La fête du corps et du sang du Seigneur, au calendrier
liturgique de Liège depuis 1246, est étendue à toute l’Eglise en 1264 par Urbain
IV qui demanda à Thomas d’Aquin d’en écrire l’office, dont certains connaissent
encore un fragment par cœur, le Tantum
ergo.
Dans sa commande, Urbain parle de présence réelle, terme que
ne reprend pas Thomas. C’est surtout avec la riposte de l’Eglise catholique aux
protestants que le terme se généralise. On se met alors à construire des
tabernacles gigantesques que l’on installe dans le sanctuaire, au dessus de
l’autel principal. On célèbre la messe devant le saint sacrement, exposé ou non ;
voilà qui est curieux. Avant, la réserve eucharistique était placée dans une
chapelle latérale. On développe une théologie eucharistique de combat.
Il semble que dès la fin de l’Antiquité et clairement au IXe
siècle, la communion fréquente tombe en désuétude et les textes demandent que l’on
communie au moins trois fois l’an, avant que le 4ème concile du
Latran en 1215 n’impose que ce soit au moins une fois par an, à Pâques. Il faut
dire que les conditions à une communion digne deviennent de plus en plus exigeantes
et ne pas communier peut être vécu comme un signe d’humilité. On a juste oublié
que le sang est « versé pour vous et pour la multitude en rémission des
péchés ». Au XIIème siècle, on loue pourtant la communion fréquente et
interprète encore la demande du pain quotidien du Notre Père dans un sens
eucharistique. Au XVIe, Ignace de Loyola ou Thérèse de Jésus demandent la
communion fréquente, qui n’est accordée à cette dernière qu’avec difficulté. A
partir du XVIIe siècle, avec le janséniste, la communion se fait rare.
Durant des siècles, la majorité des chrétiens, y compris les
religieux, ont peu communié. La pratique eucharistique réside dans la simple assistante
à la messe et l’adoration eucharistique. Ce n’est qu’en 1905 que Pie X
encourage de nouveau la communion fréquente.
Notre théologie spontanée de l’eucharistie porte la trace de
ces théologies et pratiques, quand bien même on l’ignore. Ainsi, la
consécration semble souvent plus importante que la communion, de sorte que la
présence réelle semble être le dernier mot de l’eucharistie. Certes, on trouve très
tôt de quoi étayer ce que l’on appellera plus tard la présence réelle. Par
exemple, au milieu du 2ème siècle, Justin rapporte que l’on garde du
pain eucharistié pour les malades et les absents. Vers 200, nous savons par
Tertullien que des baptisés ont l’habitude de communier chaque jour avec du
pain eucharistié le dimanche qu’ils rapportent chez eux. Dans tous les cas, est
manifeste le lien du pain consacré avec la messe et la communion.
Paradoxalement, alors que les chrétiens communient de moins
en moins, ils sont de plus attachés à la matérialité du corps du Christ. Cela
tient à un attachement très fort à l’incarnation, mais aussi à des pratiques
magico-religieuses ou merveilleuses de l’eucharistie. Plutôt que de courir voir
les hosties qui saignent, il aurait mieux valu communier plus régulièrement !
Entre hyper-réalisme eucharistique et réaction contre les aberrations auquel il
mène, la doctrine eucharistique se durcit souvent même si la fameuse transsubstantiation,
à partir du XIIIe siècle, est une solution équilibrée pour résoudre des
problèmes tels que de savoir si l’on mord Jésus lorsque l’on croque l’hostie,
si l’on reçoit plus ou moins Jésus selon la taille de l’hostie, si l’on est
plus proche de Jésus selon qu’on est à cinquante centimètres du tabernacle ou à
vingt mètres !
Mais rien n’y fait, on voudra toujours plus affirmer l’identité
du pain avec le corps du Christ : Ceci est
mon corps. Le problème, et personne ne s’en aperçoit jusqu’à récemment, c’est
que Jésus n’a pas dit « ceci est mon corps ». Jésus s’est adressé à
ses disciples en disant : « prenez, mangez, ceci est mon corps. »
De sorte que la phrase de Jésus n’est pas description du type « ceci est
un morceau de cire » ou « A est B », mais une déclaration d’amour.
« Prenez, c’est mon corps pour vous. », « prenez, je suis pour vous,
je me donne à vous. » Comme les amants. « Je me donne à toi pour t’aimer
fidèlement tout au long de notre vie » disent les époux au jour de leur
mariage, s’offrant corps et âme. C’est mon corps, pour toi.
Pour savoir ce qu’est l’eucharistie, on ne peut sortir la
phrase de Jésus de son contexte. Je le redis, Jésus ne nous fait pas une leçon
de choses à désigner le pain comme son corps ; il s’offre. N’importe pas de
savoir si c’est une substance ou une autre (et encore il faudra être clair sur
le sens du mot substance qui a énormément varié en plus de vingt cinq siècles d’usage).
En mangeant ce corps, Jésus se donne à nous, nous manifeste son amour ; il
nous donne sa vie, il nous ressuscite. La meilleure définition de l’eucharistie
n’est ni la présence réelle, ni la transsubstantiation, ni de savoir si et
comment ce pain est son corps, mais l’action de grâce émerveillée : « voyez
quel grand amour le Père nous a donné ! »
éclairant, merci!
