12/11/2020

Le mérite ou l'amour, la bourse ou la vie Mt 25, 14-30 (33ème dimanche)

La parabole des talents (Mt 25, 14-30) est généralement comprise comme une invitation à faire fructifier les dons que nous avons gratuitement reçus de Dieu ou de la nature. Tes talents ne t’ont rien coûté, tu te dois de rendre en les mettant généreusement à profit.

Une telle lecture, pour commune qu’elle soit, est problématique. Qu’en est-il de l’idéologie qui la sous-tend ? La morale du devoir sur laquelle elle repose est-elle légitime ? Que signifie la gratuité d’un don qu’il faudrait rendre ? C’est le chameau, répond Nietzsche, qui porte, et fait du « tu dois » sa devise… à en crever.

Plus grave. Comprendre la parabole comme une injonction à faire fructifier ses talents, c’est n’avoir pas lu le texte ou se refuser à le lire. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. La liturgie aussi est assourdissante avec une version écourtée et trafiquée du texte !

On remarquera que le troisième serviteur adresse au maître des paroles insultantes, le traitant de voleur. On remarquera que c’est celui qui a le moins de capacités qui est jeté dans les ténèbres extérieures. Se débarrasserait-on des inadaptés à la logique du profit ?

On remarquera qu’à aucun moment le maître a commandé de faire fructifier les talents. C’est une initiative dont la responsabilité revient aux deux premiers serviteurs. Le troisième ne la conteste pas. Certes, la parabole n’interdit pas de penser que c’est ce qu’attend le maître. Elle tend même ainsi un piège au lecteur. Le maître récompenserait les serviteurs qui l’ont bien récompensé, canonisation de la doctrine de la rétribution.

La doctrine du mérite et de la rétribution, c’est que les coupables doivent payer, enfermés en prison ; les autres, nous bien sûr, devons être récompensés d’être des gens si bien ! Cette doctrine nous refile, diaboliquement, une image de Dieu qui empêche qu’il s’agisse d’amour. Basta de la sensiblerie, importent les comptes à régler.

La parabole raconte la catastrophe de la doctrine de la rétribution. Si vous pensez que le maître vous considère selon vos mérites, ce que vous avez fait et que vous prenez grand soin de compter, les capacités qu’il vous a lui-même données, c’est foutu ! Vous ne pourrez que haïr et Dieu et les frères. Haïr les frères parce que vous serez convaincus de toujours faire mieux, ne pourrez que les regarder, eux qui font si peu ou si mal. Tous les jours, nous vivons cela. C’est totalement infantile, compter, toujours, ce que j’ai fait et pas l’autre. Etonnons-nous d’avoir une foi infantile. Haïr Dieu parce que l’idée que vous vous en faites est une insulte. Ce que dit le troisième serviteur pour se justifier est ce que tous pensent. Dieu est exigeant jusqu’au vol, sans mansuétude ! Le contraire de l’évangile, quelle catastrophe !

Même en ayant pitié du troisième serviteur (nous avons acquis des réflexes de défense des petits, au moins rhétoriquement), rares sont ceux qui sursautent et comprennent les propos de ce serviteur sont une insultante accusation de vol. C’est terrible !

Avec Dieu, le mérite est ce qu’il y a de pire. Avec Dieu, la gratuité, si l’on ose l’oxymore, est ce qui compte. Il en va toujours ainsi en amour, avec les enfants, le conjoint, les amis ? C’est pour cela que nous nous sommes « des serviteurs inutiles » ; ça n’a rien à voir avec l’humilité, c’est juste qu’avec Dieu, si ce n’est pas une question d’amour, tout est faux. « Je ne suis pas digne de te recevoir ». Ce n’est pas une question de misérabilisme. C’est juste une question de choix, de conversion, le mérite ou l’amour, la bourse ou la vie.

Hier comme aujourd’hui, on se crispe sur le fait que Dieu aime les pécheurs et mange avec eux. L’Eglise écarte certains, divorcés remariés, homosexuels en couple (mais rien sur les pédocriminels ni les racistes et ceux qui font du fric sur le dos des autres ; ils peuvent tous communier). La prédication de miséricorde de François est rejetée à la hauteur de nos fausses lectures de la parabole.

Le Dieu de la miséricorde, nous ne l’aimons guère, quoi que nous disions, parce qu’il accueille tout le monde. Mais voilà précisément la bonne nouvelle. Franchement, si nous étions jugés au mérite, qui passerait la barre ?

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