Nous sommes tellement habitués à l’idée de la proximité de
Dieu, quoi que nous en fassions concrètement, qu’elle ne nous étonne même plus.
Pourtant, il y a quelque chose d’insensé à penser que nous aurions une place
auprès de Dieu, avec lui. Qu’est-ce que Dieu peut bien avoir à faire de nous ?
D’ailleurs, cette proximité a priori n’empêche pas le constat du désintérêt total
de Dieu pour le monde et celui des hommes pour lui.
Nous croyons que le paradis ‑ la résurrection ‑ est
convivialité avec Dieu, vie partagée avec Dieu. Il est communion avec Dieu. De
même que le Père et le Fils sont uns dans l’Esprit, vivent l’un de l’autre, de
même l’humanité est un avec Dieu. C’est une des prière de l’offertoire : comme cette eau se mêle au vin,
puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité. Si
paradis il y a, les délices consistent en cette union vivifiante avec Dieu. Et
c’est encore trop peu dire. La résurrection est l’adoption divine, le partage
de ce qu’il est, lui. Notre nature est transfigurée. Nous sommes divinisés,
appelés à la divinisation.
L’évangile de ce jour (Jn 14, 1-6) est souvent détourné de son sens
par l’usage qu’en fait le rituel des funérailles. « Je pars vous préparer
une place » constituerait une annonce de la résurrection personnelle. « Dans
la maison du Père, il y a de nombreuses demeures ». Et Jésus prend soin de
consoler ses interlocuteurs : « que votre cœur ne soit pas bouleversé ».
Or le contexte de mort, de décès concerne Jésus, sa disparation. C’est lui qui
part, lui que l’on ne reverra jamais, lui dont la voix s’éteint pour demeurer à
jamais silence intenable.
Il n’y a pas besoin d’être spécialiste des textes évangéliques pour
s’apercevoir que le texte ne parle pas de la mort ni de la résurrection
personnelle, qu’il n’est pas fait pour consoler les proches des défunts lors
des funérailles. Ils sont morts, mais, consolons-nous, Jésus leur a préparé une
place, ils ne sombrent pas dans le néant.
Rien de tout cela n’est dit, c’est un contresens complet. Outre
qu’on violente le texte à s’en servir ainsi, la mythologie ainsi développée empêche
de comprendre quoi que ce soit à la résurrection. En ce temps pascal, il n’est
pas déplacé d’essayer d’entendre ce qu’il y a de pascal en ce chapitre 14, ce
que ce chapitre dit de la résurrection.
Dans le prolongement de ce que toute sa vie a été, la mort de Jésus
scelle sa fidélité au Père. Le Père, nous découvre-t-il, s’efface derrière le
souci de ses enfants. La fidélité de Jésus ouvre un accès inouï à Dieu.
« Pour aller vers le Père, vous connaissez le chemin. »
Ce chemin permet à l’humanité de vivre de la vie de Dieu, non pas
demain, après la mort, mais ici et maintenant, comme Jésus l’a vécu. Dans nos veines
coule avec le sang la vie de Dieu, coule Dieu qui est vie, coule la source. Le
chemin vers Dieu et la vie, c’est la même chose, pardon, la même personne. C’est
Dieu qui se donne, se partage, Jésus.
Jésus fait sourdre l’humanité en vie divine. La résurrection, je le
redis, n’est pas après la mort. Elle est maintenant ou ne sera pas après la
mort. Voilà la folie que nous confessons. Vivre de la vie de Dieu, c’est à quoi
nous sommes appelés maintenant, vivre ou « être comme des dieux »,
libérer en nous l’image et ressemblance selon lesquelles nous sommes créés.
C’est ce dont l’eucharistie est le sacrement : Dieu est notre
sang, notre chair. La vie divine est notre vocation. Communier c’est reconnaître
‑ se rendre compte que et être reconnaissant de ce que ‑ la fidélité
de Jésus au Père ‑ le service des frères ‑ est notre sang, notre chair,
notre vie, notre chemin. Il est le
chemin, la vérité et la vie. Qui l’a
vu a vu le Père. L’eucharistie n’est pas l’expression d’un sentiment
religieux, une dévotion, un culte rendu. Elle est une métamorphose, une
transfiguration. Dieu se partage, lui la vie, Dieu vit en nous. Ce n’est plus
nous qui vivons, mais lui.
Dieu ne s’est jamais autant approché de l’humanité, puisqu’en Jésus
se dévoile qu’il est vie de l’humanité. Si Dieu n’intervient pas dans le monde
au point de paraître s’en désintéresser totalement, c’est qu’il ne peut faire
plus que ce qu’il est, le sang qui coule en nos veines.
Urgente est notre conversion. A demeurer des mortels, humains trop
humains, non seulement nous ratons l’humanité comme indice du divin, non
seulement nous contestons dans les faits tout ce que nous proclamons, mais nous
piétinons Dieu qui vient chez nous pour y faire sa demeure, nous piétinons les
nombreuses demeures dans sa maison, nous tournons le dos à l’offrande de divinisation.
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