1. Qu’est-ce que la réception ?
2. Périodisation de la réception
3. Où en sommes-nous ? Questions pour la réception aujourd’hui
Un concile
dont les enseignements et décisions ne seraient pas reçus n’aurait pas grande
valeur. Le sens de la foi des fidèles, le sensus
fidelium dont parle Lumen Gentium,
s’exprime notamment dans la réception, et donne à un concile d’être celui de
toute l’Eglise, et non pas seulement le fait de ceux qui en ont été les acteurs
directs.
Evaluer la
réception d’un concile est à la fois simple et compliquée. Simple, car on voit
bien si ce qui a été décidé a rencontré ou non l’assentiment du peuple de Dieu,
si cela irrigue sa pratique et sa manière de confesser la foi (liturgie,
catéchèse, prédication, morale, etc.). Compliqué cependant, car on est rarement
dans le tout ou rien. Qu’un concile soit convoqué pour résoudre une difficulté
dogmatique ou disciplinaire, ou pour réformer l’Eglise, on se doute qu’il ne
suffit pas qu’il tranche une question ou édicte des règles, pour que les
comportements changent en un clin d’œil, pour que les manières de penser soient
modifiées.
« Pour
nous en tenir aux résultats théologiques les plus importants, le Concile a
réinséré dans l’ensemble de l’Eglise une doctrine de la primauté qui restait
encore dangereusement isolée ; il a intégré dans le mystère du corps du
Christ une conception de la hiérarchie trop isolée elle aussi. Il a rattaché au
grand ensemble de la foi une mariologie isolée. Il a rendu à la parole biblique
la plénitude de son rang. Il a rendu la liturgie à nouveau accessible. Et avec
tout cela il a fait aussi un pas courageux dans le sens de l’unité des
chrétiens. » (J. Ratzinger 1985)
A quoi l’on
doit ajouter l’appel universel à la sainteté, l’engagement des laïcs dans la
pastorale (conseils, paroisses, mouvements, aumôneries scolaires, hospitalières,
etc.), la conception dialogale de la mission (dans les pays de vieille et de
nouvelle évangélisation), la double mission de l’évêque (dans une Eglise particulière
et avec les autres évêques), la définition de l’épiscopat comme troisième degré
du sacrement de l’ordre, la restauration de la concélébration et du diaconat permanent (y compris pour
des hommes mariés), la liberté religieuse, l’engagement dans le dialogue
interreligieux, l’élaboration de nouvelles constitutions par les religieux, l’affirmation
de la hiérarchie des vérités de la foi, etc.
Certes, ce que l’on appelle la minorité conciliaire ne se
rallia pas, dès lors qu’elles furent adoptées, aux options qu’elle avait tenté
d’empêcher durant la célébration du concile.
2. Périodisation de la réception
La périodisation
est une opération qui exige du recul et peut facilement être contestée. Selon
les lieux elle a pu commencer dès le concile ou seulement dans les années 70.
a. D’abord
l’enthousiasme que l’on connut durant le concile se poursuivit. Cela donna lieu
à beaucoup de créativité. Après des années pesantes, la levée du couvercle provoqua
des débordements. On avait la conscience d’une rupture entre l’avant et l’après
concile. On avait tout autant conscience de réinterpréter Trente et Vatican I notamment
grâce à un retour aux sources scripturaires et patristiques. Les textes étaient
interprétés principalement par leurs auteurs selon une herméneutique de l’intention
(ce que l’on avait voulu dire) que l’on peut appeler l’esprit du concile. Cette
période s’achève avec la publication des livres liturgiques rénovés, la mort de
Paul VI et de nombre des acteurs directs.
b. Le
pontificat de Jean Paul II marque une deuxième étape avec, à partir de 1981, la
responsabilité du Cardinal Ratzinger comme préfet de la congrégation pour la
doctrine de la foi. Les théologies différentes présentes dans les textes deviennent
des oppositions voire des contradictions ainsi qu’en témoigne en 85 le synode à
l’occasion des vingt ans du concile. Le magistère romain veut imposer une
lecture qui limiterait ce qu’il estime être des excès non fidèles au concile et
mène une lecture minimaliste du dernier concile.
Cette
période voit la publication du Code de droit canonique (1983) et du Catéchisme
de l’Eglise catholique (1992) qui sont des actes de réception. Mais est-ce ces
textes qui doivent dire comment interpréter le concile ou l’inverse ? On
perçoit une forte demande de repères, dans un monde qui semble déboussolé après
l’euphorie des Trente glorieuses.
c. La troisième période est caractérisée par l’autorité que
prend l’herméneutique de Joseph Ratzinger lorsqu’il devient évêque de Rome.
