » Combien de fois
entendons-nous ce propos aimable à la fin d’une célébration, pas forcément
eucharistique d’ailleurs. Tout s’y mélange. Ce n’est pas la messe du prêtre, ni
des prêtres. C’est l’assemblée qui célèbre la liturgie, qui prie. Un de ses
membres préside pour qu’elle soit assemblée. Nous le disons dans la prière
eucharistique comme avec le Notre
Père. « Toi qui es vraiment saint, toi qui es la source de toute sainteté,
Seigneur, nous ne prions. » Nous
sommes le corps du Christ rassemblé pour la fraction du pain et constitué comme
corps par cette fraction.
Le ou les prêtres ne sont pas des druides sacrés qui, par
des paroles magiques, opèreraient un miracle à observer de l’extérieur. Là déjà
commence le cléricalisme. La dignité commune des baptisés qui les faits ensemble
prêtres, « choisis pour servir sa présence », s’oppose à la contre-distinction si
longtemps enseignée entre clercs et laïcs. Il est impossible pour un prêtre de
célébrer seul la messe. Il n’a aucun pouvoir de consacrer. L’eucharistie est toujours
l’action du peuple de Dieu, et tous y sont associés de façon indispensable.
Celui qui préside est la voix de l’assemblée. Il n’y a pas d’in persona Christi qui ne soit in persona Ecclesiӕ. « Du Christ et
de l’Eglise, c’est tout un. » Dans les maisons de personnes âgées,
souvent, tous, toutes, récitent la prière. On voit les lèvres bouger alors que
l’un de l’assemblée fait entendre, non pas sa voix, mais celle de l’assemblée.
Quel est le moment le
plus important de la messe ? On parle des deux tables, celle de la
parole et celle de l’eucharistie. On dit qu’il y a quatre moments de la messe :
accueil, parole, fraction du pain et envoi. Ces schémas risquent de nous égarer
si, de leur fonction pédagogique, on fait le sens de ce à quoi ils ne peuvent que
conduire.
Il n’y a une seule table, comme dans tous les repas. On ne
mange pas deux fois de suite, dans le sacrement comme dans la vie ordinaire
dont l’eucharistie est un sacrement. Dans les Ecritures, ce que Dieu donne à
manger, c’est sa parole. « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de
toute parole qui sort de la bouche du Seigneur. » (Dt 8, 3) Pendant plus
de treize siècles on a lu l’évangile d’Emmaüs comme un texte sur la parole de
Dieu. C’est elle qui, partagée, rompue comme un pain, permet de reconnaître le
Seigneur.
L’eucharistie, c’est la parole de Dieu, pour qu’on la mange,
pour qu’on puisse la manger. C'est le même Seigneur qui est parole et chair, évangile de Dieu, scriptus et incarnatus. Il n’y a pas, comme on disait avant le concile,
une avant messe, notre actuelle liturgie de la parole, et la messe. Il y a une
seule action qui débute avec la constitution de l’assemblée. Arriver en retard
et partir en avance, c’est n’avoir rien compris. L’eucharistie est dévoyée si
ce qui importe c’est recevoir chacun sa pastille sans faire corps avec les
frères et sans avoir dévoré la parole. L’exaltation catholique des espèces consacrées
est une stratégie antiprotestante. Les théologies ou les pastorales de controverse
ne sont jamais pertinentes.
S’il est un moment sommet dans notre célébration, ce n’est
pas la consécration comme on le dit si souvent y compris par les gestes et les rites,
clochettes, cierge, encens. Le moment sacré, s’il en est, c’est lorsque l’assemblée
se nourrit de son Seigneur, assise à ses pieds à écouter sa parole, et relevée,
debout, ressuscitée (jamais à genoux donc), qui reçoit encore ce pain qui est
sa chair donnée pour la vie du monde.
Dieu ne cesse de créer par sa parole. Il modèle, de l’argile
de nos corps, grains de sables dispersés, un seul corps alors que nous écoutons
sa parole, tout tendus vers lui, auquel il donne vie par son Esprit. L’assemblée
devient alors ce qu’elle reçoit, le corps du Christ. « Humblement, nous te
demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ nous soyons rassemblés
par l’Esprit Saint en un seul corps. »
Bonjour Patrick,
RépondreSupprimerTout d’abord, merci pour votre blog dont je me nourris chaque semaine.
Cet article m’a plu et je partage votre réflexion sur l’eucharistie, un seul point m’a quelque peu étonné, c’est votre catégorique « jamais à genoux ».
Personnellement, se mettre à genoux revêt une signification importante en tant que chrétien. J’insiste pour dire que l’on ne m’a jamais dit de mettre à genoux. S’agenouiller est un acte qui m’aide en tant que corps incarné à poser mon orgueil et me rappeler que nous naissons de la poussière et retournerons poussière, je m’incline seulement devant la grandeur de Dieu car moi et mon ego ne nous sommes rien, et tout à la fois… C’est cet aller-retour entre grandeur et petitesse de notre nature humaine qui me pernet de progresser dans la foi. Cette liturgie du corps au moment de la consécration de l’hostie par l’assemblée m’aide à accueillir le don de Dieu.
Je serai content de connaitre qu’elle est la raison pour laquelle il ne faut jamais se mettre à genoux.
Fraternellement,
Rémi GINESTET
Rémi,
RépondreSupprimerContent d'avoir de vos nouvelles par ce commentaire !
Mon propos est en phase avec un certain nombre de textes de la tradition. Mais, je dois le reconnaître, il les généralise.
Je ne me battrai pas sur ce point, parce que la question réside, comme vous dites, dans une incarnation de la prière, une manière de la vivre aussi avec le corps.
Cependant, les chrétiens prient debout. C'est la position de référence, pourrait-on dire, parce qu'ils ont été relevés par le Christ. Le concile de Nicée (325) commande que le dimanche et pendant le temps de Pâques, on prie debout. Il cherche surtout à ce que l'on ait des pratiques unanimes, que l'on ne se singularise pas.
La dévotion privée est chose respectable. La prière de l'Eglise autre chose.
Le pontifical des évêques garde aujourd'hui une trace de cela. Aux mêmes périodes, la litanie des saints doit être priée debout. La Présentation du Missel romain ne va pas dans ce sens sans toutefois imposer la station à genoux. Rien que cette réserve est importante. Qui plus est, cette PGMR n'a pas un poids disciplinaire comparable à un canon de concile œcuménique !
Parfois, apprendre à prier comme l'Eglise et avec elle, c'est une manière de recadrer un peu nos pratiques et habitudes, et souvent, de convertir notre prière.
Voilà, il n'y a pas d’oukases en ces matières, mais sans doute un peu de jeu, au sens mécanique du terme, pour aider chacun à prier selon et avec Jésus. La prière aussi a besoin de conversion pour passer du paganisme, toujours présent, archaïque, à l'évangile.