Je commence cette présentation de l’Eglise par des questions de
vocabulaire. Puis, la lecture de deux petits extraits de Marc et telles
réflexions d’Augustin, évêque au début du 5ème siècle, me permettent
de dire la mission de l’Eglise. Reste à savoir si ce que l’Eglise fait
aujourd’hui correspond à cette mission.
Avec les enfants, outre quelques questions de vocabulaire, on
s’attachera à lire les deux textes de Marc et à s’étonner. N’est-il pas curieux
que Jésus, lorsqu’il se promène, ne rencontre que des frères ? Pourquoi
choisit-il douze personnes ? Quel est leur rôle ? On pourrait
dessiner Jésus, mais au lieu de le colorier ou de lui mettre des habits, pour
composer son corps, on collera des photos de chrétiens, ou de disciples qui
s’ignorent mais qui sont évidemment membres du corps de Jésus (cf. plus bas les
« chrétiens anonymes »). Y aura-t-il des pauvres dans cet habit ou
des riches ? Seront-ils tous mélangés ou répartis ?
Que disons-nous ?
Comme souvent, pour savoir de quoi l’on parle, il est bon de
revenir à l’origine des mots. Eglise vient du grec ecclesia que le latin n’a pas traduit, mais transcrit seulement,
créant un néologisme. Ecclesia, en
grec donc, vient du verbe kaleo, appeler. L’Eglise, c’est l’assemblée de ceux qui
sont appelés, convoqués.
Lorsque les premiers chrétiens emploient ce mot pour désigner leurs
assemblées ou leur groupe, ils ne l’inventent pas. Ils le trouvent tout prêt
dans la traduction des Ecritures (hébraïques) en grec. Dt 18, 16 par exemple parle
du « jour de l’assemblée ». Le mot est déjà un peu technique.
L’assemblée, c’est l’assemblée du peuple d’Israël dans le désert et il n’est
pas utile de le préciser, on sait ce que cela signifie.
(On notera cependant qu’en Nb 20, 8, le mot a un sens général et
qu’il faut préciser. « Rassemble l’assemblée » est-il dit, ou « appelle
l’assemblée », ekklèsiason tèn
synagôgèn.)
Dans les langues latines, on a continué à transcrire le mot, sans
le traduire. En français, on dit Eglise, et non convocation, ou rassemblement,
ou assemblée. Dans les langues anglo-saxonnes, on recourt à un autre terme, lui
aussi grec, lui aussi seulement transcrit, Kirche, church. Le mot dérive de
kyrios, Seigneur. L’Eglise, c’est ce qui appartient au Seigneur, ce qui est relatif
au Seigneur.
L’Eglise ne peut être définie en soi, mais toujours relativement.
Elle est rapportée à celui qui la convoque ou dont elle dépend. L’Eglise n’existe
pas, il n’existe que son Eglise. L’Eglise
sans Jésus n’a pas de sens, pire, elle est trahison d’elle-même et de Jésus.
C’est seulement lorsque les chrétiens ne sont plus persécutés que
le bâtiment dans lequel ils se retrouvent prend le nom d’église. Longtemps
cependant, à Rome notamment, ces bâtiments continuent à porter le nom des
édifices publics de même architecture qui permettent de rassembler les
citoyens, les basiliques. Lorsque l’on écrit Eglise avec une majuscule, on
désigne l’assemblée, le rassemblement des chrétiens, jusque dans son
institution. Avec une minuscule, c’est le bâtiment.
