« Moi, je ne le connaissais pas. » Par deux fois
dans ce court extrait de l’évangile (Jn 1,29-34), le Baptiste déclare ne pas
connaître Jésus. Au cinquième siècle déjà, Augustin s’étonnait de cette
dénégation. Elle contredit la version lucanienne du cousinage entre Jésus et
Jean et de leurs relations manifestement proches pour que Marie visite
Elisabeth. La tradition picturale représente si souvent les deux enfants
ensemble que l’évangile de Jean en est à peine audible.
Plus important, comment le Baptiste peut-il baptiser et
reconnaître celui qu’il ne connaît pas ? Cette question mérite que l’on
s’y arrête, parce qu’en ouvrant l’évangile, elle expose notre propre situation.
Nous ne connaissons pas Jésus, nous ne l’avons jamais vu et pourtant, nous le
reconnaissons comme celui qui baptise dans l’Esprit saint.
Connaître Jésus n’est manifestement pas une question de
repérage, par ADN, carte d’identité voire pour le Baptiste d’appartenance
familiale ou d’identité religieuse ou ethnique. Connaître Jésus c’est
reconnaître sa mission. L’identité de Jésus n’est pas ce qui le caractériserait
en lui-même, mais sa relation aux autres.
Qu’est-ce que connaître Jésus, pour nous ? N’est-ce pas
précisément la reconnaissance de la présence de l’Esprit en lui, sur lui ?
« J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur
lui. » Ce qui fait reconnaître Jésus, c’est la présence de l’Esprit, je
veux dire, ce qui donne la vie, ce qui fait vivre. L’Esprit est le principe de
vie, ainsi que le dit notre profession de foi : « il est seigneur et donne
la vie, Dominum et vivificantem ».
Ce qui fait reconnaître Jésus, c’est sa puissance de vie
pour les autres. Il reçoit l’Esprit pour baptiser dans l’Esprit, ainsi que le
dit notre texte. La reconnaissance de Jésus, pour nous autres disciples, est la
reconnaissance de l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, justement
parce que la puissance de vie qui repose sur lui est plus forte que la mort et le
mal.
La puissance de libération de Jésus, sa puissance de vie qui
redresse maladies, infirmités, possessions et morts, sa mission comme
libérateur à l’instar du Dieu de la libération d’Egypte et du retour d’exil, sa
mission de salut, voilà qui donne de le reconnaître.
Homme comme tous les autres, il n’est pas connu, nous ne le
connaissons pas, nous ne l’avons jamais vu. Homme du premier siècle, enfoui
sans l’anonymat des siècles, nous ne le connaissons pas. Mais nous le
reconnaissons aujourd’hui, dans la vie de ce monde, comme celui sur qui repose
la puissance de vie de l’Esprit.
Nous sommes disciples de Jésus comme Jean, parce que nous
sommes les témoins, nous rendons témoignage, de la puissance de vie, ici et
maintenant, de l’homme sur qui repose l’Esprit qui donne la vie. Notre mission,
en ce monde, consiste précisément en cela, désigner celui sur qui repose
l’Esprit qui donne la vie, désigner en ce monde, la puissance de vie, qui ne
peut être que celle de l’Esprit. Et où est-il cet homme, si ce n’est où il y a
libération ? Où le reconnaîtrons-nous, lui que nous ne connaissons pas, si
ce n’est là où il y a vie ?
Notre profession de foi ne consiste pas en la promotion de
valeurs ou l’adhésion à un credo, aussi pertinent soit-il. Elle est toute
entière un repérage de la vie, de la vie libérée, sauvée, une désignation de la
libération, du salut. Où la vie prend-elle ? Où l’Esprit trouve-t-il à
donner vie ? Où la vie est-elle empêchée pour que nous dépêchions à y
porter l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, pour que nous dépêchions par
notre prière, nos cris pour dénoncer, et nos bras pour soigner, l’agneau de Dieu
qui enlève le péché du monde ?
Reconnaître Jésus, comme le Baptiste, paraîtra peut-être alors
à certains comme une œuvre seulement humanitaire, bien loin d’une explicite confession
de foi. Ne nous laissons pas abuser. Reconnaître la puissance de vie du Sauveur,
c’est considérer chacun en ce monde comme frère. Mais si tous sont frères, c’est
qu’il n’y a qu’un seul Père, et si tous sont fils de cet unique Père, c’est
parce que celui sur qui repose l’Esprit-qui-donne-la-vie est le fils. Non pas
le fils en soi, mais le fils pour nous, celui que nous confessons comme l’agneau
de Dieu qui enlève le péché du monde.
Reconnaître celui sur qui repose l’Esprit, la puissance de
vie, c’est bien reconnaître le Fils de Dieu, comme le dit le Baptiste, mais
cela n’est pas un savoir, une connaissance (je ne le connaissais pas), mais l’engagement,
comme le Baptiste, à être témoin de sa puissance de vie, de libération, de
salut.
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