La mission de l’Eglise aujourd’hui n’est pas aussi spectaculaire
que ce que le texte d’évangile nous présente (Lc 10,1-20). Encore qu’il faudrait s’entendre
sur ce qu’a été cette mission des soixante douze disciples. Ils n’ont
manifestement pas été jusqu’à baptiser les adultes et envoyer les enfants au
caté, jusqu’à construire des églises pleines de jeunes, et de moins jeunes aussi,
tous les dimanches !
La mission des soixante douze ne consiste manifestement pas
à convertir, à faire de tous des disciples de Jésus. L’envoi ne consiste qu’en
une annonce, celle de la paix. Peut-être que si, désarmés, je veux dire sans
rien d’autre que nous-mêmes, sans argent ni quoi que ce soit de rechange, nous
annoncions la paix, l’évangile serait-il mieux reçu !
Les soixante douze chassent le mal, c’est-à-dire pacifient
et annoncent « paix à cette maison ». Si scorpions et serpents sont inoffensifs,
c’est que l’on revient avant le mal, avant qu’Eve ait mangé le fruit et en eût
donné à son mari, à l'Eden, orient du monde sorti des mains de Dieu, où il n’y a
pas trace de mal mais seulement la paix entre l’homme et sa femme, entre les
humains et les animaux, entre Dieu et la création.
La paix voulue ardemment, qu’on la reçoive ou non, est le
signe de la proximité du Règne de Dieu. Accueillir la paix, ce n’est sans doute
pas encore être disciple de Jésus, mais c’est rendre visible ce que cette paix
signifie : le royaume de Dieu est
là, tout près de vous. L’orient du monde n’est pas ce qui fut, mais ce qui
sera ; l’Eden n’est pas ce qui fut, mais ce qui doit être, ici et
maintenant, la vocation de l’humanité.
La mission de l’Eglise, ce n’est peut-être pas autre chose
que l’annonce du Royaume, et encore, ou plutôt, que l’édification de la paix
comme signe du Royaume. Peut-on être explicite avec une formule du genre :
le royaume de Dieu est là, tout près de
vous, tant personne ne sait ce que cela signifie, nous y compris.
Peut-être que construire ce monde en parabole du royaume,
comme une ère de paix, comme un Eden, vocation de l’humanité, est-il suffisant
à l’annonce des soixante douze. Que chacun entende, puisse entendre, que
celui qui a des oreilles pour entendre entende que cette promesse de paix
signifie autre chose que la tranquillité et le Wellfare, voire bien sûr
l’absence de violence, mais la proximité du Royaume.
Je suis de plus en plus convaincu en effet que la foi ne se
transmet pas. Au risque de désespérer les parents et les catéchistes, ou de les
réconforter, j’ose penser qu’effectivement,
la foi ne vient pas de ce que nous aurons transmis. Ce que nous devons faire,
comme missionnaires, c’est dresser le cadre, parabolique, de la proximité du
Royaume, annoncer et édifier la possibilité du rêve de tous. Non, la paix n’est
pas hier, dans un paradis perdu, ni demain, dans un avenir réservé aux
vertueux. La paix est ici et maintenant la vocation de chaque homme. De sorte
que toute guerre, toute violence, en famille, entre voisins, entre pays, est l’exception,
doit être considérée comme l’exception.
Prenons la mesure de cette annonce. Elle est intempestive,
elle va à l’encontre de ce que l’on voit dès que l’on allume sa télé ou que l’on
sort dans la rue, ou que l’on regarde avec un peu de vérité nos relations
familiales. Cette annonce est provocation, qui agresse notre agressivité, mais
comment faire autrement ? Voilà pourquoi, cette annonce ne peut se faire
que dans la faiblesse, sans argent ni quoi que ce soit de rechange, dans la
faiblesse du martyre, à main nue. C’est déjà beaucoup que cette annonce de la
paix. C’est même tout, si effectivement la foi ne se transmet pas.
Dans nos familles, avec une même éducation, certains sont
disciples de Jésus et d’autres non. Dans les familles non chrétiennes, certains
deviennent disciples de Jésus. Y compris parmi les disciples, il en est qui ne croient pas (Jn 6,60). Importe
le rôle du témoignage, direz-vous, d’un prêtre, d’un ami, d’un conjoint. Sans,
doute, mais comme édification et annonce de la paix, parabole, à décrypter, de
la présence du Royaume.
On est disciple de Jésus sans savoir pourquoi, parce que
nous avons consenti à être saisis comme dit Paul. Nous ne l’avons pas choisi,
au sens où nous ne pouvons tout de même pas dire « merde » à celui
qui nous déclare son amour. L’amour oblige ! Pourquoi avons-nous entendu
que Dieu est amour ? Pourquoi avons-nous entendu que Dieu, le premier,
nous a aimés ? Pourquoi avons-nous connu l’amour et y avons-nous cru ?
Ces questions demeurent de l’ordre de la rencontre, sans réponse, de l’ordre de la gratuité, sans explication. Tout comme l’amour des
parents, l’amour du conjoint, l’amour de l’ami. Ce qui fait sa grandeur, ce qui
le constitue, c’est le sans pourquoi, gratuité et grâce.
Si nous sommes des soixante douze à avoir été saisis, si nous sommes des soixante douze à être par conséquent envoyés pour annoncer la bonne nouvelle, nous n’aurons qu’une préoccupation, la paix. Nous savons que la paix est la parabole de ce dont nous ne savons pas rendre compte et qui pourtant est notre vie : Le royaume de Dieu est là, tout près de vous.
Si nous sommes des soixante douze à avoir été saisis, si nous sommes des soixante douze à être par conséquent envoyés pour annoncer la bonne nouvelle, nous n’aurons qu’une préoccupation, la paix. Nous savons que la paix est la parabole de ce dont nous ne savons pas rendre compte et qui pourtant est notre vie : Le royaume de Dieu est là, tout près de vous.
"Peut-être que si, désarmés, je veux dire sans rien d’autre que nous-mêmes, sans argent ni quoi que ce soit de rechange, nous annoncions la paix, l’évangile serait-il mieux reçu !"
RépondreSupprimerEt oui, ils ont été soixante douze à avoir été saisis! Combien disent-ils qu'ils étaient ceux de la "Manif pour tous" censés porter, eux aussi, le message de Paix?...
Jean-Christian Hervé