Deux commandements, le premier et le second qui lui est
semblable (Mt 22, 34-40). Un
seul commandement alors, et non deux formulations, qui requiert une double
pratique.
Pour être chrétiens, il faut savoir faire plusieurs choses à
la fois. Impossible de faire une chose après l’autre, de prendre son temps. Il
y a une sorte d’urgence sans laquelle tout est invalide. Il n’y a en effet
qu’un seul plus grand commandement. Mais impossible d’en parler sans le second.
Ce second d’ailleurs, est semblable au premier : il ne s’agit pas d’un
autre commandement. C’est le même, le seul, impossible à dire en une sentence,
impossible à pratiquer sans faire deux choses à la fois.
Vous voulez aimer Dieu, alors vous aimez le frère. Vous
aimez le frère, alors vous aimez Dieu. Il n’y a pas conséquence de l’un à
l’autre, ni équivalence, du genre dès lors qu’on aime Dieu, on aime aussi le
frère ou dès lors qu’on aime le frère, on peut se dispenser d’aimer Dieu. Non,
observer le plus grand des commandements c’est aimer Dieu et aimer le frère. Ce
ne sont pas deux choses séparées. Aimer Dieu, c’est dans le même temps aimer le
frère.
Vous trouvez mon propos bien obscur ? J’appelle à la
rescousse un des meilleurs rhéteurs de l’Antiquité. Pour dire les choses
évidentes sans paraphrase ni complications excessives, il faut tout le génie
d’Augustin.
– Tu dis : Je n’aime que Dieu,
Dieu le Père ?
– Tu mens. Si tu l’aimes, tu ne
l’aimes pas lui seul, mais si tu aimes le Père, tu aimes aussi le Fils.
– Bien, dis-tu, j’aime le Père et
j’aime le Fils : mais eux seuls, Dieu le Père et Dieu le Fils, […] Voilà
seulement ceux que j’aime.
– Tu
mens. Si en effet tu aimes la tête, tu aimes aussi les membres ; mais si
tu n’aimes pas les membres, tu n’aimes pas non plus la tête. […] Quels sont ses
membres, mes frères, vous le savez déjà : c’est l’Eglise même de Dieu.
Est-il besoin d’aller plus loin ? Oui assurément. Car
les paroles ne sont rien en matière d’amour si d’abord on ne met la Parole en pratique.
Alors pour aller plus loin, reste le plus important, aimer Dieu, le Père, le
Fils et l’Esprit et du même amour, aimer les frères. Au travail, à l’œuvre,
comme dit l’évangéliste Jean !
Mais je veux encore ajouter quelque chose, de moindre
importance, évidemment que cette double pratique de l’amour de Dieu et des
frères. Aujourd’hui, alors que les disciples de Jésus représentent une minorité
dans nos pays, certains d’entre nous cherchent à mieux dire la spécificité de
notre foi. Ils mettent en évidence l’identité du disciple ne serait-ce que pour
comprendre qui l’on est.
Alors, ils risquent de considérer que l’amour des frères,
valeurs d’autant plus universelle qu’elle est peu pratiquée, relève de l’humanisme
plus que de la foi. Les athées aussi peuvent aimer les frères, des croyants de
bien d’autres religions se donnent pour le service des frères. Aussi l’amour
des frères ne suffirait pas à dire la foi. Il serait à relativiser par rapport
à la confession du dogme et à la prière. A mettre en évidence l’engagement
social, le service des plus pauvres, on réduirait la foi à un humanisme qui n’aurait
plus rien de (spécifiquement) chrétien.
Mais dès lors que le Christ s’est uni à tout homme, a été l’homme-pour-les-autres,
le spécifiquement chrétien n’est-il pas le spécifiquement humain ? Peut-on
désormais opposer, voire distinguer l’anthropologie de la théologie ? L’humain
est le chemin du divin.
On pourrait même aller jusqu’à penser avec la parabole de Mt
25,31-46 que la confession du nom de Jésus n’importe pas. A ceux qui disent l’avoir
invoqué, le Seigneur répond qu’il ne les connaît pas à la différence de ceux
qui ont donné le verre d’eau qui sauve la vie.
Et s’il en est ainsi, c’est pour deux raisons. La première,
de peu d’importance, mais tout de même ; l’illusion est si fréquente dans
la foi, qu’il faut bien la contre-épreuve de l’amour des frères pour ne pas se
perdre dans le contentement naïf et coupable de soi, indifférence méprisante, tartufferie
ou hypocrisie pharisienne. La seconde, radicale, le Christ ne cherche pas même
à être connu ; lui importe seulement que les hommes se saluent les uns les
autres, participent au salut les uns des autres, ne serait-ce qu’en s’offrant
le verre d’eau qui sauve la vie. L’incognito de Dieu, ou sa discrétion, est le
nom de son amour, de son être-pour, de sa vie et de sa mort, homme au milieu
des hommes.
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