Vous imaginez un semeur qui sème et non seulement envoie du
grain sur le chemin, mais aussi sur le sol pierreux et dans les ronces ?
(Mt 13, 1-23) Peut-on penser un instant qu’un tel semeur existe ? Longeant le champ, il
y a sans doute un chemin ; alors le semeur fait attention pour qu’il ne
tombe pas de grain sur le chemin. Au milieu du champ, son geste est ample, sur
le bord, plus précis.
En revanche, ce ne serait vraiment pas de chance que ce
champ soit à la fois bordé d’un chemin, qu’il y ait des ronces et un sol
pierreux ! Non seulement le semeur ne fait pas attention, mais en plus son
champ est situé dans un lieu peu propice à la culture pour que du grain puisse
tomber en tous ces endroits infertiles. On finirait même par croire à lire la
parabole sans essayer de se représenter la scène, qu’il y a quatre terrains qui
ont à peu près même superficie et que le semeur jette la semence quel que soit
le terrain.
Qui donc peut ainsi semer ? Certainement pas un semeur,
qui ne gaspillerait pas ainsi le grain. Sans doute quelqu’un qui n’y connaît
rien. L’extravagance de la parabole que tous repèrent, celle de l’épi qui peut
aller jusqu’à donner cent grains, est précédée par une autre exagération, plus
grande encore, celle du semeur. Sa prodigalité est plus importante que la
récolte. D’autant que l’on ne parlera pas de la récolte ! On n’a jamais vu
cela.
Est-ce à dire qu’aux yeux du semeur il n’y a qu’un seul terrain ?
Se pourrait-il que toute terre soit bonne à cultiver ? Les premiers
versets de la Genèse peuvent le laisser penser. « Dieu dit : Que la
terre verdisse de verdure : des herbes portant semence et des arbres
fruitiers donnant sur la terre selon leur espèce des fruits contenant leur
semence et il en fut ainsi. La terre produisit de la verdure : des herbes
portant semence selon leur espèce, des arbres donnant selon leur espèce des
fruits contenant leur semence, et Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir
et il y eut un matin : troisième jour. »
Mais la terre, ce n’est pas le paradis ! A moins qu’il
importe de fixer le regard sur le semeur plus que sur les terrains, ou du
moins, sur le semeur d’abord. Alors apparaît une autre curiosité : nous
avons affaire à un semeur de profession. Ce n’est pas un paysan qui sort pour
semer. Ce n’est pas un moissonneur, nous l’avons dit, on n’en parle pas. C’est un
semeur qui sort pour semer, quasi pléonasme. En grec, le mot a gardé sa forme verbale
et le latin utilise fidèlement deux verbes qu’il juxtapose de façon quasi
intraduisible en français, voici qu’est sorti celui qui sème semer, voici qu’est
sorti semer celui qui sème. C’est sur l’acte du semeur qu’est braqué l’objectif,
et cela ne fait que souligner la démesure des semailles.
De ce semeur, on sait encore une chose. Il est sorti. Le
verbe est ainsi conjugué qu’il ne s’agit pas d’une sortie banale, mais d’un
acte posé à un moment précis. D’où est-il sorti, pour aller où ? Cela n’est
pas préciser. Importe seulement qu’il sorte, souligné par la préposition :
Voici, il sortit.
Arrêtons-nous à ce qu’on nous montre, ce qu’il faut voir
ici. Voici, celui qui sème sortit pour semer. Déjà la parabole fonctionne.
Comme toujours, pour l’interpréter, il faut non pas poser la question qui est
le semeur, car alors, on entre dans une interprétation allégorique, à chaque
élément du texte, correspond un élément de l’enseignement. Et c’est cette
lecture allégorique que propose le commentaire évangélique.
Mais pour interpréter une parabole, il faut poser une autre
question, qui précède la parabole. Non pas « qui est le semeur ? »,
après coup, une fois qu’on a déjà entendu, non pas faire surgir une question de
la parabole, mais retrouver la question à la quelle la parabole serait la
réponse. Quelle question faut-il poser pour que l’on répondre en racontant la
parabole ?
Vous voulez savoir qui est Dieu ? Voici, il sortit, le semeur, semer. Et il jette du grain partout
comme si tous les terrains étaient bonne terre, à profusion. Là, on reste
bouche-bée. C’est donc ainsi Dieu ! Il est donc ainsi Dieu ! Si vous
identifiez le semeur en disant, le semeur c’est Dieu, la semence la parole, il
n’y a plus rien à dire, plus rien d’étonnant, plus rien devant quoi s’émerveiller.
On apprend peut-être des trucs sur Dieu, mais cela nous laisse de marbre.
Mais si vous faites de la parabole une réponse, alors la
question, la seule pour toutes les paraboles, « Voulez-vous savoir qui est
Dieu ? » ouvre à l’inouï, c’est-à-dire au croyable. Au lieu de clore
l’interrogation, de la résoudre, la parabole avance une réponse qui ouvre un
monde insoupçonné. Depuis le temps qu’on veut savoir qui est Dieu ! Et
Jésus débarque. Lui aussi sort. Tiens ! On le regarde. Il s’assoit.
Suspense… Il y a du monde. Il recule. Je vous le dis qu’il faut prendre la
question avant, et non après. Un pas de recul, pour monter dans la barque. Et
là, lorsque l’on n’en peut plus du suspense…
Vous voulez savoir qui est Dieu ? » Il sort. Il ne reste pas chez lui,
pour lui. Il sort, il sortit, au début et toujours. Au début parce que c’est
cela la création, et toujours, parce qu’il n’y a pas de temps pour lui, parce
qu’il s’occupe encore de sa création, parce qu’il est créateur (et non qu’il l’a
été autrefois), il sauve comme il crée ; il crée, c’est-à-dire, il donne
la vie, il sauve. C’est ainsi Dieu ! Il donne à profusion, il jette la
semence, la fécondité à profusion, sans compter.
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