C’est incroyable ce que Jésus peut inventer pour parler du
royaume, de la vie avec Dieu. Il est vrai, le Premier Testament lui offre une
carrière de métaphores, paraboles et autres tropes. Mais tout de même.
Entrez dans une église et demandez à ceux qui y sont
rassemblés, demandons-nous, ce que nous dirions de Dieu si nous avions maximum
trente secondes. Laissons-nous ensemble surprendre. En trente secondes, pour
parler de Dieu, Jésus raconte l’histoire d’un banquet préparé pour la terre
entière : la multitude, beaucoup, sans doute tous. C’est incroyable.
Parler d’un sujet aussi sérieux, si je puis dire, et parler d’une bringue ou d’un
festin, d’un repas de noce, d’un banquet républicain ou d’un pique-nique
paroissial, mais d’une paroisse qui est l’humanité entière. Qui oserait ?
Quel culot ! Ce n’est pas digne.
Quand j’entends nos chants liturgiques qui se gargarisent à
louer Dieu en l’appelant créateur, rédempteur, et autres gros mots. En dirait
le catéchisme de l’Eglise catholique mis en chanson, sur des musiques d’ailleurs
bien faibles. On dirait les veillées scoutes où l’on compose un texte sur un
air imposé, la souris verte ou je ne sais quoi. Non, Jésus ne parle pas ainsi. Ce
sera plus paillard que catéchétique, et l’on comprend que les prostituées
viennent en premier dans le royaume. Pour lui, ce sera une fête où l’on mange
des viandes grasses et boit des vins capiteux. Une fête qui finira dans l’étreinte
d’une nuit d’amour.
En effet, nous sommes invités à un festin de noce. Et nous
sommes la fiancée, ceux que le fils aime comme sa propre chair, plus que
lui-même encore. Parler de Dieu, c’est dire les épousailles de son fils avec l’humanité.
Qui est Dieu ? Celui qui veut allier sa famille à la nôtre et nous adopter
comme ses enfants. Comme cette eau se
mêle au vin pour le sacrement de l’alliance, puissions-nous être unis à la
divinité de celui qui a pris notre humanité. Cela ne se fait pas par acte
notarial, dans la froideur administrative d’une étude, mais lors d’un banquet
auquel la multitude est convoquée.
Mais alors, pourquoi une telle violence devant le refus de
certains à participer au festin ? Faut pas pousser ! Pour parler de
Dieu est-ce encore approprié ? Tout ce qu’avait suscité d’admiration l’invitation
est réduit à néant. Pourquoi y a-t-il en définitive si peu d’élus ? Pourquoi
un pauvre malheureux est-il chassé ? Il n’avait sans doute pas eu le temps
de passer chez lui pour se changer, convoqué dans l’urgence alors qu’il errait
sur quelque chemin. Cette fin de texte est si curieuse que le lectionnaire
autorise à ce qu’on ne la lise pas. C’est plus simple ; quand on ne
comprend pas quelque chose, mieux vaut faire comme si cela n’existait pas !
Qu’est-ce qui manque à cet invité que les autres, convoqués
à l’improviste, ont eu le temps de revêtir ? Il fallait qu’ils l’aient sur
eux, non dans un placard, à la maison, bien rangé, mais dans la poche, mieux,
dans le cœur, là où se trouve la richesse de ceux qui n’ont pas de toit, qui
vivent à la croisée des chemins. Qu’ont-ils que l’impossibilité de prendre une
douche ne salit pas, tenue de noce toujours irréprochable ?
On comprend que l’accueil inconditionnel de Dieu ne puisse
pas accepter n’importe quoi. On comprend que la miséricorde infinie du Père soit
assortie d’un jugement, non au mal, à la mort. Mais ce jugement n’est pas affaire
de rétribution. La parabole précise qu’entrent dans la salle de fête des bons
comme des méchants. Et ce qui est reproché à notre homme, n’est pas sa possible
méchanceté, mais de ne pas porter l’habit de fête.
Faut-il se rappeler à qui Jésus parle, ceux qui veulent l’arrêter,
qui ont bien compris que c’est eux qui étaient visés, mais qui ont peur de la
réaction de la foule. Des gens dont le pouvoir et l’autorité sont mis en danger
par Jésus. Faut-il penser que ce qui manque est en fait quelque chose de trop
qui empêche le vêtement de noce de se voir, une sorte de masque de laideur.
Si l’accueil de Dieu est inconditionnel, pour les bons comme
pour les méchants, quel est le problème ? Refuser d’être épousé par le
fils. Venus à la fête pour dénoncer au nom de Dieu, le Dieu qui s’unit à l’humanité.
Et si le vêtement de noce c’était d’accepter d’être
déconcerté par un Dieu qui n’est jamais ce que nous en avions pensé. Tous nous
avons une idée de Dieu, athées ou croyants, indifférents ou chercheurs ;
pour tous ce mot a au moins un sens. Mais ce que nous comprenons, va-t-il
enfermer Dieu, l’obliger à correspondre à notre définition, que ce soit pour le
nier ou pour le défendre ? Cela reviendra au même. Nous sommes athées du
dieu des athées, nous n’y croyons pas plus qu’eux. Nous sommes athées de bien
des dieux des religions, y compris du catholicisme. Nous devons être athées de
notre propre conception de Dieu.
