19/03/2021

Le grain de blé. La loi de la vie, c'est la mort (5ème dimanche de carême)

La loi de la vie, c’est la mort, loi du grain de blé (Jn 12, 20-33). Mais chacun se survit en ses enfants. Evidemment, dans un monde très individualisé, de surcroît pour les célibataires ou les personnes stériles, cette loi n’offre aucune survivance.

Donner cent pour un, nous connaissons bien des personnes décédées qui l’ont vécu, pour le meilleur… et pour le pire. La psychogénéalogie l’illustre. Mais qu’est-ce que nous fait de survivre à travers d’autres si nous allons au néant ? On comprend que l’on se mette à espérer ou imaginer une vie après la mort. L’imagination ne peut cependant faire que soient ses créations. La consolation pourrait bien être duperie, analgésique, anxiolytique.

Un être humain est tout de même autre chose qu’un grain de blé qui n’a de consistance qu’à être mangé ou planté, qu’à disparaître. A plus de sept milliards d’humain, la survie de l’espèce, si elle était un souci, ne dépend pas de chacun.

La parabole du grain de blé ne vise pas la vie après la mort. Elle n’en dit même rien. Elle est une injonction pour aujourd’hui, une règle de vie. Vivre, c’est passer derrière, vivre, c’est consentir à l’effacement. Vivre, ce n’est pas garder sa vie comme un lingot d’or ou une richesse planquée, à l’abri des voleurs. Vivre, c’est perdre sa vie, la partager.

La pandémie pose cette question à l’ensemble de la société que je trouve bien peu prompte à se laisser interpeler. A vous planquer, à supprimer les rapports sociaux, les lieux de convivialités et de culture, tout en laissant les temples de la consommation fonctionner ‑ il faut bien que l’on mange ! ‑, ne gardons-nous pas notre vie pour la perdre ? A quoi bon vivre quelques mois ou années de plus si c’est pour mourir, non du virus, mais de sa « belle mort » ‑ quelle expression ‑, sans les autres, privés des autres.

Il ne s’agit pas de nier la gravité de la situation, juste de faire remarquer que certaines mesures font le contraire de ce qu’elles prétendent favoriser. On aura gardé sa vie, et on l’aura perdu. L’évangile dit vrai.

Mais l’évangile n’a pas été écrit pour la pandémie. Nous savons bien qu’à penser à nous d’abord, à garder voire arracher notre vie, contre celle des autres, contre le partage de celle-ci, c’est la vie qui perd. Nous ne nous porterons peut-être pas plus mal, nous croirons même nous porter mieux à passer devant, à être servis les premiers. L’histoire est pleine de ceux qui sont morts d’avoir été relégués, piétinés, ignorés. C’est parfois, souvent, si douloureux de passer derrière, de renoncer à soi au profit des autres.

Pourtant, nous savons aussi d’expérience que l’effacement, tout ce que nous permettons pour que les autres vivent, cela est vie, et déjà pour nous. « L’effacement soit ma façon de resplendir », écrit le poète. Vie comme excès, vie de surcroît. Nous ne saurions pas morts à ne pas donner notre vie, mais nous ouvrons une dimension de plus à la vie, en abondance, à faire vivre les autres. « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »

C’est ce que raconte une autre parabole, celle du fils prodigue, qui a tout dépensé de la vie reçue, ne l’a aucunement préservée dans un coffre-fort. Cela fait des jaloux, le frère, qui en est réduit à la médisance, aux ragots. Comment sait-il que son cadet était avec les prostituées ? Il y était donc aussi ?

Le fils prodigue, Jésus, était effectivement avec les prostituées et les pécheurs. C’est bien ce qu’on lui reproche. Mais heureusement pour nous, sans quoi, jamais personne ne serait venu nous convier à sa table, partager la vie du Père, reçue pour être partagée.

La loi du grain de blé ne parle pas de la vie outre-tombe. Elle n’est pas non plus une règle morale, « tu dois » perdre ta vie. Elle est une invitation à l’abondance, à la suite de Jésus. Que cela fait mal, oui parfois, comme la mort. Pour peu que nous nous y soyons essayés, en famille, avec les proches ou le prochain si lointain, nous savons déjà que nous en sommes devenus plus vivants, nous avons déjà vécu du mouvement de Jésus. Résurrection.

1 commentaire:

  1. Merci Patrick, à nouveau, pour l'espérance de tes paroles. Grain de blé qui tombe en terre, si tu ne meurs pas, tu resteras solitaire, ne germeras pas. J'entends toujours dans ces mots une parole de consolation. Mourir, se prendre des coups, reconnaître ses faiblesses, c'est aussi accueillir l'autre comme celui qui nous console. D'une manière très concrète, celui qui accepte sa mort n'est pas seul, il ne reste pas solitaire, il reconnaît son prochain comme celui qui le sauve de la détresse.
    Ce ne sont là que des mots, il est toujours compliqué de raconter une histoire dans un commentaire de blog, mais ces temps de crise politique et sociale font vivre des expériences marquantes (et dures, et belles, et remplies d'amitiés et de rencontres en vérité).

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