07/05/2012

Où en est-on de la réception de Vatican II (50 ans Vatican II n°9)

1. Qu’est-ce que la réception ?
Un concile dont les enseignements et décisions ne seraient pas reçus n’aurait pas grande valeur. Le sens de la foi des fidèles, le sensus fidelium dont parle Lumen Gentium, s’exprime notamment dans la réception, et donne à un concile d’être celui de toute l’Eglise, et non pas seulement le fait de ceux qui en ont été les acteurs directs.
Evaluer la réception d’un concile est à la fois simple et compliquée. Simple, car on voit bien si ce qui a été décidé a rencontré ou non l’assentiment du peuple de Dieu, si cela irrigue sa pratique et sa manière de confesser la foi (liturgie, catéchèse, prédication, morale, etc.). Compliqué cependant, car on est rarement dans le tout ou rien. Qu’un concile soit convoqué pour résoudre une difficulté dogmatique ou disciplinaire, ou pour réformer l’Eglise, on se doute qu’il ne suffit pas qu’il tranche une question ou édicte des règles, pour que les comportements changent en un clin d’œil, pour que les manières de penser soient modifiées.
« Pour nous en tenir aux résultats théologiques les plus importants, le Concile a réinséré dans l’ensemble de l’Eglise une doctrine de la primauté qui restait encore dangereusement isolée ; il a intégré dans le mystère du corps du Christ une conception de la hiérarchie trop isolée elle aussi. Il a rattaché au grand ensemble de la foi une mariologie isolée. Il a rendu à la parole biblique la plénitude de son rang. Il a rendu la liturgie à nouveau accessible. Et avec tout cela il a fait aussi un pas courageux dans le sens de l’unité des chrétiens. » (J. Ratzinger 1985)
A quoi l’on doit ajouter l’appel universel à la sainteté, l’engagement des laïcs dans la pastorale (conseils, paroisses, mouvements, aumôneries scolaires, hospitalières, etc.), la conception dialogale de la mission (dans les pays de vieille et de nouvelle évangélisation), la double mission de l’évêque (dans une Eglise particulière et avec les autres évêques), la définition de l’épiscopat comme troisième degré du sacrement de l’ordre, la restauration de la concélébration et du diaconat permanent (y compris pour des hommes mariés), la liberté religieuse, l’engagement dans le dialogue interreligieux, l’élaboration de nouvelles constitutions par les religieux, l’affirmation de la hiérarchie des vérités de la foi, etc.
Certes, ce que l’on appelle la minorité conciliaire ne se rallia pas, dès lors qu’elles furent adoptées, aux options qu’elle avait tenté d’empêcher durant la célébration du concile.


2. Périodisation de la réception
La périodisation est une opération qui exige du recul et peut facilement être contestée. Selon les lieux elle a pu commencer dès le concile ou seulement dans les années 70.
a. D’abord l’enthousiasme que l’on connut durant le concile se poursuivit. Cela donna lieu à beaucoup de créativité. Après des années pesantes, la levée du couvercle provoqua des débordements. On avait la conscience d’une rupture entre l’avant et l’après concile. On avait tout autant conscience de réinterpréter Trente et Vatican I notamment grâce à un retour aux sources scripturaires et patristiques. Les textes étaient interprétés principalement par leurs auteurs selon une herméneutique de l’intention (ce que l’on avait voulu dire) que l’on peut appeler l’esprit du concile. Cette période s’achève avec la publication des livres liturgiques rénovés, la mort de Paul VI et de nombre des acteurs directs.
b. Le pontificat de Jean Paul II marque une deuxième étape avec, à partir de 1981, la responsabilité du Cardinal Ratzinger comme préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi. Les théologies différentes présentes dans les textes deviennent des oppositions voire des contradictions ainsi qu’en témoigne en 85 le synode à l’occasion des vingt ans du concile. Le magistère romain veut imposer une lecture qui limiterait ce qu’il estime être des excès non fidèles au concile et mène une lecture minimaliste du dernier concile.
Cette période voit la publication du Code de droit canonique (1983) et du Catéchisme de l’Eglise catholique (1992) qui sont des actes de réception. Mais est-ce ces textes qui doivent dire comment interpréter le concile ou l’inverse ? On perçoit une forte demande de repères, dans un monde qui semble déboussolé après l’euphorie des Trente glorieuses.
c. La troisième période est caractérisée par l’autorité que prend l’herméneutique de Joseph Ratzinger lorsqu’il devient évêque de Rome. Moins d’un an après son élection, le fameux discours à la curie de décembre 2005 s’oppose à une compréhension du concile comme rupture et pale de réforme. L’enjeu est grandement politique puisqu’il s’agit de résorber le schisme de ceux qui refusent l’enseignement de Vatican II. Cela instrumentalise le concile qui n’est pas la clef de lecture de la tradition mais doit être lu d’après la tradition.


