« Ils se tenaient dans la chambre haute. Tous, d’un
même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de
Jésus, et avec ses frères. » (Ac 1, 12-14)
Ce petit portrait de l’Eglise des origines aurait-il quelque valeur
pour aujourd’hui alors que s’est posée ces derniers mois la question de la nécessité
du rassemblement cultuel ? Il est toujours délicat de faire une norme d’un
simple verset. Les Actes racontent bien
autre chose : le trajet de la Parole de Jérusalem à Rome et il n’est pas
possible de voir dans le confinement d’avant la pentecôte l’être même de l’Eglise.
Jésus avait d’ailleurs beaucoup plus de disciples que les Onze,
quelques femmes et ses frères. Si les Onze devaient désigner la totalité, pourquoi
faudrait-il ajouter femmes et frères ? En outre cette totalité est amputée
puisque, Judas parti, la perfection du douze fait défaut.
L’auteur des Actes ne présente cependant pas le rassemblement comme
dépassé, caduc. Il racontera bien d’autres assemblées au point que, à l’instar
de la mission, l’assemblée désigne l’Eglise ‑ c’est son nom, ecclesia. Non
qu’il suffise de faire cuchon, de s’entasser pour être Eglise, mais l’on n’a
jamais accès au Christ en dehors des frères.
Le Christ sans son corps est une illusion dangereuse et fumeuse. Qui
n’a jamais eu à porter le poids de l’Eglise, à supporter les frères, aux deux
sens de l’expression, ou qui n’a jamais connu la joie de retrouver les frères,
n’a jamais connu le Seigneur, mais l’idole qu’il s’était fabriquée, à la
convenance de son imaginaire. Sans les frères, nous nous fabriquons le dieu qui
ne nous emmerde pas, et ce dieu n’est pas plus que tous ceux que nous
fabriquons celui en qui nous pouvons mettre notre foi. « Jésus a-t-il
encore un corps ? »
Il n’est pas possible de nous tenir à la suite de Jésus sans les
autres, non seulement les autres membres de l’Eglise, mais l’humanité tout
entière dont l’Eglise constitue les prémices, ou la vocation. Si souvent, sous
la plume d’Augustin, le Christus totus,
le Christ entier, c’est lui et nous. L’Eglise est rassemblement non pour
elle-même, parce qu’on serait bien ensemble, mais comme signe, sacrement de l’humanité
réconciliée, fraternité.
S’il manque quelque chose à notre foi avec l’impossibilité de nous
rassembler, ce n’est pas la privation des saintes espèces. Cette focalisation
sur l’eucharistie indépendamment de la fraternité, sur la communion sans la
communion, est idolâtrie et sacrilège, trahison de la foi au moment même où l’on
prétend la défendre. Point besoin de l’eucharistie pour fonder la nécessité de
se rassembler. Seulement la déclaration de Jésus : « quand deux ou
trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Mt 18, 20).
Les frères sont le sacrement de sa présence, sacrement primordial dont découle
le septénaire sacramentel.
L’insistance sur l’individu, sa valeur, caractérise notre culture,
y compris la culture ecclésiale, une forme de piétisme, moi et mon Jésus, moi
et l’adoration. Il y a dans l’Eglise quelque chose qui résiste parce que l’absence
des frères et absence de Jésus. Les communautés monastiques en sont un indice
particulièrement fort. Dans les affaires d’abus qui défrayent la chronique, il
n’est pas rare, et ce n’est pas un hasard mais le symptôme d’une dérive
contre-ecclésiale, que l’on rencontre une figure du père, de héraut. L’évangile
est explicite : « Vous n’avez qu’un Maître, et tous vous êtes des
frères. N’appelez personne votre "Père" sur la terre : car vous n'en
avez qu’un, le Père céleste. » (Mt 23, 8-9)
Cela devrait nous garder de tout culte de la personnalité, de toute
dévotion ou recherche de l’homme providentiel. Cela n’existe pas. C’est un
attrape-couillons. Avec Jésus résonne l’interdit de l’idolâtrie de la foi d’Israël
et la libération que célèbre le peuple dès la sortie d’Egypte. Ce n’est pas
pour retomber dans d’anciens esclavages ! (Ga 5, 1) Et l’idole n’est pas
telle statuette qu’il faudrait jeter au Tibre, mais tout ce en quoi nous posons
notre espérance de façon indue, l’argent, notre confort, telle personne., voire
les saintes espèces.
Plus jamais, il n’y aura Douze ‑ l’essai de remplacer Judas ne
fonctionne pas vraiment. Au mieux, les Douze prennent fin avec Matthias. Jusqu’à
ce que Dieu ait tout récapitulé dans le Christ, de façon manifeste, il manque à
son corps tous ceux qui ne savent ou ne peuvent s’en reconnaître. Il manque à l’Eglise
l’unité. L’Eglise est en manque. Et nos rassemblements sont encore plus
douloureux que leur empêchement. Nos rassemblements ne sont pas le chaud réconfort
de quelques happy few, mais l’expression de notre attente d’une humanité enfin
rassemblée, réconciliée, récapitulée.
Ceux qui ont crié à la nécessité des rassemblements, plutôt que de
raconter que l’eucharistie est vitale ‑ ce qui est inaudible, et pas
seulement pour les non-chrétiens ‑ auraient mieux fait de demander, si les
croyants ne peuvent plus se rassembler, qui dans la société du chacun pour soi,
criera que le bonheur de l’humanité réside dans le rassemblement fraternel ?
La nécessité du rassemble est politique. Encore eût-il fallu qu’on y crût.
Comment nos églises accepte-t-elles, avec les protocoles sanitaires, avatars effroyables d'un hygiènisme que l'on croyait révolu, de créer des lieux où l'on communie sans com-union, où l'on mange sans manger, où l'on se rencontre derrière bâillon ou muselière, à une distance telle que tout dialogue n'est plus possible. La rencontre nous crée. Covid ou pas.
RépondreSupprimerIl faudra bien réfléchir à ce que signifie le toucher des malades, souffler sur les apôtres, mettre de la salive sur les yeux de l'aveugle... François d'Assises, revient vite, ils sont devenus fous!
Je ne suis pas le dernier à pratiquer la critique.
SupprimerMais faut pas pousser. "une distance telle que tout dialogue n'est plus possible." Vous croyez ce que vous écrivez ?
Dominique, êtes-vous conscient de ce que vous dites...
SupprimerDe quel christianisme êtes-vous godillot ?