L’Eglise et Jésus
Le mot Eglise se rencontre seulement deux fois dans les évangiles, en
Matthieu. En revanche, dans les évangiles, les Douze jouent un rôle central. On
les a identifiés aux apôtres. Mais on pourrait montrer assez simplement que les
Douze et les apôtres, ce ne sont pas historiquement les mêmes (Cf. par ex. 1 Co
15, 5 et 7)
Dans l’évangile de Marc, dès les premiers versets (Mc 1, 16-20),
Jésus appelle des disciples. On ne sait encore rien de Jésus, et l’on peut
supposer qu’il en va de même pour ceux qui sont appelés. En tout cas, rien
n’est dit à leur sujet. On a l’habitude de lire cet épisode comme un récit de
vocation, un appel. Mais il n’en est rien. Il s’agit, et c’est tout à fait
sensé au début du texte, d’une présentation de Jésus. Jésus, c’est quelqu’un
qui n’existe pas sans les autres. Jésus est toujours avec des disciples. Quand
Jésus passe, comme au bord du lac, il ne rencontre que des frères, parce qu’il
fait que tous sont frères. « La fraternité » est un des noms que les
chrétiens utilisaient pour désigner l’Eglise (1 P 2, 17 et 5, 9)
Parmi les disciples, avec certains, Jésus « fit douze »
(Mc 3, 14). L’expression est curieuse. On n’aura pas de mal à comprendre que
Jésus constitue un groupe de douze. Pourquoi douze ? Il s’agit d’une
totalité. Ce groupe a valeur symbolique. Il représente la totalité des disciples,
comme les douze tribus d’Israël représentent le peuple de Dieu tout entier,
comme les douze mois de l’année forment une année entière. Jésus est l’homme de
la réconciliation unanime, il rassemble dans l’unité les enfants de Dieu
dispersés (Jn 11, 52).
Dans les deux textes que nous venons d’évoquer, on trouve le verbe
appeler (kaleo) ou un de ses composés (Mc 1, 18 et 3, 13). Les Douze, c’est
l’Eglise.
Paul, dont les écrits sont les textes chrétiens les plus anciens ‑ ils
datent du début des années 50, vingt ans après la mort de Jésus ‑ utilise le
mot Eglise. Dans sa première lettre aux Corinthiens (vers 54), il l’a dit corps
du Christ : nous connaissons ce texte du corps et des membres (1 Co 12,
14-27). Le Christ total, comme dit Augustin, c’est le Christ et ses membres. Le
Christ n’est pas entier sans les disciples. (Un disciple de Paul, dans la
lettre aux Colossiens (Col 1, 18), parlera du Christ comme la tête du corps qu’est
l’Eglise. Mais en Corinthiens, Jésus n’est pas distinguable des disciples, il
n’est pas une partie du corps ‑ la tête ‑ et n’existe que par la
totalité des membres qui composent le corps.)
Il n’est pas possible de parcourir toute l’histoire de la
compréhension du lien entre Jésus et l’Eglise. Au XXe siècle, un allemand,
théologien, pasteur protestant, pendu par les Nazis en 1945, Dietrich
Bonhoeffer reprend souvent une formule : « l’Eglise est le Christ
existant comme communauté ». Non qu’il veuille gommer les horreurs de
l’Eglise en l’identifiant au Christ. Mais il tient à souligner l’impossibilité
de parvenir au Christ sans la communauté, malgré toute sa pesanteur et ses
tares. On ne rêve pas un Jésus, homme imaginaire ; on chemine avec lui par
les frères, pour le meilleur et pour le pire. C’est dire la responsabilité de
l’Eglise ! Elle est, écrit-il encore, « le Christ caché parmi
nous ».
Qui fait partie de l’Eglise ?
Augustin écrivait vers 410 : « Beaucoup de ceux qui
paraissent au dehors [de l’Eglise] sont au-dedans, et beaucoup de ceux qui
paraissent au-dedans sont au dehors. » Il faisait remonter l’Eglise aux
origines de l’humanité. L’Eglise depuis
Abel, assemblée de tous les justes. Abel n’a jamais été chrétien, baptisé,
n’a jamais entendu parler de Jésus.
Ils sont en effet nombreux de par le monde et le temps qui n’ont
jamais entendu parler de Jésus, qui pourtant sont dedans ! Inversement, ceux
qui ont écrasé, ou écrasent les autres tout en se disant chrétiens ne peuvent être
de l’Eglise, tout pape ou prêtre, qu’ils soient.
