Cette
parabole de Mt 21, 28-32 paraît à certains comme la version matthéenne du Fils
prodigue. Même si cette hypothèse fort vraisemblable était avérée, on se trouve
cependant en face d’une autre histoire, d’une autre « morale de cette
histoire ».
Ce
qui est souligné chez Matthieu, c’est la cohérence entre le dire et le faire. L’un
des frères ne fait pas ce qu’il dit, l’autre fait ce qu’il ne dit ne pas
accepter de faire. Entre ces deux attitudes incohérentes, laquelle choisir ?
La réponse semble s’imposer : mieux vaut être fidèle en acte qu’en parole.
Ce
qui est curieux, c’est qu’il ne paraît pas possible d’imaginer une attitude
cohérente, un non qui soit non, dans les actes et les paroles, un oui qui soit
pareillement oui.
Comme
si pour les hommes, c’était impossible. Comment voulez-vous que nous puissions être
fidèles à l’évangile de sainteté, être cohérents avec ce que nous professons ?
C’est Jésus le « témoin fidèle », selon l’expression du livre de l’Apocalypse,
et lui seul. C’est lui le « oui » de Dieu, ainsi que le dit Paul. « Le
Fils de Dieu, le Christ Jésus que nous avons proclamé chez vous […] n’a pas été
‟Oui” et ‟Non”, mais il n’a jamais été que ‟Oui” ! Et toutes les promesses
de Dieu ont trouvé leur oui dans sa personne. »
En
conséquence, on pourra penser que l’Eglise aussi échappe à l’incohérence, elle
qui est son corps et que nous confessons sainte. Sauf qu’il faut apprendre à
comprendre la sainteté de l’Eglise sans ignorer sa précarité institutionnelle
et la faillibilité de ses membres. De sorte qu’en dehors de Jésus, il ne se
trouve pas de témoin fidèle, pour les hommes, c’est impossible.
La
grandeur de l’évangile, c’est trop pour nous parce que c’est la sainteté, et
plus l’on y tend, plus l’on sait qu’elle nous échappe. Qui plus est, la
sainteté se reçoit et n’est pas du même ordre que ce que l’on dit ou fait.
Heureusement ! C’est pour cela précisément que la sainteté peut être notre
vocation alors même que nous, disciples de l’évangile, l’évangile nous met en
porte-à-faux.
Certains
ne supportent pas de le reconnaître parce que cela discréditerait l’Eglise et
les saints. Cela nous remettrait trop en cause nous-mêmes. La vérité de l’Evangile
que nous portons risque alors de devenir une arrogance orgueilleuse. « Nous,
nous sommes dans la vérité ; nous, nous avons la vérité ; nous, nous
portons le salut de monde, voire de l’Eglise. »
Parfois,
la situation de minorité, telle que nous la connaissons par exemple, renforce
la nécessité de cette assurance, une sorte de réflexe ou une affirmation
identitaires. Cela peut conduire à éluder tous les obstacles et se muer en certitude
arrogante, à l’opposé de l’humilité évangélique. Par exemple, « il n’y a
pas de problème à prétendre savoir ce qu’est la foi, le catéchisme le dit ».
Or marcher dans la foi, c’est justement ne pas voir ce que l’on espère, comme
dit Paul. L’arrogante certitude d’être dans le vrai peut même conduire à faire le
contraire de l’évangile, sans que cela effraie, manque de charité, médisance,
mépris, intimidation, usage de la force et j’en passe.
Il
est tout de même curieux que revienne si souvent dans l’évangile la mise en
garde contre l’hypocrisie religieuse, déjà dénoncée par la littérature
prophétique. Si les pharisiens hypocrites ou superbes sont la cible de Jésus,
ce n’est pas parce leur sort était une préoccupation importante des rédacteurs
de l’évangile mais parce que leur attitude, à laquelle Jésus s’était si souvent
opposé, se retrouvait dans la communauté même des disciples de Jésus. La
sainteté de la foi fait toujours encourir le risque de l’hypocrisie et du
mensonge. L’évangile de sainteté que nous portons dénonce notre infidélité, nos
trahisons.
Comment
faire ? Faudra-t-il se taire pour demeurer cohérents. Ce n’est pas l’option
de notre parabole qui reconnaît que l’on fait la volonté du Père par les actes
quand bien même nos paroles ne seraient pas en cohérence.
Réjouissons-nous
de ce que les publicains et les prostituées nous précèdent dans le royaume,
parce qu’un jour ou l’autre nous en sommes de ces gens si peu recommandables qu’ils
ne peuvent pas se la jouer. Réjouissons-nous de ce que nos incohérences,
lorsque du moins nous ne les nions pas et ne faisons pas les fiers, n’empêchent
pas le Père de nous conduire à la sainteté de vie, à la sainteté de sa vie.
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