RépondreSupprimerBonsoir Patrick, merci pour ces réflexions qui m'ont accompagnée aujourd'hui. Je voudrais te faire part d'une autre piste : lors de mes grossesses je crois que mon corps était aussi donné par amour à l'enfant qui prenait forme en moi. Mon corps qui s'est transformé pour lui faire une place. J'étais son pain de vie par mon sang donné... une autre expérience qui pourrait nous dire quelque chose de l'amour de Jésus qui se donne à nous, qui nous donne son corps, son sang par amour, pour que nous ayons la vie.
RépondreSupprimerIl me semble que St Jean fait dire au Christ bien d'auitre choses et notamment"oui mon corps est ube vraie nourriture et mon sang une vraie boisson " et "si vous ne mangez pas la chair du fils de l'homme vous n'aurez pas la vie en vous"
RépondreSupprimerEn revanche je suis plus circonspect quant à la transsubstantiation et préfère la position des orthodoxes qui croient absolument à la présence réelle sans tenter de l'expliquer
Merci pour vos deux remarques.
RépondreSupprimer1. Est-ce que saint Jean parle de l'eucharistie ? Est-ce que Jn 6 que vous citez, le discours sur le pain de vie, a un sens strictement eucharistique, je ne le pense pas.
Au sens large, sans doute, mais qui ne désigne ni pas la messe ou la communion, mais la vie de l'homme comme "recevoir Dieu". Je ne suis pas persuadé que l'évangile de Jean connaissait la Cène.
En outre, même si, avec vous, l'on opte pour l'interprétation opposée, rien ne permet de faire signifier aux "vraie nourriture" et "vraie boisson" une qualification des espèces consacrées. Que Jésus, sa parole, son corps, soi(en)t vraiment nourriture ne signifie pas que le pain soit vraiment son corps. C'est autre chose. Je ne vois donc pas comment votre citation peut jouer un rôle dans la discussion de la présence réelle.
2. Je pense tout à fait normal de chercher à comprendre ce que l'on croit. La transubstanciation fut un essai. Le recours au miracle ou au mystère n'est pas satisfaisant avec un Dieu qui se fait homme, qui s'adresse à l'homme et donc aussi à son intelligence.
Certes, vouloir expliquer le mystère ne signifie pas le réduire, mais y introduire plus profondément encore. Mais ce qui est mystérieux, c'est le don incommensurable par Dieu de lui-même, de son amour, que Dieu veuille s'unir à nous. Ce qui est mystérieux, ce n'est pas l'eucharistie au sens de communion. C'est Dieu qui est mystère et son amour. Cela est sans pourquoi. Dieu nous aime et nous ne savons dire pourquoi. Et cela n'a pas de sens de chercher un pourquoi.
C'est autre chose avec les saintes espèces. Et je crois, avec la pratique de l'Eglise, qu'il est au moins légitime, de chercher à comprendre ce que nous faisons quand nous redisons, suite à son commandement, les paroles de Jésus à la dernière Cène.
Que fait-il ? Il ne change pas le pain en corps et le vin en sang. (Les Douze et ceux qui étaient présents à la Cène auraient été bien surpris d'une telle définition de ce qui s'y était passé !) Il déclare, à la veille de sa mort, son amour pour ceux qui le trahissent (tous). Je m'offre pour vous et pour la multitude. Je vous aime et ne peux que m'en remettre à vous. Prenez, c'est moi, livré pour vous. J'ai envie d'ajouter, prenez soin de moi, prenez soin de la manière que j'ai de rendre grâce au Père, prenez soin du chemin que je vous ai enseigné (et que je suis) pour rendre grâce au Père.
Voilà ce que me suggèrent vos deux remarques.
Excusez-moi d'insister mais que faites-vous alors du passage dans lequel nombre de ses disciples s'en vont en s'écriant :"Comment cet homme-là pourrait-il nous donner sa chaire à manger?"
SupprimerPar ailleurs que voulez-vous dire lorsque vous écrivez:je ne pense pas que l'Evangile de Jean connaissait la Cène"?
Enfin il me parait bien évident que Dieu veut que bous nous servions de notre intelligence. Pour autant ce n'est; en tout cas j'en suis persuadé,ce n'est pas elle seule qui nous le fera comprendre
.rassurez-vous lorsque je communie je ne pense pas une seconde que je mange le corps charnel de Jésus,mais c'est beaucoup plus que du pain azyme que je mange alors, infiniment plus
Je ne comprends pas votre question. Oui, il donne sa chair à manger. Que ce soit lui-même en sa parole, en sa vie ou en son eucharistie, dans tous les cas, vous n'êtes pas au premier degré, donc que la chair désigne les saintes espèces ou autre chose ne change rien à l'affaire.
SupprimerSi vous pouvez affirmer qu'il y a un enseignement sur l'eucharistie entendue comme la réitération de la Cène du Seigneur dans l'évangile de Jean, je suis preneur de vos références. Mais il est probable que vous n'en trouviez pas...
Je n'ai pas dit que notre intelligence nous fera tout comprendre, mais sans elle, on ne saurait parler de compréhension. Je sais très bien avec qu'Augustin que pour comprendre, il faut croire. Et pourtant, le même Augustin concède qu'il faut comprendre pour croire.