Augustin pensait, à propos de ceux du dehors, à ceux qui sont en
rupture avec la communion catholique, baptisés et membres d’une autre Eglise,
comme nous dirions. Et comme il ne peut y avoir qu’une seule Eglise ‑ Jésus
ne saurait avoir plusieurs corps ‑ les séparations entre Eglises sont une
ineptie, à moins que les Eglises ne s’accordent pour chanter une même louange.
L’Eglise n’est pas définie par ses frontières, mais par Jésus et sa mission.
Il y a des « chrétiens anonymes », des gens qui ignorent
tout de Jésus et sont pourtant ses disciples (Cf. Mt 25, 31-46). Cette
expression ne vise pas à récupérer les « justes » sans qu’ils le sachent,
voire contre leur gré, mais confesse que l’appartenance au Christ n’est pas affaire
de religion ou de culte, mais naît de la reconnaissance d’un frère en tout
homme. Tout cela conduit la mission bien loin du religieux, quand bien même
c’est ce que réclament nombre de ceux qui participent régulièrement à
l’eucharistie, et nombre de ceux qui paraissent moins dans le coup et demandent
des funérailles pour leur proche, un baptême pour leur enfant, un mariage à
l’Eglise.
Ces remarques sont importantes. A la fois, elles nous arriment aux
contingences historiques (divisions, membres corrompus, dimension
institutionnelle, différences des personnes), à la fois elles soulignent
l’impossibilité d’une définition identitaire de l’Eglise, qui permettrait de
savoir clairement qui en est et d’en exclure tous les autres.
Les hommes, personnes et communauté
Les hommes ne sont pas des atomes, autonomes, indépendants les uns
des autres. La pandémie nous a rappelé notre interdépendance ; nous
n’existons pas sans les autres. Ceux qui ont les moyens suffisants pour penser
n’avoir pas besoin des autres puisqu’ils peuvent accéder à ce dont ils ont
besoin et envie, se découvrent totalement dépendants des producteurs
alimentaires ou pharmaceutiques, des aides-soignantes et des dizaines de
« petits-métiers » si peu considérés.
Etre homme, c’est vivre en société (si l’on parle latin), c’est être
un vivant politique (si l’on parle grec). Une communauté humaine, fût-elle
appelée par Dieu, n’échappe pas à l’organisation, la justice, la manière de
décider ensemble, la politique, le commerce. Qui plus est, avec un Dieu fait
homme, la totalité de l’humanité ne peut qu’être assumée par la foi. La
politique, la vie sociale, puisqu’elle est l’homme en tant qu’il vit avec les
autres, n’échappe pas à la suite du Christ. L’Eglise est la suite du Christ en
tant que l’homme est communauté et pas seulement individu ou personne.
Pour vivre ensemble, il faut s’organiser. C’est ce qu’on appelle
une institution. L’organisation de l’Eglise, c’est ce qui permet que les
membres, dans leurs différences, vivent ensemble. Les pauvres, les étrangers ont-ils
leur place dans la « fraternité » ?
Vieille question (Jc 2, 1-3). Les
prisonniers, peut-être comme membres « les moins honorables » (1 Co
12, 23), sont-ils accueillis ? C’est d’eux dont il faut avoir le souci,
car les autres trouvent toujours leur place, et tant mieux d’ailleurs.
Chaque institution est pourrie, est toujours en partie pourrie, de
même que chacun de nous est aussi un salaud. Refuser de prendre en compte la
précarité institutionnelle quand on parle de l’Eglise, c’est non seulement
perdre toute crédibilité d’un point de vue factuel et historique, mais vivre
dans l’imaginaire d’un monde parfait, à la racine des pires perversions.