Si nous savons, nous ne cherchons pas. Voilà l’habit de noce
qui nous manque, aussi bon cathos que nous paraissons à nos propres yeux. Nous
ne reconnaîtrons pas le Dieu qui déconcerte dans la salle de noce, si nous
croyons que Dieu est ce que nous en pensons. Déçus, nous partirons de
nous-mêmes plus que nous n’aurons été chassés, passant à côté de l’appel de la
multitude, mettant en échec le projet d’amour du Dieu qui épouse la multitude appelée,
qui nous introduit dans sa famille.
Un verset très important: "l'homme ne répondit rien". La robe, c'est sans doute la parole. Le lieu où il n'y a qu'ersatz de parole "pleurs et grincements de dents" est celui là même où se destine ce qui n'est pas parole.Car si l'homme avait répondu, qu'aurait-il dit si ce n'est: "donne moi cette robe, que je m'en revête" et le roi, comme dans l'enfant prodigue, lui aurait donné la plus belle tunique.
RépondreSupprimerMerci beaucoup.
SupprimerVous m'ouvrez une piste décisive, même si je ne sais comment, sans avoir la parole, il pourrait demander qu'on lui donne la robe.
J'ai porté votre remarque toute la journée. Sans forcément dire que ce qui manque à notre homme, c'est la parole, il est clair qu'il ne répond pas au roi, qu'il ne lui demande pas de lui procurer un vêtement de noce. Belle parabole du salut, gratuit, loin du mérite, puisque les bons et les méchants, sont entrés dans la salle du festin. Je comprends dans ce même sens la parabole des talents que nous lirons le 16 novembre.
SupprimerJe suis tout de même surpris par la violence de la version de Matthieu. Qui est à ce point l'ennemi du roi au point de se moquer de son invitation, pire, de battre ses émissaires ? Cela ressemble beaucoup à la parabole du chapitre précédent, Qui sont ceux qui pensent que Dieu peut faire périr misérablement les misérables, alors que la résurrection de Jésus atteste une tout autre possibilité, il aime encore les pécheurs.
Pourquoi notre homme n'a pas demandé au roi le vêtement de noces.Mais ce vêtement de noces:la foi,lui a été proposé à l'entrée et lui l'a refusé,refusant délibérément de croire à l'amour de Dieu.
RépondreSupprimerEntendons-nous sur le mot foi. S'il s'agit de l'appartenance à une Eglise ou la connaissance d'un catéchisme, je ne crois pas en votre lecture. On pourrait dire que ce n'est ni la justice (les œuvres), ni la foi qui habillent. Bons et méchants sont accueillis.
SupprimerIl y a quelque chose de curieux dans cette expulsion et dans la parabole qui brouille les pistes. Les oppositions binaires foi - non foi, bons - méchants, me paraissent dépassées. Le monde n'est pas binaire et s'il y a une opposition dans l'Antiquité, ce sont celles des Juifs et des païens, ou des Grecs et des barbares. L'opposition croyant - non croyant est anachronique. Et aujourd'hui, elle est non pertinente. Peut-on ranger ensemble les croyants et les chrétiens ? N'y a-t-il pas les chrétiens, les croyants, les non-croyants ?
Si la foi c'est l'ignorance reconnue, la recherche, alors nous sommes d'accord. Il y a une manière d'être athée qui évidemment n'est pas recherche. On sait qui est Dieu (ou croit le savoir) et l'on n'y croit pas, on ne le cherche pas. Il y a une manière d'être croyant, chrétien, catho, qui n'est pas recherche ? On sait qui est Dieu (on croit le savoir) et l'on y croit, mais on ne le cherche pas.
L'homme rentré sans vêtement est unique en son genre. C'est une affaire qui me trouble et que je n'ai pas encore travaillée. Il y a dans le texte deux types de non élus, les invités du début notamment ceux qui ont battu les serviteurs du roi, et cet homme qui est exclu. Comme s'il y avait deux manières de fermer l'accès au festin.
Pour moi la foi n'est évidemment pas synonyme d'appartenir à un Eglise,même s'il me semble impossible d'être indépendant de tout pour se faire son petit Dieu à sa mesure tout seul dans son coin.Avoir la foi c'est croire absolument à l'amour de Dieu pour nous,amour totalement gratuit à la condition tout de même de l’accepter.
RépondreSupprimerEn l'espèce notre homme l'a refusé contrairement aux autres bons et méchants,et je suis poussé à penser que les méchants en question sont des méchants qui ont pris conscience de leur méchanceté à l'image du bon larron.
Quant au Chrétien qui pense savoir qui est Dieu...eh bien,il a bien de la chance...mais je ne l'envie pas pour autant...