Qu’en
est-il de notre vie spirituelle ? Que pensons-nous de la vie
spirituelle ? Est-elle réservée à quelques moment privilégiés, temps
forts, retraites faites il y a plus ou moins longtemps, ou plus ou moins
régulièrement ? S’agit-il de réciter des prières, de faire sa prière ?
Chaque jour ou de temps en temps ?
Comme
nombre de mots dans la foi, « vie spirituelle » est une expression
cache-misère qui dissimule autant notre pudeur que notre ignorance, un de ces
mots devenus techniques et que l’on a coupés de leur source, la fontaine du
sens.
La
vie spirituelle, avant toute chose, c’est la vie dans l’Esprit. C’est la vie de
ceux qui acceptent de livrer leur vie à la force de Dieu, au doigt de Dieu, au
don de Dieu, l’Esprit saint. Ce n’est donc pas un temps de prière, une retraite
ou le souci de la vertu de religion et de la pratique de l’oraison. La vie
spirituelle, c’est toute la vie des chrétiens.
Arrêtons
de compartimenter les choses. Il aurait les moments pour Dieu et les moments où
il faut bien penser à autre chose ! Si Dieu habite la chair, ce n’est pas
pour être relégué dans quelques tranches horaires de notre emploi du temps,
mais pour prendre possession de nos vies, en être « le Seigneur et le
Maître ».
Comment
vivre dans la force de l’Esprit, comment abandonner la vie selon la chair,
dirait Paul ? Non en désertant la chair, ainsi qu’on le pense trop souvent
de façon exclusiviste et païenne, mais en soumettant notre corps, notre vie
tout entière, notre vie dans ce qu’elle a de soutien, ce qui la porte, à l’Esprit.
Nous désirons depuis notre baptême être avec les frères et pour l’humanité les
pierres vivantes du temple de Dieu en ce monde.
Cela
ne change rien à nos vies, et n’allons surtout pas penser que nous aurions
changé nos vies en y organisant un temps de prière ! Que serait une vie
dans l’Esprit qui n’aurait pas besoin pour se dire et se vivre de la moindre
mention des frères ? Serions-nous ainsi quittes avec Dieu ? Nos vies
sont celles de tout homme et femme qui tâche de vivre dignement, avec et pour les autres, dans des
institutions justes.
Mais
nous choisissons que la vie ne soit pas seulement celle qui va de la naissance
à la mort. Nous croyons que cette vie-là est parabole d’une autre vie, est
support d’une autre vie, déjà commencée, qui va de la mort à la vie. Nous ne
marchons pas vers la mort, quoi qu’il en soit des apparences et évidences, mais
vers la vie, non pas demain après la mort, mais maintenant. Notre mort est
derrière nous puisque nous vivons selon l’Esprit, c’est has-been la mort dans la vie spirituelle. Nous sommes citoyens des cieux, non que nous désertions ce monde,
mais nous voulons y vivre déjà selon l’Esprit, c’est-à-dire avec Jésus.
C’est
exactement cela que je lis dans l’évangile de ce jour (Mt 25, 1-13). L’attente
de la vie transformée, l’attente des noces est longue. L’époux tarde. Comme
tous les autres, nous vivons sans Dieu, parce que Dieu se fait attendre.
Relisez les Ecritures, vous verrez, c’est un thème constant, sans doute
beaucoup plus que celui de sa présence. Mais comme le vide de Dieu, cela ne se
vend pas, surtout sous couvert de religion, on nous gave, nous nous goinfrons d’une
présence, évidemment idolâtrique. On compense !
Qu’est-ce
qui manque en nous que nous ne voulons pas voir parce que manquer nous est
impossible ? Dieu. Et voilà pourquoi ces jeunes filles attendent, la lampe
à la main. Il manque Dieu, parce que nous savons bien que tout ce que nous
appelons dieu n’est pas Dieu, et que c’est quelqu’un d’autre que nous
attendons.
Ce
qui est curieux dans cette parabole, comme souvent, c’est qu’il manque l’épouse.
Encore une absence ! Le roi lui aussi attend. Il faut du temps pour que l’humanité
puisse épouser son Dieu. Il faut du temps pour qu’ils s’accoutument l’un à l’autre,
dirait Irénée de Lyon.
Est-ce
pour un moment seulement, cette nuit de la foi, cette absence de Dieu ? D’après
la parabole, préparez-vous, il faut prévoir les réserves d’huile. Voilà la vie
dans l’Esprit, veiller, dormir, mais être prêts, attendre celui qui manque.
Certains n’attendent rien ; et il ne s’agit pas des athées. Il s’agit
aussi de chrétiens, à la vie spirituelle parfois si exemplaire, prières,
oraisons, retraites (encore une fois, la vie spirituelle se dirait sans les
frères). Des trucs à faire pour remplir le trou de l’absence, la béance du
manque. Qui n’a pas faim ne pourra pas être rassasié, qui ne manque pas ne pourra être
comblé. Ce serait dommage d’ignorer le manque ou de le remplir par des ersatz,
même, surtout, religieux !
Quant
à « la prière chrétienne, elle est avant tout la prière de toute la famille
humaine que le Christ rassemble. A cette prière, chacun participe, mais elle
est le propre du corps tout entier qui exprime la voix de l’épouse aimée du
Christ, les désirs et les souhaits de tout le peuple chrétien, les suppliques
et demandes pour les nécessités de tous les hommes. » (Paul VI, Laudis Canticum, 1970)
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