Deuxième dimanche de suite où l’évangile tourne nos regards
vers le Baptiste. La semaine passée, le vocabulaire apocalyptique situait la
vie publique de Jésus dès son début dans un contexte de crise, de jugement et
de fin des temps. La présence de Jésus dans le monde ouvre l’histoire à la
dernière nouveauté, une lute à mort contre le mal.
Nous retrouvons le Baptiste, en prison, à la fin de sa vie
(Mt 11, 2-11). La nouveauté dernière ne lui saute pas aux yeux. Il semble même avoir
perdu tout espoir. Le mal demeure, si évident pour lui, incarcéré pour avoir
dénoncé les puissants et les injustices.
(Nous pouvons remarquer au passage que les évangiles de
l’Avent ne nous préparent, jusqu’au troisième dimanche inclus, absolument pas à
Noël. Point d’attente de l’enfant Jésus dans ces lignes. Et si attente il y a, c’est
celle d’un monde nouveau, débarrassé de l’hypocrisie y compris religieuse (celle
des pharisiens et sadducéens), de la violence, de l’injustice et du mal. A
regarder l’enfant de la crèche, on a parfois l’impression de couper l’évangile
et la suite de Jésus de leur signification politique, sociale. Que serait notre
conversion si nous nous contentions de nous attendrir sur un événement du passé
sans conséquence pour notre vie dans le monde aujourd’hui ?)
Pourquoi donc Jésus ne répond-il pas clairement par oui ou
par non à la question de Jean : « Es-tu celui qui doit venir, ou
devons-nous en attendre un autre ? » Pourquoi demeurer ambigu alors
que le Baptiste semble au bord du désespoir ? L’évangile ne nous aurait-il
pas rendu service, à nous aussi, en faisant clairement reconnaître par Jésus qui
il est ?
C’est que l’identité de Jésus ne repose pas en lui, dans un
en-soi. L’identité pour Jésus n’est pas solipsiste. Elle n’est pas ce qui
différencie, clairement et distinctement, ce qui oppose. L’identité est
relation. C’est sans doute une affaire que feraient bien de se rappeler ceux
qui parlent d’identité nationale. On ne peut vivre sans les autres, on ne peut
se dire sans les autres. Personne n’existe sans les autres. Nous sommes tous
les fils et filles de, frères et sœurs de, conjoints, voisins, collègues de.
La personne humaine n’est pas un individu, une sorte d’atome,
entier, suffisant pour exister par soi. Elle est insérée dans un tissu de
relations où elle prend sens et vie. Et Jésus ne se présente pas autrement qu’en
relation. Pour savoir qui est Jésus, il faut savoir qui sont ceux avec qui il
est en relation, quelles relations il entretient avec les autres. Or ceux par
lesquels Jésus se dit ne sont pas ses parents, ses frères et sœurs ou conjoints.
C’est sans doute une affaire que feraient bien de se rappeler ceux qui parlent
de familles.
« Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et
voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les
lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les
pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. » Les proches de Jésus, ceux qui lui
permettent de se présenter, de décliner son identité sont les handicapés, les
impurs, les morts et les pauvres.
Voilà un renversement social peu banal. La gloire de Jésus,
sa fierté, n’est pas d’être l’ami de telle personne importante, voire de Dieu
lui-même ! Sa gloire, sa personne est d’être l’ami de ceux habitent les ténèbres et l’ombre de la mort. Qui sera disciple
de ce Jésus sait ce qu’il lui reste à faire. Qui voudra connaître ce Jésus, le
rencontrer, sait où il devra aller. L’assistance de ceux qui habitent les
ténèbres de la vie, parce que c’est ce que leur laissent la maladie et les
autres hommes, est une exigence éthique assurément. Elle est aussi une
révélation, une théophanie, le lieu où se dévoile la personne de Jésus.
Jésus n’existe qu’à disparaître, à s’effacer. Ceux qu’il
présente pour se présenter sont ceux que l’on ignore, malades, impurs, morts,
handicapés, pauvres. Il les fait sortir de l’ombre, les rend au jour, à la
lumière de la vie. Jésus fait sortir de l’ombre ; il est lumière :
« Le peuple qui se trouvait dans les ténèbres a vu une grande lumière ;
pour ceux qui se trouvaient dans le sombre pays de la mort, une lumière s’est
levée. » (Mt 4, 16)
N’importe pas à Jésus qu’on le connaisse lui par son nom.
Importe que les pauvres soient accueillis par tous. Et alors, par la même
occasion, Jésus est connu, non seulement en parole, mais en acte.
Tout compte-fait, Jésus répond clairement et de façon très
développée à la question du Baptiste. Nous en savons plus sur lui que s’il
s’était contenté de dire, oui, c’est bien moi celui qui doit venir, point
besoin d’en attendre un autre. Il répond et nous oblige, puisqu’il n’y a plus
personne à attendre, au service de ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de
la mort.
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