Rêver d’un monde meilleur, qui ne l’a pas fait ? Mais si
ce monde que nous rêvons est hors d’atteinte, n’est-il pas préférable de le renvoyer
pour après la mort, quand plus rien ne permettra d’en vérifier la réalité ?
Et de fait, les chrétiens ont été accusé de construire un arrière monde qui les
autorisait à mépriser ce monde-ci.
Le retour du Seigneur, c’est pour quand ? Pour aujourd’hui
ou pour demain, après la fin, lorsque nous tous serons morts ? Nous
proclamons dans le credo qu’il y a une vie éternelle. Reste à savoir si la vie
éternelle, c’est la vie après la mort, ou si, dans cette existence de chaque jour que nous recevons du Seigneur,
cette vie éternelle est déjà commencée.
Pourquoi donc cette incertitude sur la vie éternelle, sur le
monde nouveau et meilleur ? L’évangile ne répond pas, mais confirme l’incertitude.
Les gens ne se doutent de rien. « Tenez-vous donc prêts,
vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme
viendra. »
Dans la catéchèse, dans ce que l’on raconte aux enfants,
surtout en famille, la vie éternelle se situe après la mort. La vie éternelle est
la réponse à la question à laquelle personne ne sait répondre, parce que
personne ne sait y répondre : « Qu’est-ce qui se passe quand on est
mort ? » Et pour faire bonne mesure, nous racontons que l’avent, c’est
pour se préparer à Noël. Mieux vaut parler de naissance que de mort, c’est plus
gai ! Mais voilà, rien dans les textes d’aujourd’hui ne parle de Noël et
tout pose la question d’un monde nouveau.
Certes, quand la vie n’est pas trop agressive, violente,
quand on peut réussir sa vie, plus personne n’attend vraiment un monde nouveau.
Lorsqu’un pays donne l’impression de vivre en paix depuis soixante-dix ans, qui
rêve de ce que cesse la guerre ? Pourtant, notre pays n’a pas arrêté d’être
en guerre depuis soixante dix ans, en Indochine, en Algérie, lors des
nombreuses interventions en Afrique, en Afghanistan, au Proche et au Moyen
Orient, sans parler de la guerre mené par et contre le terrorisme.
Il y aurait bien de quoi faire nôtre l’espérance
prophétique. « De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, et de
leurs lances, des faucilles. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on
ne s’entraînera plus pour la guerre. »
A regarder notre monde, nos sociétés, nos communautés
ecclésiales, nos familles, notre propre cœur, nous sommes désespérés. Le cri de
Paul VI à la tribune des Nations Unies en 1965, repris des mouvements pacifistes
après la première guerre mondiale, nous paraît une douce illusion, bien loin
des vrais problèmes : Plus jamais la guerre !
Alors, quel sens y a-t-il à lire le prophète Isaïe ? D’autant
que dans le pluralisme de la mondialisation, la loi du Seigneur ne saurait plus
faire l’unanimité ; elle est plutôt source de nouvelles violences. L’évangile
est moins utopique, qui nous met la violence sous le nez, qui raconte la venue
du fils de l’homme sur le modèle de la catastrophe diluvienne.
La venue du Fils de l’homme, l’avent du Fils de l’homme, inscrit
dans notre monde, non la fuite vers un arrière monde, mais une impossible
résignation. Elle renvoie dos-à-dos la désertion et le cynisme désabusé. Dans
les deux cas, il n’y aurait rien à faire, puisque le vrai monde serait ailleurs ou
puisque de toute façon, on ne pourrait rien faire, rien changer. La venue du Fils
de l’homme met un pied dans la porte du désengagement, du découragement, ou du
laisser-faire coupable. Pour commune que soit la haine, elle n’est pas notre
avenir.
Voilà peut-être la bonne nouvelle qui nous est donnée à
entendre ce matin. Pour commune que soit la haine, elle n’est pas notre avenir.
Notre avent est ailleurs, justement dans la venue du Fils de l’homme. Nous attendons
la vie éternelle, mais elle est déjà là s’il est établi que la haine n’a pas le
dernier mot. Nous attendons le Fils de l’homme, mais il est déjà là s’il est sensé
que nous nous engagions pour la paix. C’est parce qu’il est nécessaire, contre
toutes nos guerres, en nous, en famille, dans la société, dans l’Eglise, dans
le monde, de renoncer au fatalisme de la violence que l’évangile et la foi
trouvent leur validité.
Jamais tous les pays ne monteront à la montagne de Sion pour
entendre la loi du Seigneur, ils n’y sont d’ailleurs jamais tous montés. L’unanimité
religieuse semble n’être possible que par la violence, ce qu’à raison, nous
rejetons. Mais c’est pourtant bien la loi du Seigneur qui nous enseigne l’engagement
pour la paix, à être des artisans de paix.
La venue du Fils de l’homme, son avent, qui est notre avenir, fait retentir un cri qu’il nous faut faire résonner encore et toujours : la haine n’est pas notre avenir.
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