15/10/2014

500 ans de la naissance de Thérèse de Jésus

15 octobre, fête de Thérèse d'Avila


Aujourd'hui s'ouvre une année pour commémorer les 500 ans de sa naissance le 28 mars 1515.
Je réservais ce texte paru pendant l'été pour le poster aujourd'hui.






« Nous avons connu l’amour et nous y avons cru » (1 Jn 4,16)

« Vous me direz que [ces désirs] sont imperfection ; pourquoi ne se conforme-t-elle pas à la volonté de Dieu puisqu’elle lui est si soumise ? […] Par chance, sa raison n’est pas maître d’elle-même, ni de penser à autre chose qu’à ce qui l’obnubile, étant loin de son bien par lequel elle veut vivre. Elle sent une solitude étonnante ; elle ne trouve aucune compagnie dans les créatures de la terre – je crois qu’elle n’en trouverait même pas parmi celles du ciel, puisque ce n’est pas celui qu’elle aime – ; plutôt, tout la tourmente. […] Elle se voit brûlée par cette soif, et ne peut arriver à l’eau. Et il ne s’agit pas d’une soif qui puisse se supporter ; elle en est à un degré tel qu’aucune eau ne peut l’étancher – et elle ne veut pas qu’il en soit autrement – si ce n’est l’eau dont parla notre Seigneur à la Samaritaine. Et cela, on ne le lui donne pas. » (Château, VI,11,5)


Comment l’homme peut-il vivre avec Dieu ? Pour les hommes, c’est impossible (Mt 19,26). Comment peut-il vivre sans Dieu qui est la vie ? La vie avec Dieu est impossible autant que nécessaire, comme une soif terrible qui pourtant doit demeurer toujours plus vive pour que le désir de Dieu et la jouissance d’être à lui jamais ne s’éteignent. Thérèse n’est obnubilée que par une chose, la vie en abondance pour tous, l’eau vive, Dieu même.
Thérèse de Jésus (1515-1582) entre à 18 ans au Carmel à Avila, monastère où la rigueur de la règle est « mitigée », histoire de s’épargner un peu de purgatoire ! Aidée par ses confesseurs et de nombreuses lectures, elle passe de pratiques plus ou moins superstitieuses dont le non-respect inspire la crainte à la liberté de se savoir aimée. Le Concile de Trente (1545-1563), comme Luther, lutte contre la superstition et réforme la prédication.
Une vingtaine d’années plus tard elle ose enfin faire confiance à ce qu’elle comprend de Dieu et vit avec lui. Il y a tant à convertir en elle, en son ordre et dans l’Eglise ! En 1562, elle fonde à Avila un autre Carmel. Le retour à une règle stricte instaure une réelle pauvreté et la solitude (même au cloître il y avait des mondanités et des inégalités). La prière est comprise comme une conversation avec Dieu. « Il ne s’agit pas de craindre mais de désirer [… l’oraison n’étant] rien d’autre qu’un commerce d’amitié où on s’entretient souvent et intimement avec celui dont nous savons qu’il nous aime » (Vie VIII, 5). De 1567 à 1582, seize autres Carmels seront fondés.
Dieu fait tout en Thérèse, alors qu’elle n’est que péché. Elle n’a rien mérité, tout reçu gratuitement. La « seule grâce » de Luther n’est pas loin ! Ce langage qui élève l’autre et abaisse l’amoureuse est celui de la passion. Thérèse interrompt ou structure ses écrits par des prières qui sont autant de déclarations d’amour, ou plutôt, de réponses à l’amour.
On la soupçonne d’être une illuminée qui défie la médiation de l’Eglise, mais elle n’arrête pas de demander conseil, en particulier à François de Borja, Pierre d’Alcantara et Jean de la Croix, tous les trois canonisés, dont elle apprécie autant l’expérience spirituelle que la science théologique. Comment savoir si ce qui lui arrive vient de Dieu ? Est-elle folle ? Est-elle possédée ? Est-elle dans le vrai, disciple authentique de Jésus ?
Femme et d’ascendance juive (mais le savait-elle ?), doublement peu fiable, elle n’a pas accès au savoir d’autant que la science de Dieu est confisquée par les théologiens. Alors que l’on découvre l’Amérique, l’imprimerie et la science moderne, Thérèse appartient à un nouveau monde, une classe sociale qui cherche à exister, urbaine, de marchands principalement, se moquant des privilèges. Thérèse est opposée à l’esclavage et fait confiance aux jésuites, nouvellement fondés, et aux ordres mendiants.
Elle écrit une autre science de Dieu, apprise à l’oraison et non à l’université. Aucune femme de l’époque n’a autant écrit. Son propre corps est aussi une écriture, avec les maladies, paralysies, extases, brûlure du cœur et cris. « L’extase n’est elle-même qu’une métaphore » (M de Certeau), celle d’un amour qui la met hors d’elle, parce que la prière n’est pas intériorité mais déplacement, quête, poursuite. Dieu n’est jamais , il fait sortir de soi.
L’Eglise peine à se réformer et se déchire. On n’entend plus Dieu, si on l’a jamais entendu. « S’il m’était possible de me cacher de vous comme vous vous cachez de moi, votre amour pour moi, je le crois, je le pense, ne le supporterait point. […] Cela n’est pas supportable, mon Seigneur, je vous supplie de considérer que c’est faire injure à celle qui vous aime tant. » (Vie XXXVII, 8). Du coup, il faut parler en son nom ; mais qui en est digne ?
L’omniprésence du démon dans le texte de Thérèse est stratégie qui par exemple dénonce que ce qu’elle dit entendre n’est pas de Dieu mais bien d’elle ; elle est bien de Dieu ! « Ici dire n’est pas possible ; comprendre, l’intelligence ne le peut et les comparaisons ne peuvent servir à expliquer car les choses de la terre sont bien basses pour une telle fin. Envoyez du ciel, mon Seigneur, la lumière pour que je puisse en donner quelque peu. » (Château V, 1, 1). Il faut ruser quand on parle de Dieu. « Je dis en secret car le langage de la vérité n’est plus en usage. Les prédicateurs eux-mêmes arrangent leurs sermons de manière à ne mécontenter personne. » (Vie XVI, 7) Elle sait que ce sont des bons chrétiens qu’il y a le plus de mal à craindre, ainsi cette novice qui la dénonce à l’Inquisition.
La description des états de l’oraison n’est pas une méthode spirituelle mais une critique qui raconte l’épreuve du dépouillement. D’abord, il n’y a pas de prière sans une vie au service des autres. Ensuite, prier c’est demeurer devant le Seigneur par amour. Il n’y a rien à faire, surtout pas des prières ! Dieu importe plus que la prière, et le souci de Dieu, que les hommes aient la vie (Jn 10,10), plus que l’union à lui. Thérèse a laissé l’évangile convertir sa prière. « La très sainte humanité du Christ » est la voie qui donne à l’humanité de partager la vie trinitaire.

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