23/12/2016

Un Noël dans la nuit ?


Alep vient de tomber. Le régime Syrien préfère se battre contre l’opposition qu’expulser l’Etat Islamique. Cynisme d’un homme qui a détruit une des plus anciennes villes du monde avec le secours de la Russie, qui prétend se montrer plus chrétienne que jamais.
Berlin vient d’être frappée à son tour par les attentats. Plus de cinq mille migrants noyés cette année dans la Méditerranée, un record, triste record.
Le Congo, la Gambie, et tant d’autres pays sombrent dans la dictature ou s’y maintiennent. On me reprochera de ne pas en sortir de la noirceur alors que c’est jour de fête. On me dira que l’on a besoin d’autre chose que de la lecture des journaux.
Mais que signifie fêter Noël en cette nuit des violences ? Que signifie fêter Noël à Alep, Mossoul, Berlin, en Méditerranée et à Kinshasa ? Pourrions-nous nous consoler tranquillement, quand nos frères humains crèvent, la nuit de Noël ?
La première lecture de la messe de la nuit semble être exactement pour nous. « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. »
Encore faudrait-il voir cette grande lumière. Force est de reconnaître que si elle existe, elle n’a rien d’éblouissant. Bien sûr, nous pourrions être spirituellement schizophrènes, nous réjouir romantiquement de la crèche, faire la fête entre amis, et laisser à lundi, le moment de repenser aux victimes de la violence.
Mais ne serait-ce pas contraire à ce que nous sommes censés célébrer aujourd’hui, un Dieu qui se fait homme, une humanité divinisée, bref, l’impossibilité de séparer ce que Dieu a uni, la chair et sa divinité. C’est dans ce monde qu’il est né. On disait que c’était pour racheter du péché originel. Disons au moins que s’il ne vient pas là où l’on désespère d’être homme, cela n’a aucun sens. Si, nous venons sacrifier au peu de religion qui reste en nous ou dans notre société, dépêchons-nous ! Bientôt il n’y en aura plus. Et heureusement, car la religion est chose terrible, mais l’évangile n’est pas religion.
L’homme de Nazareth ne s’est guère préoccupé des prêtres et des sacrifices, du temple et des règles de pureté. On a même l’impression qu’il prenait un malin plaisir à guérir le sabbat, le jour sacré du repos. L’homme de Nazareth a parlé avec tous, Juifs, pharisiens, scribes, zélotes, samaritains, docteurs de la loi, publicains, collabos, prostituées, femmes, enfants, veuves, pécheurs, païens, envahisseurs comme ce centurion romain qui demande la guérison de son serviteur, peut-être son concubin…
L’homme de Nazareth s’est attablé avec tous. Il est plus souvent à table, d’après l’évangile, qu’à la synagogue ou au temple ! Il y a urgence pour lui à manifester l’universalité de la fraternité, parce qu’elle est le sacrement de l’amour infini de son Père, de notre Père.
L’homme de Nazareth s’est attablé jusqu’à se donner lui-même en nourriture, prenez, mangez, prenez, buvez. Si nous le mangeons, si nous buvons son sang, n’est-ce pas parce qu’il veut être nous ? N’est-ce pas parce qu’il veut être notre nourriture, ce qui nous fait vivre ? Nous le disions tout juste. Impossible de séparer ce que Dieu a uni, chair et divinité.
Qu’en ressort-il ? Une grande lumière ? Oui et non. Non, c’est toujours la nuit et la violence. Oui, mais cette lumière, même grande, ne se voit pas forcément. La voyons-nous ? Sans doute, si nous sommes ici, du moins si nous ne venons pas faire de la religion, mais écouter la parole et la mettre en pratique.
Depuis cette fameuse nuit la plus longue de l’année, celle où l’on fait symboliquement mémoire de la naissance de Jésus, la lumière brille, parce que rien de l’humanité n’est étranger à Dieu. Le mal, il s’y livre pour le renverser, depuis le massacre des innocents que nous fêterons dans trois jours (la liturgie elle non plus ne nous berce pas d’illusions) jusqu’à son agonie en croix. L’humanité, il l’épouse, pour la rendre à la beauté de sa propre divinité. Cela ne fait pas de bruit, cela n’éblouit pas. C’est aussi inoffensif qu’un enfant nouveau-né.
Qui croira que la force est dans la faiblesse ? Qui croira que la victoire est dans la faiblesse ? Jésus, Dieu, n’est pas superman ou magicien. Il aime, à la folie. « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort. » Voilà pourquoi nous sommes ici. Voilà ce que nous sommes engagés à annoncer, plus encore en acte qu’en parole. Voilà la bonne nouvelle, déconcertante, de Noël.
« Les bottes qui frappaient le sol, et les manteaux couverts de sang, les voilà tous brûlés : le feu les a dévorés. Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! »

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