L’Eglise est à la fois cette communauté qui vit de la vie même du
Christ, qui en ce sens est sainte, tenant sa sainteté du Christ. C’est ce que
dit le « Je crois en Dieu ». « Je crois en l’Esprit Saint, à la
sainte Eglise catholique. » Et combien de disciples de Jésus, hier et
aujourd’hui, demeurent des modèles bien au-delà de la foi ? Que l’on pense
à François d’Assise, ou à sœur Emmanuelle. A la fois, elle est cette « institution
de la pourriture » ; que l’on pense aux atteintes aux droits de
l’homme au nom de l’évangile ou, plus récemment, aux scandales de
pédocriminalité.
La mission de l’Eglise
Les baptisés (confirmés) sont ensemble les « pierres vivantes »
de l’Eglise (1 P 2, 5). A ce titre, chacun avec les autres a non seulement son
mot à dire, mais son action à mener pour accompagner Jésus et être envoyé par
lui (Mc 3, 14) Tous n’ont pas le même rôle, ainsi que le dit la métaphore du
corps et des membres. Mais tous ont part à la mission de l’Eglise.
A distance de notre conception très individuelle de la personne
humaine, il faut rappeler que ce n’est pas moi qui crois, quand bien même
croire est l’acte d’une personne, souvent isolée dans son entourage. C’est
l’Eglise qui croit. Nous le disons à chaque messe : « Regarde la foi
de ton Eglise. ». Mais elle croit et agit parce qu’ensemble, nous sommes
le corps du Seigneur. Nous sommes responsables non de notre mission, de notre
prière, de notre témoignage et solidarité, mais de tenir notre place, toute
notre place, dans le corps qui est envoyé en mission, prie, soulage ceux qui
sont dans le bazar.
Ce que fait l’Eglise ? Ce n’est pas à elle d’en décider. Elle
reçoit mission du Seigneur d’être avec lui et d’être envoyée. Relisons encore Mc
3, 14 : « Il fit Douze pour qu’ils soient avec lui et pour les
envoyer annoncer, avec le pouvoir de chasser les démons. »
Y aurait-il contradiction entre « être avec » Jésus et « être
envoyé » ? S’agirait-il de deux actions différentes ? Faudrait-il
choisir, ou alterner l’une et l’autre attitude ? Non. Pour être avec Jésus,
il faut être envoyé. On n’est avec lui qu’à être envoyé, parce qu’il est déjà
présent chez ceux auxquels il envoie les disciples. Il ne cesse de nous
précéder (Mt 28, 7-16)
Le texte ne dit pas ce qu’il faut annoncer : « les
envoyer annoncer ». C’est curieux, car en grec comme en français, on
attend un complément d’objet. D’accord, le verbe employé a sans doute un sens
technique, celui d’une annonce liée à Jésus ressuscité. Mais Marc peut-il supposer
que ses lecteurs connaissent ce sens technique ? L’annonce réside bien
plutôt en ce que découvrent les envoyés, à savoir premièrement que Jésus est
avec eux lorsqu’ils sont envoyés, deuxièmement que Jésus est déjà chez ceux qui
les accueillent. La mission dévoile Jésus non seulement à ceux qui accueillent
les envoyés, mais aux envoyés eux-mêmes. Il n’y a pas d’abord à être avec
Jésus, bien au chaud avec lui, pour après partir en mission. Nous savons,
catéchistes, chefs scouts, parents, que c’est à l’annoncer que l’on découvre
Jésus.
L’annonce permet de reconnaître ce qui est déjà, et cela on ne peut
pas le savoir avant d’avoir été accueilli. L’annonce dépend en son contenu de
ceux à qui elle est destinée. Voilà pourquoi le verbe « annoncer »
n’a pas de complément.
L’annonce est accompagnée du pouvoir de faire reculer le mal. L’évangélisation
n’est pas la prédication de choses à croire ; elle est découverte de Jésus,
ensemble, envoyés et destinataires de l’annonce, et cette découverte fait
reculer le mal, est pouvoir de chasser les démons. L’Eglise est au service de
l’humanité ‑ c’est elle « la servante du Seigneur » (Lc 1,
38) ‑ en permettant à chacun de connaître autour de lui un reflux du mal.
