Que sait-on de l’Esprit ? Certains déplorent les carences
de la théologie occidentale en ce qui concerne l’Esprit. Tel catéchiste est
prêt à culpabiliser de ne finalement pas savoir que dire ni penser de l’Esprit.
Que sait-on de l’Esprit ? Faut-il déplorer de n’en rien savoir ou si peu ?
Que l’on ne sache rien de l’Esprit est normal. Il n’est pas
celui que l’on peut appréhender. Comme le vent, on le sent, mais impossible de
le saisir, de l’arraisonner, de le retenir. L’évangile de Jean le déclare :
Le vent souffle où il veut, et tu entends
sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Il peut porter l’avion
ou faire flotter le drapeau. Il est force qui fait tourner l’éolienne, mais
jamais il ne peut en être fait de réserve. Toujours il s’offre dans la
gratuité.
C’est Dieu qui est Esprit, comme le dit encore le même
évangile dans l’entretien avec la Samaritaine. Comme l’odeur, parfaitement
sensible, absolument inidentifiable. L’Esprit nous fait connaître Dieu, mais
de lui on ne sait rien. Cela n’importe pas puisque justement ce qui importe c’est
qu’il rende l’homme capable de Dieu.
Comment pourrions-nous en effet parler de Dieu, prier Dieu
sans tomber sur l’idole que nos mains ou nos esprits auraient fabriquée si ce n’était
Dieu lui-même qui, habitant en nous, nous en donnait la possibilité ? De
la glaise dans laquelle il a été insufflé, l’Esprit est Dieu présent en la
créature pour que celle-ci soit tournée vers Dieu, pour que celle-ci, dans l’autonomie
créatrice, trouve la capacité de ce qui lui est impossible, se tourner vers
Dieu. L’Esprit nous fait connaître Dieu, mais de lui on ne sait rien.
A en croire l’évangile de Jean encore, il n’a rien en
propre, ne faisant que reprendre ce qui est au Fils. Ou plutôt, ce qu’il a en
propre, c’est de faire que demeure vivant ce qui est au Fils, non l’héritage
poussiéreux et vieux de centaines d’années, si vieux que bientôt presque plus
vrai. Il maintient dans son souffle de vie la parole du Fils de sorte que cette
parole nous atteint encore comme parole vive et non lettre morte.
Chercher à identifier l’Esprit est aussi sot que de vouloir retenir
le vent dans un sac. Ouvrir les voiles à son souffle fait avancer, tient debout des
vivants, fait parler et se comprendre, comme ces vivants qui ont la parole,
animaux rationnels traduit-on. Je préfèrerais parler de vivants remplis de
désirs, comme d’une flamme brûlante, comme un feu qui se partage. Il est celui
qui chante en nos cœurs, qui habite le chant de la communauté aux langues de feu.
Mais que l’on ne sache rien de l’Esprit, autant que cela s’impose,
nous fait encourir le risque d’écarter l’Esprit, de l’oublier. Nous serions
debout, capables de prier par notre grandeur. Roseau, certes, mais roseau
pensant, nous pourrions même articuler le nom de Dieu ! Nous pourrions
nous croire charger de Dieu, nous pourrions croire connaître Dieu. A moins que,
écrasés par notre petitesse et sa majesté, nous ne puissions qu’en être les
esclaves, ou, ce qui revient au même, nous révolter pour n’accepter ni Dieu ni
maître.
L’insaisissabilité de l’Esprit, son effacement derrière ce
qui est le propre du Fils, devient parfois la confiance dans ce qui est solide,
institué, ce qui résiste au coup de vent, même violent. La fragilité
de l’Esprit effraye. Peut-on compter sur elle pour construire la paix, le
bonheur, sa vie ? Nous voulons du solide, un bonheur solide, une vie qui
ait du sens, des projets qui réussissent. L’institution du sens, l’institution
du bonheur, l’institution de la vérité se méfie de l’Esprit au point de pouvoir
l’ignorer ; moribonde, elle végète alors et entraîne avec elle ceux qu’elle
lie. « On T’avait mis en garde, Lui dit-il, Tu n’as pas manqué de mises en
garde, Tu as rejeté le seul moyen de construire le bonheur des hommes, mais,
par bonheur, en T’en allant, Tu nous as confié toute la tâche. Tu as promis, Tu
as confirmé par Ta parole, Tu nous as donné le droit de lier et de délier. »
L’Esprit est omis, ignoré...
Or il y eut un violent coup de vent, et si
les apôtres et les disciples qui étaient avec eux s’en étaient protégés, nous
ne serions pas là. L’Esprit rend libre ; l’Esprit est esprit de liberté,
capacité d’inventer l’inimaginé. L’Esprit se rebelle contre toutes les
institutions, ce qui est institué, établi, fût-ce par le Fils lui-même.
Enfermez l’Esprit, et il ne vous reste qu’un corps sans vie
qui vous accapare, vous obnubile. Il faut laisser
les morts enterrer leurs morts. Pensez la communauté comme l’institution,
et l’on y crève. Ne savez-vous pas que
vous êtes un temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Pensez
les sacrements comme le geste de Jésus et le geste qui identifie à Jésus, vous
ne pourriez cependant rien confesser de votre foi, au mieux vous accrocher à
une idéologie. En effet nul ne peut dire
: "Jésus est Seigneur", s’il n’est avec l’Esprit Saint.
On ne voit jamais le vent que lorsque quelque chose est dans
sa course. On peut choisir de résister et de fermer les fenêtres. On tiendra aux certitudes et sécurités, certes, mais privés d’air, de vie, cadavres en
sursis. On peut choisir de se laisser porter, emporter, sans savoir où l’on
finira. C’est l’aventure baptismale, c’est la vocation de l’Eglise. N’éteignez
pas l’Esprit ! (1 Th 5 19)
PS : Il s’agit du deux centième article sur ce blog. Petit clin
d'œil qu’on y parle de l’Esprit et que la Légende du Grand inquisiteur y
trouve place…
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