Il
n’est guère possible de commenter les versets de ce jour (Mt 16, 21-27) sans
les relier à ceux de dimanche dernier (Mt 16, 13-20). Celui auquel Jésus
déclare « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t'est
venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les
cieux. » est aussi celui qui s’entend dire : « Passe derrière
moi, Satan ! tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de
Dieu, mais celles des hommes ! »
Celui
qui confesse la foi est aussi celui qui la trahit. Le disciple est toujours un
traitre. Et Pierre en « pleura amèrement ». D’après François, le
Pape, impossible d’exercer un quelconque ministère, sans cette conscience de la
trahison : « Un prêtre ou un évêque qui ne se sent pas pécheur, qui
ne se confesse pas… n’avance pas dans la foi. »
Mais
est-ce si sûr qu’il faille parler des ministres pour commenter cet
évangile ? La foi de Pierre désigne-t-elle la foi du chef des apôtres,
lequel trouverait dans l’évêque de Rome son successeur ? Seul un
catéchisme bien peu regardant ou de polémique, contre les orthodoxes, contre
les protestants, pourrait dire les choses de façon aussi simpliste.
Que
signifie le paradoxe de Pierre, le confesseur qui trahit, le disciple pécheur ?
Pierre est moins au autant un disciple qu’un apôtre, un des Douze qu’un chef. Ces
Douze, l’Eglise de Paul ne les confondait pas avec les apôtres, et aujourd’hui,
il importe aussi de n’en pas réduire la signification à l’apostolat. Les Douze
constituent assurément un groupe de très proches de Jésus, mais on sait bien
qu’ils ne sont pas les seuls si proches, ni même fidèlement disciples. Des
femmes, par exemple, le furent tout autant qu’eux, qui ne trahirent pas. Judas,
Pierre, et le dix autres, ce n’est pas l’autre, le méchant, le mauvais
disciple, c’est tout disciple. Aucun n’est présent à la croix, à suivre Jésus
toujours et encore, même là.
Or
c’est précisément ainsi que notre texte définit le disciple : « Si
quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa
croix, et qu'il me suive. »
Les
Douze expriment, parmi les disciples, le sens de la mission de Jésus. Jésus ne
peut se dire ni se montrer sans les hommes parce qu’il est l’homme pour,
l’homme pour les autres, tous les autres. La totalité des disciples, douze,
entoure Jésus, accompagne Jésus. Et parmi eux, il y a des traitres, il n’y a
que des traites.
Ainsi,
quoi qu’il en soit d’une théologie des ministères, la foi de Pierre, c’est
d’abord celle des Douze, celle des disciples. Tout disciple s’appelle Pierre
sur lequel l’Eglise repose : « Vous-mêmes, comme pierres vivantes,
prêtez-vous à l'édification d'un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, en
vue d'offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus
Christ. » Aussi, est-ce nous qui sommes tancés : « Passe
derrière moi, Satan ! tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas
celles de Dieu, mais celles des hommes ! »
Il
n’est pas possible de se dire disciple sans entendre ce que nous ne pouvons
cependant ne pas déjà savoir, nous sommes aussi non seulement pécheurs, mais
traîtres, obstacles à celui que nous disons suivre. Un disciple qui n’intègre
pas dans la compréhension de sa foi qu’il est toujours aussi un traître, un
obstacle à la foi, porte au carré, au cube, exponentiellement, le péché, la
trahison et le fait d’être obstacle. Et voilà pourquoi l’évangile s’attaque
tellement aux hypocrites.
Comme
si les atteintes à l’évangile étaient d’abord le fait des disciples de cet
évangile, étaient une circonstance indépassable de la foi. La vérité de
l’évangile est toujours portée, quand elle l’est par des disciples, par des
traitres, des Satan ! Prendre cette affirmation au sérieux ne se réduit
pas à une pieuse disposition spirituelle, je ne suis qu’un pécheur, fausse
humilité qui témoigne d’un orgueil plus grand. Elle oblige à intégrer dans
notre manière de confesser la foi et de l’annoncer le drame de notre trahison.
Nous
ne pouvons penser le péché comme une exception dans la vie du disciple. Il faut
penser la précarité de l’être disciple, sa fragilité, sa faillibilité pour ne
pas se tromper ni tromper. Il faut penser la précarité institutionnelle pour parler
de la sainteté de l’Eglise, non une exception, mais une circonstance qui
accompagne toujours l’Eglise. Impossible de brandir la vérité comme si nous en
étions les chevaliers blancs et purs. Servir la vérité ne peut que passer, non
par une attitude d’autoflagellation, mais par le réalisme de ce que nous
contredisons l’évangile.
Nous
ne pouvons que disparaître derrière Jésus et les frères (Jésus est toujours
avec les frères), nous ne pouvons que préférer disparaître plutôt que d’imposer
par la force quoi que ce soit : « Si quelqu'un veut venir à ma suite,
qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive. Qui
veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la
trouvera. Que servira donc à l'homme de gagner le monde entier, s'il ruine sa
propre vie ? Ou que pourra donner l'homme en échange de sa propre vie ? »
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