Il faut s’arrêter presque à chaque mot de l’évangile,
prendre le temps d’être étonné. Ainsi, l’évangile n’est pas quelque chose de
bien connu que nous n’avons plus besoin de lire ; il est toujours nouveau.
Chaque fois que nous le lisons, de nouvelles questions se posent, des choses inouïes
se donnent à entendre.
« Je prierai le Père, et il vous donnera un autre défenseur. »
(Jn 14, 15-21) Le texte dit, il vous donnera un autre paraclet. Dans les Ecritures, le mot n’est utilisé que dans le
corpus johannique, même si la racine se retrouve ailleurs. Etymologiquement, paraclet
c’est celui qui appelé vers, auprès de, en latin ad-vocatus, avocat. D’où la traduction le Père vous donnera un autre défenseur. Cependant, les autres
usages de la racine dans le nouveau testament retiennent plutôt l’idée de
consolation.
Devant qui et de quoi aurions-nous besoin d’être défendus ?
Aurions-nous un accusateur ou un ennemi ? De quoi aurions-nous besoin d’être
consolés ? N’a-t-on pas entendu les critiques de la religion comme
consolation pour supporter la dureté de l’existence au lieu de se révolter
contre les structures d’oppression et d’affliction et de les renverser ?
Une autre question, ou plutôt la même question posée d’un autre
point de vue. Si le Père envoi un autre
défenseur, qui est le premier ? Jésus, assurément ? Mais Jésus s’est-il
montré dans les chapitres qui précèdent comme un défenseur voire un consolateur ?
Et si c’est Dieu qui envoie deux consolateurs, Jésus et un autre, il est peu
probable qu’il soit lui-même celui qui accuse ou afflige.
L’accusateur, c’est l’ennemi, tout ce qui détruit la vie, en nous, autour
de nous et par nous. Ce n’est pas seulement l’évangile de Jean qu’il faut
relire. Cela commence par exemple au début du livre de l’Exode : j’ai vu la misère de mon peuple. Cela se
poursuit avec les prophète Isaïe : Consolez,
consolez mon peuple. Dieu vient nous défendre et nous consoler.
Les signes de Jésus en Jean (l’eau changée en vin, la guérison d’un
enfant puis celle d’un handicapé depuis quarante ans, la multiplication des
pains, la guérison de l’aveugle né et le relèvement de Lazare) sont
consolations. A l’humanité affligée et blessée, écrasée par le mal, la maladie
et la mort, Jésus offre la consolation en nous défendant contre le mal.
Il y a en chacun de nous un enfant à consoler. Le mal subit, le mal
commis dont nous ne nous remettons pas. C’est le gouffre quand nous réalisons le
mal que nous avons fait, que ce soit en le voulant ou non. « Notre besoin
de consolation est impossible à rassasier. » Le Père nous donnera un autre consolateur,
puisqu’il a vu la misère de son peuple, puisqu’il commande que l’on console,
que l’on console son peuple.
La consolation n’est pas une sucrerie pour faire oublier un bobo, un
analgésique pour oublier la douleur de vivre. Il s’agit de sortir du mal, d’en
finir avec le mal. Pour n’être pas artificielle, la consolation doit prendre au
sérieux le mal et l’adversaire. On ne peut pas dire que ce n’est pas ce que fit
Jésus. C’est ce que nous appelons résurrection. Pendant tous ces dimanches du
temps pascal, nous ne cessons d’explorer la diffraction de la lumière de la
résurrection.
Mais le consolateur n’est plus. La mort l’a emporté, il est le
crucifié. Il serait encore ici que nous pourrions « adorer », comme l’on
dit aujourd’hui, nous croire dispensés de porter l’immense consolation dont l’humanité
a besoin. Faire de Jésus une idole, ce serait le comble ! Rester confinés
au cénacle, bien au chaud, avec lui, c’est impossible si le maître n’a pas où
reposer la tête, si le maître n’est plus. Il nous manque, le Seigneur, et nous
voilà doublement inconsolables.
Artisans d’une consolation qui ne vient pas de nous, pour les
hommes impossible, un autre consolateur nous est donné et anime le corps que
nous sommes, lui donne vie pour consoler. Consolez,
consolez mon peuple, dit le Seigneur. J’ai
vu la misère de mon peuple.
L’Esprit est le don de Dieu pour consoler, pour que la vie ne soit
pas un fardeau impossible, pour que la joie soit en nous, que nous soyons
comblés de joie. Nous ressuscitons les morts, réponse à l’immense besoin de
consolation, ici et maintenant : vivre en grâce avec soi-même, avec les
frères, avec Dieu.
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