On sait que la finale longue de Marc (16, 9-20) ne figure
pas dans tous les manuscrits du Nouveau Testament et que, bien qu’antique, elle
forme un supplément à un texte que l’on ne supportait guère de terminer avec le
v. 8 : « Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles
étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Et elles ne dirent rien à personne,
car elles avaient peur… »
Cette finale n’est pas littérairement des plus heureuses, constituée
d’allusions aux récits d’apparitions de Luc notamment. On reconnaît ainsi le
passage des disciples d’Emaus. On reconnaît aussi le récit de l’ascension. Mais
chez Marc, il semble qu’il ne s’agisse que d’une péripétie, évoquée en un
demi-verset, histoire de se débarrasser du corps du ressuscité que, de fait,
les croyants ne peuvent pas rencontrer.
C’est tout le problème de l’ascension. Il faut bien faire
disparaître le corps du ressuscité puisqu’on ne le rencontre plus. Marc avait
indiqué la stupeur des femmes devant la disparition du corps au tombeau. Elles
en avaient été bouleversées au point d’en devenir muettes de peur. Mais si l’on
fait intervenir des apparitions, alors soit ces apparitions se poursuivent
jusqu’à la consommation des siècles, soit il faut expliquer pourquoi elles ont
cessé. Et l’enlèvement du corps, du ressuscité cette fois, résout le problème.
Dans logique de Luc qui déploie sur quarante jours la pâque
de Jésus, ça marche bien, très bien. Cet intervalle de temps permet une
catéchèse de l’absence. Il faut apprendre à vivre maintenant que Jésus n’est
plus là. Mais pour Marc, on frise la mythologie, et le rédacteur s’en aperçoit
sans doute qui passe aussi vite que possible sur le sujet.
Que signifie siéger à la droite du Père ? Voilà une
expression qui ne relève pas de la description. Qui a déjà vu la droite du
Père ? Le Père aurait-il une droite et une gauche ? Nous avançons sur
des terrains dont il vaut mieux reconnaître qu’ils parlent pour dire ce qu’ils
ne savent pas ou ce qui ne se peut dire, sous peine de tomber effectivement en
pleine mythologie.
Matthieu évite le sujet. Il ne parle pas de l’ascension. Il
se contente de rapporter une opinion selon laquelle le corps de Jésus aurait
été volé par les disciples. Pour Jean, l’ascension, si l’on peut dire, a lieu
avant les apparitions. C’est sur la croix que Jésus meurt, est élevé de terre
et transmet l’Esprit.
On le voit, le théologien de l’ascension, c’est uniquement
Luc, qui en parle d’ailleurs de nouveau au début des Actes. C’est lui qui
rédige une pédagogie de l’absence que l’on pourrait appeler, dans la
perspective des Actes, une pédagogie de l’Esprit. Le deuxième rédacteur de Marc
a été bien mal inspiré à rapporter allusivement cet événement. Autant dire que
prêcher sur l’ascension à partir d’un texte autre que le corpus lucanien relève
de l’impossible !
La question que tous les évangiles posent et orchestrent à
leur façon, c’est celle de savoir ce que signifie que Jésus est vivant.
Qu’est-ce que cela signifie pour les disciples de pouvoir vivre avec leur
Seigneur glorifié, pour parler comme Jean ?
La finale de Marc emploie un style apocalyptique. Il y a des
signes et des choses extraordinaires. Elle ne décrit rien, comme si la vie des
disciples avec le Ressuscité ne pouvait pas être décrite, seulement indiquée,
signifiée. La vie avec le Ressuscité se dit comme vie sauvée, comme vie
invulnérable, comme vie victorieuse malgré les épreuves de la haine et de la
maladie qui toutes deux mènent à la mort.
Cette finale parle encore de la prédication de la Bonne
nouvelle. Elle reprend ici la théologie du rédacteur principal de l’évangile
qui avait situé dans la confession de foi du centurion l’attestation de la vie
de Jésus : « Voyant qu’il avait ainsi expiré, le centurion, qui se
tenait en face de lui, s’écria : "Vraiment cet homme était fils de Dieu !" »
La vie avec le Ressuscité n’est rien d’autre que la vie
d’hommes et de femmes dans ce monde, mais elle est transformée comme vie plus
forte que le mal, comme vie devenue annonce de la parole, celle que Jésus a
fait résonner il y a deux mille ans et qu’il faut encore faire entendre. Voilà
les signes de ce que Jésus vit avec nous aujourd’hui, notre vie plus forte que
le mal et la mort, notre vie comme annonce de la parole.
En lisant la fin de votre billet, la première pensée qui m'est venue, fut : « la vie plus forte que le mal », il n'est pas nécessaire d'être chrétien pour l'affirmer, et le vivre dans sa vie personnelle et collective, dans ses engagements. Ils sont très nombreux ceux qui n'appartiennent pas à votre religion pour croire à la vie plus forte que tout et pour tenter d'en vivre le mieux possible.
RépondreSupprimerPuis je me suis livré à une petite expérience.
J'ai tapé sur Google cette expression. On la trouve 16 800 fois, et les trois pages que Google sélectionne, font toutes référence à des sites « religieux ». Si j'affine la recherche en demandant la suppression du mot « Dieu », il n'y a plus qu'un seul résultat, mais c'est encore un site catholique…
En ne retenant que l'expression « vie plus forte », il y a 2.300.000 occurrences, et 1.170.000 si l'on excepte le mot Dieu.
Autrement dit, le concept d'une "vie plus forte" est quand même assez religieux. Disons au moins qu'il tient d'une croyance affirmée.
L'aurais-je donc fait mienne parce que j'appartiens à une civilisation dite judéo-chrétienne ? Tel Obélix, je ne pouvais faire autrement que tomber dans cette marmite-là ! Je n'ai plus besoin aujourd'hui de boire aux potions magiques (tels les sacrements par exemple) pour en vivre (essayer d'en vivre). Parce que je suis sorti de la religion que je considère comme un carcan, ou plus précisément que j'ai vécu comme tel dans mon histoire personnelle. Un carcan qui empêchait de Vivre.
Selon vos propos, et alors qu'il me semble avoir consacré une grande partie de ma vie à en aider d'autres à faire l'expérience que la vie est plus forte que le mal, je me serais, à mon insu, vecteur d'annonce de la parole…
Soit me voici donc « récupéré »
soit me voici évangélisant sans le savoir, tel M. Jourdain faisant de la prose en l'ignorant…
Soit enfin, je serais dans l'erreur (ce que vous devez penser) de celui qui ne veut pas « confesser sa foi »…
Souvent il m'arrive de penser que nous sommes à la fois très éloignés, et très proches, ce qui ne doit pas être votre sentiment…
Autrement dit, les mots « humanisme » et « chrétien » peuvent-ils être accolés…
Je ne vois pas qu'il y ait de quoi s'étonner. Ou plutôt, il s'agit de l'étonnement fondateur suscité par Jésus. Qui donc est-il ?
SupprimerSi Dieu est reconnu comme homme à son aspect (Ph 2), il est fort possible de parler de l'homme sans parler de Dieu et cependant reprendre les mots qui conviendraient pour Dieu. Sans compter qu'il n'y a pas de mots propres à Dieu.
Vous connaissez la parabole de Mt 25. Ne dit-elle pas ce que vous formuler comme question ?