15 octobre, fête de Thérèse d'Avila
Aujourd'hui s'ouvre une année pour commémorer les 500 ans de sa naissance le 28 mars 1515.
Je réservais ce texte paru pendant l'été pour le poster aujourd'hui.
Aujourd'hui s'ouvre une année pour commémorer les 500 ans de sa naissance le 28 mars 1515.
Je réservais ce texte paru pendant l'été pour le poster aujourd'hui.
« Nous avons connu l’amour et nous y avons cru » (1
Jn 4,16)
« Vous me direz que [ces désirs] sont imperfection ;
pourquoi ne se conforme-t-elle pas à la volonté de Dieu puisqu’elle lui est si
soumise ? […] Par chance, sa raison n’est pas maître d’elle-même, ni de
penser à autre chose qu’à ce qui l’obnubile, étant loin de son bien par lequel
elle veut vivre. Elle sent une solitude étonnante ; elle ne trouve aucune
compagnie dans les créatures de la terre – je crois qu’elle n’en
trouverait même pas parmi celles du ciel, puisque ce n’est pas celui qu’elle
aime – ; plutôt, tout la tourmente. […] Elle se voit brûlée par cette
soif, et ne peut arriver à l’eau. Et il ne s’agit pas d’une soif qui puisse se
supporter ; elle en est à un degré tel qu’aucune eau ne peut l’étancher
– et elle ne veut pas qu’il en soit autrement – si ce n’est l’eau
dont parla notre Seigneur à la Samaritaine. Et cela, on ne le lui donne
pas. » (Château, VI,11,5)
Comment l’homme peut-il vivre avec Dieu ? Pour les hommes, c’est impossible (Mt
19,26). Comment peut-il vivre sans Dieu qui est la vie ? La vie avec Dieu
est impossible autant que nécessaire, comme une soif terrible qui pourtant doit
demeurer toujours plus vive pour que le désir de Dieu et la jouissance d’être à
lui jamais ne s’éteignent. Thérèse n’est obnubilée que par une chose, la vie en
abondance pour tous, l’eau vive, Dieu même.
Thérèse de Jésus (1515-1582) entre à 18 ans au Carmel à
Avila, monastère où la rigueur de la règle est « mitigée », histoire
de s’épargner un peu de purgatoire ! Aidée par ses confesseurs et de
nombreuses lectures, elle passe de pratiques plus ou moins superstitieuses dont
le non-respect inspire la crainte à la liberté de se savoir aimée. Le Concile
de Trente (1545-1563), comme Luther, lutte contre la superstition et réforme la
prédication.
Une vingtaine d’années plus tard elle ose enfin faire
confiance à ce qu’elle comprend de Dieu et vit avec lui. Il y a tant à
convertir en elle, en son ordre et dans l’Eglise ! En 1562, elle fonde à Avila
un autre Carmel. Le retour à une règle stricte instaure une réelle pauvreté et
la solitude (même au cloître il y avait des mondanités et des inégalités). La
prière est comprise comme une conversation avec Dieu. « Il ne s’agit pas
de craindre mais de désirer [… l’oraison n’étant] rien d’autre qu’un commerce
d’amitié où on s’entretient souvent et intimement avec celui dont nous savons
qu’il nous aime » (Vie VIII, 5).
De 1567 à 1582, seize autres Carmels seront fondés.
Dieu fait tout en Thérèse, alors qu’elle n’est que péché.
Elle n’a rien mérité, tout reçu gratuitement. La « seule grâce » de
Luther n’est pas loin ! Ce langage qui élève l’autre et abaisse
l’amoureuse est celui de la passion. Thérèse interrompt ou structure ses écrits
par des prières qui sont autant de déclarations d’amour, ou plutôt, de réponses
à l’amour.
On la soupçonne d’être une illuminée qui défie la médiation
de l’Eglise, mais elle n’arrête pas de demander conseil, en particulier à
François de Borja, Pierre d’Alcantara et Jean de la Croix, tous les trois
canonisés, dont elle apprécie autant l’expérience spirituelle que la science
théologique. Comment savoir si ce qui lui arrive vient de Dieu ? Est-elle
folle ? Est-elle possédée ? Est-elle dans le vrai, disciple
authentique de Jésus ?
Femme et d’ascendance juive (mais le savait-elle ?),
doublement peu fiable, elle n’a pas accès au savoir d’autant que la science de
Dieu est confisquée par les théologiens. Alors que l’on découvre l’Amérique,
l’imprimerie et la science moderne, Thérèse appartient à un nouveau monde, une classe
sociale qui cherche à exister, urbaine, de marchands principalement, se moquant
des privilèges. Thérèse est opposée à l’esclavage et fait confiance aux
jésuites, nouvellement fondés, et aux ordres mendiants.
Elle écrit une autre science de Dieu, apprise à l’oraison et
non à l’université. Aucune femme de l’époque n’a autant écrit. Son propre corps
est aussi une écriture, avec les maladies, paralysies, extases, brûlure du cœur
et cris. « L’extase n’est elle-même qu’une métaphore » (M de Certeau),
celle d’un amour qui la met hors d’elle, parce que la prière n’est pas
intériorité mais déplacement, quête, poursuite. Dieu n’est jamais là, il fait sortir de soi.
L’Eglise peine à se réformer et se déchire. On n’entend plus
Dieu, si on l’a jamais entendu. « S’il m’était possible de me cacher de
vous comme vous vous cachez de moi, votre amour pour moi, je le crois, je le
pense, ne le supporterait point. […] Cela n’est pas supportable, mon Seigneur,
je vous supplie de considérer que c’est faire injure à celle qui vous aime
tant. » (Vie XXXVII, 8). Du
coup, il faut parler en son nom ; mais qui en est digne ?
L’omniprésence du démon dans le texte de Thérèse est
stratégie qui par exemple dénonce que ce qu’elle dit entendre n’est pas de Dieu
mais bien d’elle ; elle est bien de Dieu ! « Ici dire n’est pas
possible ; comprendre, l’intelligence ne le peut et les comparaisons ne
peuvent servir à expliquer car les choses de la terre sont bien basses pour une
telle fin. Envoyez du ciel, mon Seigneur, la lumière pour que je puisse en
donner quelque peu. » (Château
V, 1, 1). Il faut ruser quand on parle de Dieu. « Je dis en secret car le
langage de la vérité n’est plus en usage. Les prédicateurs eux-mêmes arrangent
leurs sermons de manière à ne mécontenter personne. » (Vie XVI, 7) Elle sait que ce sont des
bons chrétiens qu’il y a le plus de mal à craindre, ainsi cette novice qui la
dénonce à l’Inquisition.
La description des états de l’oraison n’est pas une méthode spirituelle mais une
critique qui raconte l’épreuve du dépouillement. D’abord, il n’y a pas de prière
sans une vie au service des autres. Ensuite, prier c’est demeurer devant le
Seigneur par amour. Il n’y a rien à faire, surtout pas des prières ! Dieu
importe plus que la prière, et le souci de Dieu, que les hommes aient la vie
(Jn 10,10), plus que l’union à lui. Thérèse a laissé l’évangile convertir sa
prière. « La très sainte humanité du Christ » est la voie qui donne à
l’humanité de partager la vie trinitaire.
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