L’Eglise ne décide donc pas de sa mission ni de ce qu’elle a à
annoncer. Ceux auxquels elle est envoyée lui indiquent ce que Jésus lui
commande. Elle n’a de sens que dans la mission, qu’« en sortie », comme
dit François, en dehors d’elle. Son unique action, son seul pouvoir, c’est de
faire reculer le mal. Le reste ne relève pas de son « pouvoir ». Pour
annoncer Jésus, pour être signe de sa présence, pour vivre avec lui, elle doit
être comme Jésus, « pour les autres », envoyée (Jn 20, 21).
Notre Eglise aujourd’hui
Les églises sont vides. C’est particulièrement évident en ce
moment. Mais cela ne change pas substantiellement la situation hors confinement.
Les églises de nos villages sont presque toujours fermées, et l’assistance, en
dehors des messes des familles, n’y dépasse guère quelques dizaines. (On se
demande pourquoi le gouvernement n’autorise pas la célébration des
eucharisties, au moins dans des régions comme la nôtre.)
Que doit être la mission de l’Eglise si l’eucharistie dominicale
rassemble si peu de monde. De toute façon, une heure par semaine, ce ne peut
être cela la mission de l’Eglise, alors qu’il semble que s’il faut définir
l’Eglise, on pense à la célébration de la messe, si les catholiques exigent
quelque chose pour eux en ce confinement, c’est la célébration de la
messe ! Si l’on doit organiser la mission de l’Eglise d’après Mc 3, 14
(être avec lui en étant envoyé pour faire reculer le mal), la pastorale
ordinaire paraît à côté de la plaque !
On pourra, et à juste titre, faire remarquer que la Fraternité
instituée par Jésus lors de l’appel des disciples se poursuit dans les
communautés. Elles sont souvent un lieu propice à la rencontre, notamment
lorsque l’on emménage en un nouveau lieu. Dans les campagnes comme dans les
cités, la fraternité des communautés n’est pas un vain mot et l’on aurait tort
de la mépriser.
La gratuité est caractéristique de la mission de l’Eglise. Etre là
pour ceux qui frappent à la porte, connus ou pas. Ecouter, accueillir, être
disponible. La célébration des funérailles en témoigne, alors qu’elle relève
souvent de motivations bien peu chrétiennes, relevant du culte païen des morts.
(Jésus, lui, invitait à laisser les morts enterrer les morts (Mt 8, 22).
La catéchèse n’a pas de sens si elle n’est pas l’affaire des
parents, dont la catéchèse paroissiale n’est qu’une ressource. Les parents
peuvent déléguer à l’école ou aux associations sportives et cultuels
l’apprentissage que ces dernières dispensent. Ils ne peuvent déléguer
l’initiation à la foi ; on ne saurait vouloir faire découvrir le Christ
sans être soi-même à le chercher. C’est une contradiction dans les termes, et
les enfants ne s’y trompent pas. L’Eglise d’ailleurs, a bien trop peu confiance
dans les parents pour les laisser faire et s’accommode de leur passivité
qu’elle fustige cependant sans cesse. Bonjour l’accueil… et le jeu de
dupes !
Le partage de la foi dans la lecture des Ecritures, l’étude de ce
qui fait de nous des disciples ou la relecture de vie jouent un rôle décisif pour
permettre à chacun de s’emparer de sa foi, en être, non l’acteur, mais le
bénéficiaire responsable.
Reste la charité, faire reculer le mal comme nous disions plus haut
avec Marc. Elle est le cœur de la mission. L’Eglise devrait être l’échoppe de
la charité, l’hôpital de campagne comme dit François. On n’y vend rien de
merveilleux. On répare plutôt, on bricole. La collaboration avec tous ceux qui
s’attèlent à la solidarité relève du devoir de l’Eglise.
Est-ce que tout cela requiert des paroisses et leur organisation ?
Cela ne relève-t-il pas de la responsabilité de chacun, membre de l’Eglise par
le baptême, pierre vivante ? Il faut bien que certains stimulent,
suscitent, accompagnent, encouragent, aient le souci de la communion, de
l’unité, de ceux que l’on peine à accueillir, de ceux qui peinent à s’insérer.