Moins d’un an après son élection, le fameux discours à la curie de décembre
2005 s’oppose à une compréhension du concile comme rupture et pale de réforme. L’enjeu
est grandement politique puisqu’il s’agit de résorber le schisme de ceux qui
refusent l’enseignement de Vatican II. Cela instrumentalise le concile qui
n’est pas la clef de lecture de la tradition mais doit être lu d’après la tradition.
3. Où en sommes-nous ? Questions pour la réception aujourd’hui
a. La réception
passe aujourd’hui, encore plus qu’hier, par une connaissance des textes et de
l’histoire de l’événement conciliaire, compte tenu que de moins en moins de
personnes peuvent faire appel à leur expérience de l’événement conciliaire.
b. Un conflit
des interprétations naît de la fin des certitudes définitives et de la situation
de minorité ou de diaspora de l’Eglise. Nietzsche est sans doute le premier à
revendiquer l’itinérance de la vérité dans un XIXe aussi dogmatique que
possible, en morale, en sciences, dans la religion… et Mai 68 marque la généralisation
de cette pensée. Le concile représente une réinterprétation globale de
l’évangile qui ne cherche pas à dicter extrinsèquement la vérité mais à en
faire une boussole pour inventer hic et
nunc, de façon toujours nouvelle, le chemin de la vie. Ainsi l’évangile demeure
amour du monde et mise en critique du monde. Le virage anthropologique de la
prédication conciliaire conteste la distinction prétendue évidente du sacré et
de profane ; il n’y a plus de culture ou de société exclusivement
catholique. Il faut apprendre à vivre sa foi avec ces frontières floues. Reste
à repérer les chances d’un christianisme
fragile et de la faiblesse de croire.
Cela ne
signifie par conséquent pas qu’il n’y a plus de vérité. Personne n’a le dernier
mot de la vérité, ni les croyants, ni même le magistère[1].
Or depuis des années certains déplorent la contestation de l’autorité et « une
souveraineté du peuple de Dieu, selon laquelle c’est le peuple de Dieu lui-même
qui détermine ce qu’il veut comprendre par Eglise, laquelle semblait désormais
très clairement définie comme Peuple de Dieu. » (J. Ratzinger, 1997)
c. Magistère
et ministères ne sont pas des questions primordiales, mais comme elles touchent
à l’autorité, à l’organisation de l’Eglise et à la définition de la vérité, elles
jouent un rôle clef dans la réception. Premièrement, la collégialité épiscopale
doit être plus largement vécue, notamment dans son rapport à la primauté
romaine qui n’a cessé d’être renforcée depuis le concile, alors qu’avait été voulu
un rééquilibrage de la primauté par la collégialité.
Deuxièmement,
il faut mener plus loin que le texte même du concile la pratique de la synodalité,
expression de ce que l’ensemble des baptisés doivent pouvoir participer, de
façon certes organisées, aux décisions ecclésiales qui les concernent. Le
fonctionnement des conseils prévu par le concile et le code de droit doit être développé
et il doit être clair que le statut souvent consultatif de ces conseils ne signifie
jamais facultatif ou optionnel.
Enfin, la
théologie du ministère des prêtres doit être réélaborée d’autant plus que Presbyterorum ordinis n’est pas un bon
texte (on y perçoit la juxtaposition de deux théologies que l’on n’a pas su concilier
ou entre lesquelles on n’a pas voulu choisir). La figure du prêtre a tellement
marqué l’Eglise tridentine qu’elle cristallise le conflit des interprétations,
doublé du fait que l’on touche non seulement à une conception des ministères,
mais à la théorie et à la pratique de l’autorité et du pouvoir, à la relation
très archaïque, anthropologiquement, au sacré. En outre, tant que l’on continue
à parler de ministère (service) en termes de pouvoir, même si l’on invoque une « spiritualité
du pouvoir vécu comme service », on n’en finira pas avec la conception qui fait du prêtre (sacerdote) un autre Christ
alors que c’est le chrétien, ainsi que le signifie l’onction du chrême, qui est
alter Christus.
[1]
GS 43, 2 : « Qu’ils ne pensent pas pour autant que leurs
pasteurs aient une compétence telle qu’ils puissent leur fournir une solution
concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou
que telle soit leur mission. »
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