J’ai été étonné de lire qu’un exégète, historien sérieux du
texte biblique, reconnaissait un fondement historique à l’épisode des mages.
J’avoue ne pas bien comprendre comment la discrétion absolue de notre Dieu, qui
naît comme la majorité des hommes, aujourd’hui encore, dans l’anonymat le plus
complet, parce qu’il n’est pas fils de roi à la manière des hommes, parce qu’il
n’est pas le prince héritier ou le rejeton d’une star, est compatible avec l’apparition
d’une étoile ou l’alignement d’une constellation. Si Dieu entre dans le monde
par la porte commune de l’anonymat, ce n’est pas en dérangeant le cours des
astres !
Mais si vous tenez à ce que l’événement soit historique,
prenez garde de ne pas en rester au fait. A quoi sert ce genre d’infos si elles
ne nous aident pas à adorer à notre tour, à être croyants. Si être croyant, ce
n’est pas savoir des trucs sur Jésus, mais suivre Jésus sur son chemin de vie
qui passe par la croix, sur son chemin de croix qui ouvre à la vie, il convient
que l’épisode des mages aussi nous indique comment aller jusqu’à Jésus.
Matthieu est le seul à le raconter. Il prend place au cœur de
ce que l’on appelle évangile de l’enfance, les deux premiers chapitres. Ces
chapitres sont moins connus que ceux de Luc, parce qu’ils ne racontent pas la
naissance de Jésus, et que nous ne les lisons donc pas à Noël.
Oui, c’est curieux, Matthieu ne raconte pas la naissance de
Jésus alors qu’il consacre deux chapitres à sa naissance ! Il y a d’abord
une généalogie de trois fois quatorze générations, d’Abraham à Joseph. Ce
dernier, dans un songe, est invité à accueillir sa promise et l’enfant qu’elle
porte, dont il n’est pas le père. Annonce faite à Joseph, qui remplace, si l’on
peut dire, celle que Luc réserve à Marie par la visite de Gabriel. Ni
magnificat, ni cousinage avec Elisabeth, ni bergers ou anges, mais au tournant
du chapitre, laconiquement, on apprend que Marie enfante et Joseph nomme, de
façon inattendue, ce fils Jésus (et non Emmanuel comme indiqué dans le songe).
Suit immédiatement l’épisode des mages. Alors que Joseph
avait été le fil rouge des lignes précédentes, il disparaît ici : les
mages ne voient que l’enfant et sa mère. Il réapparaît dès la sortie des mages,
encore avec des songes, pour fuir en Egypte et échapper au massacre des
innocents, revenir en Terre Sainte, puis préférer bifurquer vers la Galilée.
C’est curieux, mais Matthieu ne raconte pas la naissance de
Jésus. Il raconte l’enracinement de Jésus dans le peuple d’Abraham, dans la
lignée de David, dans le peuple de l’exode et de l’exil. Pour en finir avec cette
vie de réfugiés, « Dieu sauve », Jésus, est annoncé. Mais c’est
encore le malheur qui frappe la terre et Rachel ne cesse de pleurer ses enfants
qui ne sont plus, victimes de la faim, de l’exil, de la guerre et des
violences, des trafics et des abus sexuels, comme vient de le rappeler le Pape.
La seule lumière, si l’on peut dire, la seule étoile, dans
ces deux chapitres, c’est celle qui met les mages en route. Ils se réjouissent
à sa lumière lorsqu’ils la voient se poser à l’endroit où était l’enfant. Alors
que l’enracinement juif fait l’ouverture de l’évangile et que la violence se
déchaîne, des hommes de l’Orient, des hommes du matin, des hommes du soleil
levant, ouvrent la promesse de vie et de paix à l’univers entiers. « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au
partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. »
Peu d’entre nous, sans doute, ont du
sang juif dans les veines, peu sont de la même race que Jésus. Et pourtant, la
libération de toutes les Egypte d’hier et d’aujourd’hui, la Pâque qui fait
traverser la mer où le péché est englouti, ne cessent de se renouveler pour
nous tous, puisque Jésus, « Dieu sauve » est manifesté à la terre
entière, aux païens que nous sommes, depuis que trois hommes venus d’Orient ont
ouvert la route qui mène à lui.
Dès les premières lignes, l’évangile
de Matthieu annonce que le salut promis à Israël n’a de sens qu’à valoir pour
toutes les nations, ainsi que les prophètes l’avaient déjà perçu. La paix est
pour tous ou pour personne. Qu’un seul soit en guerre et la terre entière est
dévastée. Que la paix germe, que l’on soit sauvé de la mort, et Jésus,
« Dieu sauve » ; toute l’humanité est fraternité radieuse ;
son cœur frémit et se dilate.
« Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre
les peuples. Mais…
Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire
apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté
de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se
rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes
filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur
frémira et se dilatera. »
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