03/11/2017

Se croire meilleur d'être disciple (31ème dimanche)


Pourquoi les évangiles en ont tant contre l’hypocrisie, contre le pharisaïsme ? Il n’y a pas un péché que Jésus condamne comme celui-là, pas un qu’il ne condamne à part celui-là. Les prostituées, les publicains collabos sont pardonnés. Péchés de la chair et du fric. (C’est vrai, c’est moins clair avec l’argent. On ne peut servir deux maîtres à la foi, Dieu et l’argent ; fou que tu es, cette nuit même on te redemande ta vie.)
Mais l’hypocrisie, cela ne passe pas. L’hypocrisie de ceux qui ont le pouvoir, surtout, et le prophète Malachie (1, 14b – 2, 2b.8-10) en rajoute une couche pour le pouvoir religieux, visant les prêtres. N’allons pas croire que ce sont les Juifs qui sont désignés et que cela ne nous concerne pas. C’est aux destinataires de l’évangile, les chrétiens, que la leçon est faite en parlant des pharisiens.
Comme si l’hypocrisie, l’hypocrisie religieuse, était le type même du péché. Certes, la violence, le meurtre, le viol, la torture nous paraissent plus graves. Mais d’une part ce n’est pas le fait de tous (trop facile de parler du péché qui n’est pas le nôtre) et d’autre part, pour les disciples, ceux qui sont censés parler de Dieu, le faire connaître, le faire aimer, y a-t-il plus grave que de fermer l’accès à ce Dieu par notre attitude. « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui fermez aux hommes le Royaume des Cieux ! Vous n’entrez certes pas vous-mêmes, et vous ne laissez même pas entrer ceux qui le voudraient ! », verset qui fait immédiatement suite à l’extrait de ce jour (Mt 23, 1-12). L’hypocrisie religieuse, fait des disciples, empêche la rencontre de Dieu, interdit que d’autres soient disciples. Ne serait-ce pas le fameux péché contre l’Esprit Saint ?
Aux prêtres de Lyon reçus en audience, le Pape disait que les péchés capitaux ‑ qui sont à l’origine des autres ‑ les plus graves ne sont pas ceux qui relèvent de la chair, mais les plus spirituels. La luxure et la gourmandise, tout péché qu’elles soient, sont moins graves que l’envie, l’orgueil ou la colère.
Nous sommes tous l’hypocrite de quelqu’un, pris dans nos contradictions. Comment en sortir ? Premièrement, se reconnaître pécheur, non par les paroles, mais par l’attitude : Tu ne jugeras pas. Comment jeter la pierre dès lors que l’on est pécheur ? Deuxièmement, en rejetant tout ce qui ne met pas l’homme en premier. Les principes n’ont pas de sens quand on aime ; et Jésus aime. Troisièmement, ne pas s’occuper de la validité de notre vie, mais laisser le Seigneur en être le juge. Cela évite en outre de se croire meilleur que les autres. Vous vous rappelez la parabole : « Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain... »
Il ne peut y avoir de hiérarchie en matière religieuse. Jésus a supprimé le sacerdoce. Il n’était pas prêtre. Il commande de reconnaître en tous des frères. « N’appelez personne du nom de Père. » Et nous faisons le contraire, et nous désobéissons le plus éhontément sous prétexte de convenances, pour n’en faire qu’à notre tête, pour persévérer dans le péché. « Vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. »
Il y a dans notre baptême la source de la libération du mal, du péché, c’est-à-dire, dans le même temps, le renversement de nos principes. Plus fort que la loi, l’amour, autrement dit, plus fort que la loi, le service. « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. »
Il y a dans le baptême l’antidote du pharisaïsme et de l’hypocrisie. Encore faut-il ne pas mépriser notre baptême. Et si nous baptisons les enfants, ce n’est pas qu’ils auraient déjà péché, c’est que nous annonçons la fin du mal, et du péché des péchés, que pourrait bien être le pharisaïsme, meilleur croyant que les autres, introduire en Dieu une hiérarchie entre ses enfants. Tous nous sommes libérés, non pas libres (de faire n’importe quoi), libérés parce que lavés du péché.
On dira que c’est la porte ouverte au n’importe quoi, au laxisme ou au relativisme. C’est exactement ainsi que pense le Grand Inquisiteur de la légende de Dostoïevski. Et souvent l’Eglise impose sa morale non comme une invitation à la libération baptismale, mais comme une vérité qui vaut mieux que l’évangile : l’accueil inconditionnel des pécheurs. Comme si cela nous faisait tort que Dieu pardonne aussi aux autres ! Tout n’est pas bon, cela va de soi. Et cependant, nous pouvons dire avec Augustin, aime et fais ce que tu veux.
Etre baptisé devrait être ce grand geste qui annonce la libération de tous, la libération possible, la libération reçue. Aime et fais ce que tu veux, non pas n’importe quoi, car si tu aimes les frères, tu ne pourras plus jamais commettre le mal, seulement te mettre au service.
Notre foi n’a-t-elle pas besoin d’entendre la provocation prophétique et évangélique, la colère même de Jésus ? Assez des gens qui se croient les meilleurs, qui plus est au nom de leur foi, au nom de Dieu. Dieu aime les pécheurs et c’est pour eux qu’il est venu, non pour les justes. Et comme il n’y a que des pécheurs, ça tombe bien. Comment l’accueillerons-nous si nous ne nous pensons pas pécheurs, si nous nous pensons dans le vrai, si nous nous pensons justes ? Etre baptisé, c’est annoncer dans notre monde que le mal est renversé, que c’est à Dieu, le miséricordieux, que nous confions le sort l’humanité entière.

2 commentaires:

  1. Salut, beaucoup de commentaires posent la question : "Comment en sortir ?" de cette affreuse hypocrisie qui nous colle à la peau. Nous ne pouvons pas en sortir. Le seul qui y ait échapé c'est Jésus lui-même. Nous ne pouvons que reconnaître notre péché, savoir que nous avons tous aimé une fois ou l'autre être reconnu pour plus grand que nos frères, et effectivement alors, confier la validité de notre vie à Dieu. Il aime les pécheurs, en effet. Je garde alors à l'Evangile son caractère totalement subversif, pour notre plus grande confusion. Père Bertrand.

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    1. Oui, tu as raison. C'est ce que j'essaie de dire à travers le baptême. Mais il est vrai que les circonstances pastorales de la célébration de demain, avec un baptême, m'ont orienté dans cette direction.

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