La parabole du bon samaritain (Lc 10,25-37) est en général interprétée
comme une fable de La Fontaine, avec une morale, bien nommée, une leçon pour
guider le comportement, que la règle d’or formule : fais à autrui ce que tu voudrais qu’il fasse pour toi. Kant a mis
en évidence la limite de cette formulation qui risque de définir notre agir de
façon trop intéressée : je donne
pour que me soit donné. Il préférait les autres formulations de l’impératif
catégorique, ce qui s’impose à nous, absolument, sans aucune concession ni
condition : Agis de telle sorte que
la maxime qui préside à ton action puisse être érigée en loi universelle.
L’évangile ne contesterait pas la critique de Kant, et si
nous lisions correctement, nous n’aurions pas pu retrouver en la parabole la
règle d’or. L’évangile est plus radical. Si l’on veut tirer une morale de la
parabole, elle s’exprime ainsi : Agis
de telle sorte que tout homme trouve en toi un prochain. On ignore ici la
réciprocité, et Lévinas pourrait être convoqué. Il s’agit de l’autre, que
je ne choisis pas. Mauvaise question, attrape benêt à la Le Pen : qui est mon prochain ? Evidemment,
je préfère ma sœur à ma cousine et ma cousine à ma voisine. C’est aussi populiste
que raciste, aussi pervers qu’obvie. Non, tu ne décides pas qui est ton
prochain. Non, tu ne choisis pas ton prochain, tu ne poses même pas la question qui
est ton prochain, tu te débrouilles à faire en sorte que tout homme puisse trouver
en toi un prochain.
C’est déjà pas mal, cette première correction de notre
lecture spontanée, limite perverse, il est vrai soufflée par la question du
légiste. Encore un qui cherche la règle, ce qu’il faut faire, y compris et
peut-être d’abord dans la religion, pour être en règle même avec Dieu, surtout
avec Dieu, encore un qui ignore tout de la gratuité, et donc de Dieu, puisque
Dieu est grâce. En Dieu, tout homme peut trouver un prochain. Dieu aime sans
condition, contrairement à ce qu’on entend dans les homélies, où l’on dit que
Dieu nous aime à condition que nous nous repentions, que nous fassions ceci ou
cela, etc. Je l’ai encore entendu cette semaine dans une bonne paroisse
parisienne ! Ces prêtres ne croient pas en Dieu, même convaincus qu'ils soient du contraire. La piété leur fait croire qu'à être très pratiquants, ils sont très croyants. Est-ce pour rien si ce sont gens du culte et prêtres qui passent outre pour n'être pas le prochain de l'homme tombé aux mains des bandits ?
Nous avons lu jusque là la parabole en choisissant le
meilleur costume, le costume flatteur, qui nous va si bien au teint, celui du
samaritain. Mais nous pourrions aussi prendre les guenilles de celui qui
agonise. Personnage numéro deux de la parabole. Il ne parle pas, il ne dit
rien, mais tout tourne autour de lui. Si nous sommes celui qui meurt, alors qui
donc est le samaritain, l’étranger, celui qui vient d’ailleurs, celui qui
descend ? Pour toutes les paraboles, une seule question sert de clé :
Vous voulez savoir qui est Dieu ? Un homme descendait de Jérusalem à
Jéricho…
L’extravagance de la générosité, son excès, aurait dû nous
mener sur la piste de Dieu. Mais comme nous pensons mal de Dieu, comme nous
pensons Dieu comme le surmoi, alors, nous ne pouvons le voir derrière tant de
générosité. Cela ne nous choquait pas de nous y voir dans ce samaritain, nous
nous y voyions même très bien, alors qu’honnêtement, un peu de générosité,
pourquoi pas, mais à ce point !
Alors la parabole n’est plus une histoire morale, une règle
du comportement, débrouille toi à faire que tout homme puisse trouver en toi un
prochain, mais une leçon théologique : vous voulez savoir qui est Dieu ?
Il est celui qui relève de la mort, il est celui qui sauve, offre le salut, ne
serait-ce qu’en n’ignorant pas celui que personne ne salue.
Que nous soyons agonisants ne saute pas aux yeux, dites-vous ?
Ou bien encore, faut-il pour être chrétien cultiver le sentiment de la faute,
le misérabilisme ? Faut-il pour croire rabaisser l’homme à celui qui
agonise dans un fossé ? Evidemment non. Et si l’on veut dire la grandeur
de Dieu, il faut partir de la grandeur de l’homme. Mais ici, il s’agit d’autre
chose. Il s’agit du mal et de la mort, de la violence et de l’injustice. Un
homme jeté au fossé, laissé pour mort. Qui en a soin ? Et si, jamais dans
notre vie, nous avons été jeté agonisant au fossé, si jamais, nous n’avons
cherché un sauveur, c’est sans doute que nous sommes de ceux qui sont les bourreaux
de leurs frères, ou du moins, de ceux qui n’ont jamais compatis devant l’innocent
torturé, l’enfant qui meurt de faim, la femme violée.
Une bonne part de la littérature patristique, et jusqu’aux
vitraux de Chartres, comprennent le samaritain comme Jésus qui descend du ciel pour
donner la vie. Avec l'huile des sacrements et le vin de l'eucharistie, il prend soin des ses frères. Parabole du salut.
Mais il faut se demander une nouvelle fois si nous ne nous
sommes pas trompés dans l’attribution des costumes. Celui qui meurt dans un
fossé, abandonné de tous, homme de douleur devant qui on se voile la face, on
détourne le visage tant il n’a plus figure humaine, qui serait-ce si ce n’est
le Jésus du prophète Isaïe ?
Alors c’est Jésus qui gît au fossé comme il pend au gibet,
maudit, au milieu des criminels. Qui sera le samaritain de Jésus ? Qui
viendra essuyer son visage et recueillir le sang qui coule de ses plaies ?
Notre humanité, notre Eglise, notre communauté, comme François à Lampedusa, viendront-elles pleurer les disparus que l’on oublie, pour les saluer, ne pas les oublier
précisément, les relever de l’oubli de la mort, les sauver, même morts.
Vous ignorez tout de ce Jésus qui souffre ? Relevez le frère, vous relèverez Jésus. S’il est défiguré, pas étonnant que vous ne puissiez le reconnaître. Relevez le frère, et vous relèverez Jésus que vous le sachiez ou non. Et, saisissant la chair de celui qui a pris la vôtre, vous serez vous aussi relevés, dans un admirable échange que nombre de peintres a enseigné, lorsque l’on ne sait plus à méditer leur toile qui est Jésus du samaritain ou de l’agonisant, qui est l’homme agonisant, de Jésus ou du samaritain.
Vous ignorez tout de ce Jésus qui souffre ? Relevez le frère, vous relèverez Jésus. S’il est défiguré, pas étonnant que vous ne puissiez le reconnaître. Relevez le frère, et vous relèverez Jésus que vous le sachiez ou non. Et, saisissant la chair de celui qui a pris la vôtre, vous serez vous aussi relevés, dans un admirable échange que nombre de peintres a enseigné, lorsque l’on ne sait plus à méditer leur toile qui est Jésus du samaritain ou de l’agonisant, qui est l’homme agonisant, de Jésus ou du samaritain.
Dos ideas que llaman la atención: tú eres el prójimo, y tu comportamiento debe ser tal que todos lo reconozcan en ti. Y la segunda: la búsqueda de la norma y su exigencia te llevan a olvidar la gracia infinita de Dios. Muchas gracias por una homolia tan novedosa sobre la parábola del buen samaritano.
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