On s’étonnera peut-être que l’on n’ait point parlé de la prière, du
devoir de prier. Mais qu’est-ce qu’« être avec » Jésus, sinon prier,
et ainsi seulement peut-on « prier sans cesse ». (1 Th 5, 17). Faut-il
rappeler que la prière n’est pas une activité, un truc à faire, parmi d’autres,
des prières à réciter, mais un se-tenir-devant-Dieu, « être avec lui ».
Des balises de la prière, signes de son inutilité, de sa gratuité, c’est
aussi une des missions de l’Eglise. L’hospitalité monastique joue dans la
mission de l’Eglise un rôle capital. Dans les paroisses, il est opportun qu’existent
des pôles de priants, des fraternités de priants, pour rien, pour témoigner de
la grâce, de la gratuité, mais… avec l’hospitalité.
Une question me taraude tout de même devant ces églises vides. C’est
entendu, il est vain de s’agiter pour les remplir, nous courrons en pure perte,
ce que nous faisons n’étant que si peu conforme à la mission telle qu’en
parlent, par exemple, les quelques versets de Marc que nous avons commentés. Je
note que Jésus lui-même devait être un peu inquiet, puisque c’est l’une des très
rares intentions, si ce n’est l’unique, qu’il recommande à notre prière : « Priez
donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson. » (Lc
10, 2)
Même si la mission de l’Eglise consiste en une moisson, et non en
semailles, labours ou sarclage, même si le boulot est fait et qu’il n’y a plus
qu’à ramasser, le manque d’ouvriers risque d’empêcher la moisson. Ces ouvriers,
ce ne sont pas les prêtres, comme on le dit souvent. Ils n’existent pas dans la
bouche de Jésus, ni sous la plume des évangélistes. C’est hors-sujet,
anachronique, et surtout faux théologiquement. Mais il manque effectivement d’ouvriers
pour la moisson. En soit le petit nombre n’a pas à nous affoler. Jésus savait
la pénurie.
Ce qui me fait peur, devant les églises vides, c’est que l’action
de l’Eglise est grandement à côté de la mission que le Seigneur lui a confiée ;
c’est que la partie de l’Eglise qui se croit autorisée à être autorité ne
conduit pas l’Eglise sur les bons chemins. C’est criminel pour l’évangile,
c’est-à-dire pour les gens privés d’entendre l’évangile comme une bonne
nouvelle. Que le cléricalisme soit une des raisons de ce dévoiement,
l’insistance sur la messe l’illustre. Si les baptisés ne sont plus identifiés
premièrement par ce qui est contrôlé par le clergé, c’est la fin du clergé ou
du moins d’une manière d’exister pour le clergé.
Mais il y a plus grave. Les baptisés, prêtres et laïcs, suffisamment
engagés pour être avec Jésus, c’est-à-dire pour être envoyés, existent-ils en
nombre suffisant ? Si l’on regarde parmi les pratiquants, comme on dit,
ceux qui ont le souci des frères autant que du culte, on se met à avoir peur.
Si l’on regarde parmi les non-pratiquants, comme on dit, ceux qui acceptent
d’être envoyés, et ainsi se découvrent « avec Jésus », pas sûr que la
moisson ne pourrisse sur pied.
Mc 1, 16-20
Comme Jésus passait sur le bord de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient l'épervier dans la mer ; car c'étaient des pêcheurs.
Et Jésus leur dit : " Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes. "
Et aussitôt, laissant les filets, ils le suivirent.
Et s'avançant un peu, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, eux aussi dans leur barque en train d'arranger les filets ;
et aussitôt il les appela. Et laissant leur père Zébédée dans la barque avec ses employés, ils partirent à sa suite.
Mc 3, 13-14
Jésus gravit la montagne et il appelle à lui ceux qu'il voulait. Ils vinrent à lui,
et il fit Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer annoncer,
avec pouvoir de chasser les démons.
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