L’évangile de Marthe et Marie (10, 38-42) fait immédiatement
suite à celui du bon samaritain (10,25-37). L’éloge du service à l’extrême est
suivi par une invitation à la contemplation. Ainsi lit-on ces deux textes, au
point d’être gêné par la relativisation du service de Marthe. Comment dire qu’il
est mieux de rester assis à écouter le Seigneur qu’à faire le service ?
Tant que le modèle du chrétien demeure le moine puis le prêtre pensé comme un
religieux, tout va bien. Mais dès lors que l’on se met à penser que la sainteté
est pour tous, y compris les plus nombreux, ceux qui sont actifs, au travail,
au service des autres, l’évangile de Marthe et Marie passe mal. Il passe d’autant
plus mal que l’on adore la parabole du bon samaritain, prétendument consacrée à
l’amour du prochain.
Nous pourrions prendre le temps d’analyser ce ressentiment
contre Marie que même le compliment du Seigneur n’arrive pas vraiment à nous
rendre sympathique, à la différence de Marthe que nous trouvons injustement
traitée. Il faudrait s’interroger sur ce qui nous empêche de comprendre le
texte. On voit bien que dans un catholicisme qui ne croit pas en Dieu ‑ si,
cela existe, par exemple chez Maurras ‑ même s’il va à la messe tous les
dimanches, même s’il est évêque ou grand prédicateur, en dehors du faire, on ne
sait pas bien ce que c’est que croire. Même la prière est un faire, une
activité, comme l’adoration eucharistique. Il faut, c’est bien connu, faire sa
prière !
Nous devrions être arrêtés dans notre compréhension de la
foi par ce texte qui nous résiste. Voilà au moins une occasion pour l’évangile
de nous convertir. Le texte résiste à nos tentatives d’annexion, d’Anschluss, de confiscation. Ecoutons-le
plutôt qu’à nous faire maîtres du texte, maîtres du Maître !
Il est évident qu’il y a un problème avec Marthe. C’est elle
qui est présentée comme la maîtresse de maison. C’est elle qui accueille Jésus,
c’est elle qui parle, c’est elle qui prépare le repas. Marie est dans l’ombre,
elle est seulement la sœur de Marthe. Mais enfin, connaissez-vous une maîtresse
de maison qui ne viendrait pas faire la conversation et s’enfermerait dans sa
cuisine, plutôt qu’à y laisser travailler son personnel ou sa sœur, si effacée,
si seconde, si soumise ? Incohérence : la femme maîtresse joue un
rôle qui ne lui va pas.
Et rien d’étonnant que cela n’aille pas. On ne peut inviter
quelqu’un chez soi et le laisser seul pendant qu’on est ailleurs. Marthe, sous
prétexte de servir Jésus, a trouvé la manière de ne pas l’écouter. C’est
exactement notre Eglise. C’est exactement le problème du pharisaïsme, c’est
exactement l’évangile du bon samaritain. Sous prétexte de servir Dieu, on évite
de rencontrer Dieu. Sous prétexte de croire en Dieu, on refuse de se laisser
saisir par lui, on ne lui abandonne rien, surtout pas ses certitudes. Traverser
la route ou s’afférer dans la cuisine et l’on ne voit pas celui qu’il faut
soigner ou accueillir.
Il existe une manière d’être chrétien sans le Christ, jusque
dans notre Eglise. Il me semble que François dénonce cela, c’est bien que ça
doit exister. Ces chrétiens sans le Christ ne savent sans doute pas qu’ils ne
croient pas. Regarder Marthe, elle ne voit pas que le problème vient d’elle et
non des multiples occupations et de sa sœur qui ne fait rien. On fait tout, on
fait tout comme il faut, mais on se garde bien d’être rencontré par le Christ.
J’ai tout fait, j’étouffais, et Marthe crève sans voir qu’elle est sa propre
meurtrière ! Et l’Eglise crève sans voir qu’elle est sa propre meurtrière,
trop certaine de faire bien, de tout bien faire. La faute est au monde,
évidemment mauvais !
J’en étais là de ma lecture de ce texte jusqu’à il y a
quelques semaines, lors d’une rencontre caté avec des CM1. Nous lisons le
texte. Passionnant, comme toujours, de lire les Ecritures avec d’autres, enfants
ou moins jeunes, voire très âgés. Du nouveau sort encore. Je demande à ce que l’on
décrive la scène. Que fait Marthe ? Que fait Marie ? Et là, bon sang
mais c’est bien sûr, l’évidence. La servante dans ce texte, c’est Marie. Qui
donc s’assied aux pieds du maître, si ce n’est la servante ?
Marie n’est pas la contemplative, sous entendu celle qui ne
fait rien et profite du Seigneur pour ne pas se remuer. Elle est la véritable
servante. Nous avons déjà remarqué que d’elle on ne parle que dans l’ombre de
sa sœur, qu’elle, on ne l’entend pas parler.
Aussi, si l’on veut lire cet évangile du point de vue du
service, il faut bien reconnaître que Marthe qui prétend servir commande, y
compris au Seigneur ! « Dis à ma sœur ». Elle lui fait la leçon ;
« Cela ne te fait rien… » Elle est imbue d’elle-même sous des dehors
de générosité. Elle est vraiment détestable, cette Marthe. Notre Eglise qui
sait, qui fait la leçon, qui apprend au Seigneur lui-même ce qu’il faudrait
faire... Elle confisque son petit pouvoir, caporal chef, au lieu d'être au service !
Quel serviteur es-tu ? Le donneur de leçon qui commande même au Maître ? Celui qui annonce la grandeur du Maître mais l’ignore et s’enferme dans ses activités pour surtout ne pas l’entendre ? Le disciple accepte de tout perdre pour être avec son Dieu. Ce qu’il faut est unique. Peut-être ne mangeront-ils pas, mais l’homme ne vit pas que de pain… Inefficace, Marie, figure de l’Eglise, comme dans tout l’évangile, celui de Luc en particulier, a saisi que ce qu’il faut est unique : l’attachement amoureux au Seigneur, à ses pieds, pour les laver de ses larmes, pauvres pieds, pieds des pauvres, pour les essuyer de ces cheveux, pieds de l’amant.
Hemos leído y discutido su homilía sentados a la mesa después de cenar. Nos hemos alegrado de ver cómo desde el comienzo plantea el problema de que esta lectura "passe mal" si pensamos en una santidad accesible a todos. Su retrato de Marta como el de una Iglesia farisaica es muy interesante y da mucho que pensar sobre cómo cada uno de nosotros evitamos el encuentro con Cristo refugiándonos en el cumplimiento de las normas. Pero echamos en falta un mensaje para aquellos que andan agobiados sacando adelante sus vidas y las de sus familias
RépondreSupprimerTrès intéressante interprétation, je n'avais jamais vu les choses sous cet angle.
RépondreSupprimer