Qui sont les sages et les savants dont parle Jésus, privés
de la révélation ouverte aux tout petits (Mt 11,25-30) ? Evidemment, pas nous ! On peut
penser aux théologiens et autres spécialistes en matière de foi. Mais nous qui
n’y connaissons rien, nous avec la foi du charbonnier, c’est évident que nous
sommes du bon côté. « Je te rends grâce, Père, parce que ce que tu as
caché aux sages et savant, tu l’as révélé aux tout petits ».
Il ne suffit cependant pas de ne pas être un sage et un
savant pour faire partie de ceux à qui Dieu ouvre ce qu’il cache aux autres. Une
opposition n’est pas forcément exclusive. On peut être ni sage ni tout petit ;
on peut être sot ou ignorant. C’est même curieux que Jésus fasse de tout petit
l’antonyme de sage et savant. Les petits ne sont pas tous des ignorants, loin
s’en faut ! Y a-t-il ici beaucoup de sages et de savant ? Y a-t-il
ici beaucoup plus de tout petits ? Peu importe. Nous sommes invités à
écouter la parole de Jésus. Elle nous concerne. Serait justement sage et savant
celui qui ne se sentirait pas concerné. Imaginer qu’une parole de Jésus ne nous
concernerait pas signe que nous sommes des sages et savants, imbus d’eux-mêmes
et de leur savoir.
La formule de Jésus est très curieuse qui manie le paradoxe.
Est savant celui à qui les choses sont cachées, et tout petit, celui à qui
elles sont révélées ! Pour faire partie des tout petits, il faut prendre
pour ce qui est dit des sages et savants. En effet, celui qui croirait que la
révélation lui est ouverte, qui n’aurait plus besoin d’écouter, celui-là est en
fait de ceux auxquels c’est caché, puisqu’il estime ne pas avoir besoin d’écouter
cette parole de Jésus. La parole de Jésus ne le concernerait plus puisque déjà…
il la connaîtrait, serait sage et savant.
Autrement dit pour suivre Jésus, il faut renoncer à tout
savoir, à toute sagesse. Pas seulement de paroles, mais en actes. Nous sommes
des ignorants, nous n’avons jamais entendu la parole de Jésus, et c’est
pourquoi elle nous est adressée. Nous sommes des ignorants, nous qui prétendons
connaître Jésus et sa parole, et ainsi la parole nous est adressée. Penser le
contraire, c’est être des sages et des savants, ce qui nous conduit à ne rien
savoir puisque tout nous est caché. Jésus est le maître de la parole et du
paradoxe !
A lire Platon, le véritable philosophe, et donc tout homme,
sait qu’il ne sait pas. Socrate a comme Jésus eu maille à partir avec ceux qui
prétendent savoir. Socrate, comme Jésus sait que le véritable savoir est
l’ignorance. Ce qui est visé, par l’un comme par l’autre, c’est l’attachement à
nos certitudes, nos petites, ou grandes théories. Et comme disait un confrère d’un
séminariste, il tient d’autant plus à ses
idées qu’il n’en a pas beaucoup. Ce n’était pas très gentil mais pourtant
vrai. Nous avions en face de nous un Monsieur
je sais tout, sûr de lui, et bien peu cultivé… Il en est d’autres, anguilles,
qui revendiquent la foi du charbonnier ; leur ignorance prouve qu’ils ne
sont pas savants. Cela ne les empêche pas de se faire donneurs de leçons comme
s’ils étaient professeurs patentés.
Il faut se préparer à entendre quelque chose de neuf. Ce
n’est pas du connu, même pour nous, la parole de Jésus. Et aujourd’hui, en
termes de nouveauté, nous ne serons pas déçus ! Voilà que même les
fardeaux peuvent être légers ! Jésus continue dans le paradoxe. Mais
n’est-ce pas la seule manière pour parler du Père et de ce qu’il révèle.
« Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le
Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. »
Une révélation, mieux, une transmission, ce que l’on appelle
une tradition. Ce que le Fils nous livre, c’est la connaissance du Père. Et
vous remarquez que cette connaissance n’est pas explicite dans le texte. Nous
voilà refaits. Nous étions enfin disposés à écouter, et il n’y a rien à
entendre ! Enfin, pas tout à fait. Il y a le paradoxe, il y a la parabole
du fardeau léger et du joug facile.
Parler du Père ne se fait pas en termes descriptifs ou en
définitions. Parler du Père met le langage en folie. Le langage de la croix est
croix du langage. Parler de Dieu, se fait par l’attestation d’une vie pour
laquelle la vie avec Dieu est légèreté et libération. C’est peut-être une
évidence pour nous. Ce n’est l’est pas pour tous. Combien pensent que suivre
Jésus est une exigence que rejette le laxisme des dilettantes ? Combien
craignent Dieu, ont ou ont eu peur de Dieu ?
Il faut être petit, tout petit, pour parler de Dieu. Etre
petit signifie tout ignorer, ne plus rien savoir, y compris à propos de Dieu et
de nous mêmes. Le fardeau pesant (pléonasme !), ce peut être nos
certitudes. Le chameau qui porte et qui dit « je dois », qui serre
les fesses ou les dents. Le lion qui dit « je veux » et qui impose à
tous son point de vue. Le fardeau léger (paradoxe !) c’est le rejet des
savoirs. Reste à devenir l’enfant dont la légèreté et la souplesse lui permettent
de danser, de jouir de la vie sans ce préoccuper de demain. Le Royaume est à
ceux qui leur ressemble, non qu’ils soient meilleurs que les autres, mais
qu’ils osent faire confiance, par exemple au savoir de l’autre, de Jésus. La
tradition de Jésus, c’est la libération et la légèreté.
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