Pourquoi
les évangiles en ont tant contre l’hypocrisie, contre le pharisaïsme ? Il
n’y a pas un péché que Jésus condamne comme celui-là, pas un qu’il ne condamne
à part celui-là. Les prostituées, les publicains collabos sont pardonnés.
Péchés de la chair et du fric. (C’est vrai, c’est moins clair avec l’argent. On ne peut servir deux maîtres à la foi,
Dieu et l’argent ; fou que tu
es, cette nuit même on te redemande ta vie.)
Mais
l’hypocrisie, cela ne passe pas. L’hypocrisie de ceux qui ont le pouvoir,
surtout, et le prophète Malachie (1, 14b – 2, 2b.8-10) en rajoute une couche
pour le pouvoir religieux, visant les prêtres. N’allons pas croire que ce sont
les Juifs qui sont désignés et que cela ne nous concerne pas. C’est aux
destinataires de l’évangile, les chrétiens, que la leçon est faite en parlant
des pharisiens.
Comme
si l’hypocrisie, l’hypocrisie religieuse, était le type même du péché. Certes,
la violence, le meurtre, le viol, la torture nous paraissent plus graves. Mais
d’une part ce n’est pas le fait de tous (trop facile de parler du péché qui n’est
pas le nôtre) et d’autre part, pour les disciples, ceux qui sont censés parler
de Dieu, le faire connaître, le faire aimer, y a-t-il plus grave que de fermer l’accès
à ce Dieu par notre attitude. « Malheur à vous, scribes et Pharisiens
hypocrites, qui fermez aux hommes le Royaume des Cieux ! Vous n’entrez
certes pas vous-mêmes, et vous ne laissez même pas entrer ceux qui le
voudraient ! », verset qui fait immédiatement suite à l’extrait de ce
jour (Mt 23, 1-12). L’hypocrisie religieuse, fait des disciples, empêche la
rencontre de Dieu, interdit que d’autres soient disciples. Ne serait-ce pas le fameux
péché contre l’Esprit Saint ?
Aux
prêtres de Lyon reçus en audience, le Pape disait que les péchés capitaux ‑ qui
sont à l’origine des autres ‑ les plus graves ne sont pas ceux qui
relèvent de la chair, mais les plus spirituels. La luxure et la gourmandise, tout
péché qu’elles soient, sont moins graves que l’envie, l’orgueil ou la colère.
Nous
sommes tous l’hypocrite de quelqu’un, pris dans nos contradictions. Comment en
sortir ? Premièrement, se reconnaître pécheur, non par les paroles, mais
par l’attitude : Tu ne jugeras pas.
Comment jeter la pierre dès lors que l’on est pécheur ? Deuxièmement, en
rejetant tout ce qui ne met pas l’homme en premier. Les principes n’ont pas de
sens quand on aime ; et Jésus aime. Troisièmement, ne pas s’occuper de la
validité de notre vie, mais laisser le Seigneur en être le juge. Cela évite en
outre de se croire meilleur que les autres. Vous vous rappelez la parabole :
« Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le
reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme
ce publicain... »
Il
ne peut y avoir de hiérarchie en matière religieuse. Jésus a supprimé le
sacerdoce. Il n’était pas prêtre. Il commande de reconnaître en tous des
frères. « N’appelez personne du nom de Père. » Et nous faisons le
contraire, et nous désobéissons le plus éhontément sous prétexte de
convenances, pour n’en faire qu’à notre tête, pour persévérer dans le péché. « Vous
n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne
donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père,
celui qui est aux cieux. »
Il
y a dans notre baptême la source de la libération du mal, du péché, c’est-à-dire,
dans le même temps, le renversement de nos principes. Plus fort que la loi, l’amour,
autrement dit, plus fort que la loi, le service. « Le plus grand parmi
vous sera votre serviteur. »
Il
y a dans le baptême l’antidote du pharisaïsme et de l’hypocrisie. Encore
faut-il ne pas mépriser notre baptême. Et si nous baptisons les enfants, ce n’est
pas qu’ils auraient déjà péché, c’est que nous annonçons la fin du mal, et du
péché des péchés, que pourrait bien être le pharisaïsme, meilleur croyant que
les autres, introduire en Dieu une hiérarchie entre ses enfants. Tous nous
sommes libérés, non pas libres (de faire n’importe quoi), libérés parce que lavés
du péché.
On
dira que c’est la porte ouverte au n’importe quoi, au laxisme ou au
relativisme. C’est exactement ainsi que pense le Grand Inquisiteur de la
légende de Dostoïevski. Et souvent l’Eglise impose sa morale non comme
une invitation à la libération baptismale, mais comme une vérité qui vaut mieux
que l’évangile : l’accueil inconditionnel des pécheurs. Comme si cela nous
faisait tort que Dieu pardonne aussi aux autres ! Tout n’est pas bon, cela
va de soi. Et cependant, nous pouvons dire avec Augustin, aime et fais ce que tu veux.
Etre
baptisé devrait être ce grand geste qui annonce la libération de tous, la
libération possible, la libération reçue. Aime
et fais ce que tu veux, non pas n’importe quoi, car si tu aimes les frères,
tu ne pourras plus jamais commettre le mal, seulement te mettre au service.
Notre
foi n’a-t-elle pas besoin d’entendre la provocation prophétique et évangélique,
la colère même de Jésus ? Assez des gens qui se croient les meilleurs, qui plus
est au nom de leur foi, au nom de Dieu. Dieu aime les pécheurs et c’est pour
eux qu’il est venu, non pour les justes. Et comme il n’y a que des pécheurs, ça
tombe bien. Comment l’accueillerons-nous si nous ne nous pensons pas pécheurs,
si nous nous pensons dans le vrai, si nous nous pensons justes ? Etre
baptisé, c’est annoncer dans notre monde que le mal est renversé, que c’est à
Dieu, le miséricordieux, que nous confions le sort l’humanité entière.
Salut, beaucoup de commentaires posent la question : "Comment en sortir ?" de cette affreuse hypocrisie qui nous colle à la peau. Nous ne pouvons pas en sortir. Le seul qui y ait échapé c'est Jésus lui-même. Nous ne pouvons que reconnaître notre péché, savoir que nous avons tous aimé une fois ou l'autre être reconnu pour plus grand que nos frères, et effectivement alors, confier la validité de notre vie à Dieu. Il aime les pécheurs, en effet. Je garde alors à l'Evangile son caractère totalement subversif, pour notre plus grande confusion. Père Bertrand.
RépondreSupprimerOui, tu as raison. C'est ce que j'essaie de dire à travers le baptême. Mais il est vrai que les circonstances pastorales de la célébration de demain, avec un baptême, m'ont orienté dans cette direction.
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