Is 58, 5-10 / Ps
18(19), 8-13 / Jn 2, 1-11
Les textes que nous venons d’entendre ne parlent pas de mort
ni de résurrection, ni d’espérance. Peut-être une mention, le troisième jour,
au début de l’évangile, fait-elle signe vers la Pâque.
A Cana, c’est un mariage. On manque de vin, il n’y a plus de
vin. La fête tombe à l’eau. Tout est foutu, comme devant le corps de maman. Mais
on ne manque pas seulement de vin. Il n’y a pas d’époux, c’est un mariage sans
époux ! La fête est impossible, comme aujourd’hui.
Normal que l’on ne dise rien des époux, fera-t-on remarquer,
on est à la cuisine, avec les serviteurs. Et c’est vrai. C’est d’ailleurs une
bonne place que celle du service pour comprendre ce qui se passe. Le texte le
dit, les serviteurs, eux, savaient.
Mais tout de même, c’est un peu gros un mariage sans époux. Relisons
le texte. Il n’y a qu’une femme, ne pourrait-elle pas être l’épouse ? C’est
la mère de Jésus. S’il s’agit de Marie, elle est déjà mariée, elle a un fils, déjà
grand, qui est au mariage avec elle. Ce ne peut être elle. Mais la mère de
Jésus, c’est aussi l’humanité, celle dont il partage la vie et la condition, celle
dont il a reçu sa chair, tout comme nous. Se comprend alors la réponse de Jésus
à cette humanité ‑ il ne l’appelle pas maman ‑ quémandeuse faute de
se prendre en charge, irresponsable, et si souvent destructrice d’elle-même. « Femme,
quoi de toi à moi ? ».
A choisir Cana, un repas, évidemment, nous faisons un clin
d’œil à Maman. Il s’agit d’un mariage, un peu plus des deux tiers de la vie de
Maman. Et l’on s’inquiète pour le repas. Maman a tellement préparé à manger. La
cuisine, c’est de famille ; allez voir chez Nicole ! Mais
aujourd’hui, nous n’avons plus de vin. Mais aujourd’hui, la fête est finie.
Avec Maman, il n’y aura plus de fête.
Isaïe, quant à lui, ne mâche pas ses mots. Cela n’ôte rien à
sa poésie, au contraire ! Jeûner pour honorer Dieu, c’est une fumisterie. Dieu
se moque des gesticulations pieuses, lui importe seulement les frères. « Qu’as-tu
fait de ton frère ? » demande-t-il à Caïn dès les premières pages du
récit biblique. La prophétie prend le relai de la Torah en répétant l’impératif,
tu es responsable de ton frère. « Partager ton pain avec celui qui a
faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras
sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable. » La mère de
Jésus, commune humanité, capable du pire mais aussi du meilleur, le redit aux
serviteurs. « Faites tout ce qu’il vous dira. »
Une lecture hâtive, si alors, condition et conséquence, pourrait
n’être sollicitée que par nos désirs ou phantasmes de rétribution. Il s’agit
d’autre chose. Papa parlait de grâce ayant peur que le mot ne soit compris. Et
il y a de quoi se méfier du mot. Avec Dieu, comme dans l’amour, la grâce c’est la
beauté, la gratuité, ce qui gracieux, sourire et merci. L’air de rien, sans les
mots détestables de la technique religieuse, Isaïe parle de résurrection. Dans
la nuit du deuil et de la mort, la lumière. En pleine nuit, la lumière de midi.
En plein deuil, par notre fraternité, quelle lumière faisons-nous briller !
Qu’elle éclaire aussi ceux qui ne sont pas là !
L’humanité attend encore la lumière, manque de lumière comme
on manquait de vin à Cana, comme Maman nous manque. Urgence du service, une
nouvelle fois, pour que les noces de l’humanité ne soient pas gâchées. Urgence
pour la vie, que brille sur tout visage une lumière de plein jour.
Je nous ai laissés en plan avec les noces. Nous avions
trouvé l’épouse, la femme, la mère de Jésus, l’humanité. Et l’époux ? Bien
sûr, c’est Jésus. Il vient célébrer l’alliance de Dieu avec les hommes.
Etre disciple de ce Jésus, croire la résurrection de la
chair, c’est cela seulement, faire tout ce qu’il nous dit. La résurrection
c’est précisément la lumière du plein midi, lorsque les frères sont relevés, littéralement,
ressuscités. La résurrection, ce n’est pas un truc pour les morts, après la
mort. La résurrection c’est la lumière du plein midi pour que tous aient la
vie, en abondance, pour rendre à chacun son sourire.
Dans la nuit de notre deuil et de la séparation, reprendre
le tablier, la tenue de service. Le fils de l’homme épouse l’humanité. En
s’unissant à elle, il lui transmet la vie. Vin et sang de l’alliance, fin de la
pénurie et de la flotte. Et quel vin, le meilleur pour la fin. De lui à elle, qu’y
a-t-il sinon la vie, l’amour ? Sur la croix, « il transmit
l’Esprit ».
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