3. Où en sommes-nous ? Questions pour la réception aujourd’hui
a. La réception passe aujourd’hui, encore plus qu’hier, par une connaissance des textes et de l’histoire de l’événement conciliaire, compte tenu que de moins en moins de personnes peuvent faire appel à leur expérience de l’événement conciliaire.
b. Un conflit des interprétations naît de la fin des certitudes définitives et de la situation de minorité ou de diaspora de l’Eglise. Nietzsche est sans doute le premier à revendiquer l’itinérance de la vérité dans un XIXe aussi dogmatique que possible, en morale, en sciences, dans la religion… et Mai 68 marque la généralisation de cette pensée. Le concile représente une réinterprétation globale de l’évangile qui ne cherche pas à dicter extrinsèquement la vérité mais à en faire une boussole pour inventer hic et nunc, de façon toujours nouvelle, le chemin de la vie. Ainsi l’évangile demeure amour du monde et mise en critique du monde. Le virage anthropologique de la prédication conciliaire conteste la distinction prétendue évidente du sacré et de profane ; il n’y a plus de culture ou de société exclusivement catholique. Il faut apprendre à vivre sa foi avec ces frontières floues. Reste à repérer les chances d’un christianisme fragile et de la faiblesse de croire.
Cela ne signifie par conséquent pas qu’il n’y a plus de vérité. Personne n’a le dernier mot de la vérité, ni les croyants, ni même le magistère[1]. Or depuis des années certains déplorent la contestation de l’autorité et « une souveraineté du peuple de Dieu, selon laquelle c’est le peuple de Dieu lui-même qui détermine ce qu’il veut comprendre par Eglise, laquelle semblait désormais très clairement définie comme Peuple de Dieu. » (J. Ratzinger, 1997)
c. Magistère et ministères ne sont pas des questions primordiales, mais comme elles touchent à l’autorité, à l’organisation de l’Eglise et à la définition de la vérité, elles jouent un rôle clef dans la réception. Premièrement, la collégialité épiscopale doit être plus largement vécue, notamment dans son rapport à la primauté romaine qui n’a cessé d’être renforcée depuis le concile, alors qu’avait été voulu un rééquilibrage de la primauté par la collégialité.
Deuxièmement, il faut mener plus loin que le texte même du concile la pratique de la synodalité, expression de ce que l’ensemble des baptisés doivent pouvoir participer, de façon certes organisées, aux décisions ecclésiales qui les concernent. Le fonctionnement des conseils prévu par le concile et le code de droit doit être développé et il doit être clair que le statut souvent consultatif de ces conseils ne signifie jamais facultatif ou optionnel.
Enfin, la théologie du ministère des prêtres doit être réélaborée d’autant plus que Presbyterorum ordinis n’est pas un bon texte (on y perçoit la juxtaposition de deux théologies que l’on n’a pas su concilier ou entre lesquelles on n’a pas voulu choisir). La figure du prêtre a tellement marqué l’Eglise tridentine qu’elle cristallise le conflit des interprétations, doublé du fait que l’on touche non seulement à une conception des ministères, mais à la théorie et à la pratique de l’autorité et du pouvoir, à la relation très archaïque, anthropologiquement, au sacré. En outre, tant que l’on continue à parler de ministère (service) en termes de pouvoir, même si l’on invoque une « spiritualité du pouvoir vécu comme service », on n’en finira pas avec la conception qui fait du prêtre (sacerdote) un autre Christ alors que c’est le chrétien, ainsi que le signifie l’onction du chrême, qui est alter Christus.

[1] GS 43, 2 : « Qu’ils ne pensent pas pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu’ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou que telle soit leur mission. »

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