31/05/2020

Qui suis-je ? Poème de Dietrich Bonhoeffer

Bonhoeffer est incarcéré en préventive depuis 15 mois lorsqu'il écrit ce texte (début juillet 1944). Il ne sera pas libéré mais exécuté en avril 45 par les Nazis.
Alors même qu'il sait qu'un attentat se prépare contre Hitler le 20 juillet 44 ("l'attente de grandes choses") il semble désespéré, fatigué de ce qu'on dit de lui, de sa fidélité à l'évangile qui l'a conduit là où il est, de sa faiblesse.

Qui suis-je ? Souvent ils me disent
Que je sortiras de ma cellule
Détendu, ferme et serein,
Tel un gentilhomme de son château.

Qui suis-je ? Souvent ils me disent
Que je parlerais avec mes gardiens
Aussi libre, amical et clair
Que si j’allais donner des ordres.

Qui suis-je ? De même ils me disent
Que je supporterais les jours de malheur.
Impassible, souriant et fier,
Comme un homme accoutumé à vaincre.

Suis-je vraiment celui qu’ils disent de moi ?
Ou seulement cet homme que moi seul connais ?
Inquiet, nostalgique, malade, pareil à un oiseau en cage,
Cherchant mon souffle comme si on m’étranglait,
Avide de couleurs, de fleurs, de chants d’oiseaux,
Assoiffé d’une bonne parole et d’une proximité humaine,
Tremblant de colère devant l’arbitraire et l’offense mesquine,
Agité par l’attente de grandes choses,
Craignant et démuni pour des amis dans un lointain sans fin,
Si las, si vide que je puis prier, penser, créer,
N’en pouvant plus et prêt à l’abandon ?

Qui suis-je ? Celui-là ou celui-ci ?
Aujourd’hui cet homme et demain cet autre ?
Suis-je les deux à la fois ? Un hypocrite devant les hommes
Et devant moi un faible, méprisable et piteux ?
Ou bien ce qui reste en moi ressemble-t-il à l’armée vaincue,
Qui se retire en désordre devant la victoire déjà acquise ?

Qui suis-je ? Dérision que ce monologue.
Qui que je sois, tu me connais, je suis tien, ô Dieu !

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