Relisons le premier verset du chapitre 11 de l’épître aux
Hébreux : la foi est le moyen de
posséder déjà ce qu'on espère, et de connaître des réalités qu'on ne voit pas.
La traduction en est un vrai casse-tête tant les mots employés ont plusieurs
sens, parfois contraires, tant l’on y mêle le plus concret, pragmatique, et le
moins saisissable, espéré et invisible. C’est sans doute cela qu’il faut
comprendre, ce rapprochement détonnant, un oxymore. Ainsi je propose de
traduire : La foi est ce qui donne
un aspect aux choses espérées, elle est un indice de ce qui est invisible.
Il ne s’agit pas de comprendre que par la foi, nous saurions
des choses que les non-croyants ne connaîtraient pas. Au contraire, il s’agit
de maintenir invisible ce qui s’indique dans ou par la foi. Il est hors de
question de faire disparaître la dimension de l’insaisissable car ce ne serait
plus la foi, mais une réalité illusoire, ce que l’on appelle une idole ;
ce serait prendre ses désirs pour la réalité.
Si vous pensez que la foi vous donne des preuves de ce qui
est invisible, il se pourrait que vous ne soyez guère croyant, pas même un doux
rêveur, car les rêveurs ne cherchent pas les preuves, mais au mieux un excentrique
faiseur de théories, au pire un dangereux idéologue. Il n’y a pas de preuve de
la foi malgré ce que certains continuent à écrire. On ne démontrera pas l’existence
de Dieu, et contrairement à ce qu’on l’on pense parfois, jamais cela n’a été
fait, ni par Anselme, ni par Thomas. Il y a au mieux des arguments, c’est-à-dire
des indices qui rendent pensable l’invisible, qui rendent compréhensibles ce
que nous croyons.
Comment pourrions-nous penser l’invisible ? Il faut
bien tâcher de le montrer. Mais si nous le rendons visible, alors ce n’est plus
l’invisible, ce n’est plus ce dont nous voulons parler.
La foi est définie par ce premier verset du chapitre par une
énigme. La formule pose plus de questions qu’elle n’en résout. Et le reste du
chapitre, prend des exemples, des pragmata,
qui vont illustrer que l’invisible, contrairement aux apparences, n’est pas
rien. L’invisible fait quitter son pays à Abraham, il féconde le sein de Sarah.
Comme le dit le verset 3, ce qui est
visible provient de ce qui n’apparaît pas. Autrement dit, ce qui est
visible est parabole d’autre chose. Ce qui est visible a certes un sens, mais
sert aussi d’index, d’indice, de poteau indicateur vers ce qui ne se peut voir.
On peut vivre dans ce monde, et on le doit sans doute, comme
si ce monde avait en lui-même son explication. Et c’est ainsi que fonctionnent
les sciences. Le visible y cache ce qui n’est pas encore visible, mais le sera un
jour ou l’autre. On peut aussi vivre dans ce monde en en faisant un indice, une
parabole de l’invisible. C’est cela la foi. Non que Dieu expliquerait le monde,
comme si Dieu n’était qu’une solution scientifique, fût-elle la meilleure.
Quelle horreur ! Mais l’invisible ouvre une manière d’habiter le monde.
Croire, c’est répondre, être répondant, y compris du frère.
Pour le croyant, le monde est parabole de l’invisible.
Plaire à Dieu, c’est le chercher, ainsi que le dit le verset 6, et non le
trouver au sens où une fois qu’il aurait été trouvé, il n’y aurait plus à le
chercher. Plaire à Dieu, c’est le chercher. Abraham
partit sans savoir où il allait.
Et de fait, que savons-nous de Dieu ? Ce que Jésus nous
en a dit ? Certes, mais qu’en savait-il lui-même, si l’on veut bien
considérer comme mythologique et fort peu fidèle à la foi, l’hypothèse d’un
Jésus, Verbe incarné, qui aurait déjà connu ce qu’il était et ce qui allait lui
arriver. Jésus lui-même est le croyant, le
témoin fidèle comme l’appel par trois fois l’Apocalypse, le témoin croyant.
Ainsi que savons-nous de Dieu ? Plus nous sommes
fidèles, croyants, plus nous savons que tout ce que nous savons n’est pas cela,
que Dieu est toujours autre. C’est le non-croyant qui sait qui est Dieu. Et le
sachant, il a bien raison de ne pas y croire. D’une part il ne sert à rien de
croire ce que l’on sait, d’autre part, ce que l’on saurait de Dieu serait
incroyable, tant cela raterait Dieu. Il ne faut pas tant dire que Dieu est le
tout-autre, que Dieu ce n’est jamais ça.
Deux manières de vivre. Celle fondée sur nos certitudes par
lesquelles nous prétendons maîtriser toutes choses, et le sens de l’existence,
et le sens de la sexualité et de la famille, etc. Mais alors, nous savons où
nous allons, et quoique nous disions, le cas échéant, nous ne sommes pas comme
Abraham, car il partit sans savoir où il
allait. Nous ne sommes pas comme Jésus, nous ne sommes pas croyants, pas
témoins de l’invisible.
Autre manière de vivre, celle qui fait confiance à ce qui advient, s’aventure vers l’inconnu d’un pays, comme si ce que nous faisions de notre vie n’était pas notre projet mais la réponse à un appel bienveillant, aimant. C’est encore ce que dit l’épître : Grâce à la foi, Abraham obéit à l'appel de Dieu […] : il partit sans savoir où il allait.
Autre manière de vivre, celle qui fait confiance à ce qui advient, s’aventure vers l’inconnu d’un pays, comme si ce que nous faisions de notre vie n’était pas notre projet mais la réponse à un appel bienveillant, aimant. C’est encore ce que dit l’épître : Grâce à la foi, Abraham obéit à l'appel de Dieu […] : il partit sans savoir où il allait.
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